Une des très rares photos de Mikloukho Maklai lors d’un séjour chez les Papous.
PAPEETE, le 12 novembre 2015. A LA RENCONTRE DES PAPOUS. Nikolaï Mikloukho Maklai (1846-1888) fut sans doute le premier ethnologue et anthropologue à vivre en totale immersion avec les peuples qu’il étudiait. Sa carrière, trop courte car il y sacrifia sa santé, l’amena dans le Pacifique Sud. Il travailla essentiellement en Nouvelle-Guinée, avec un rêve fou en tête : créer un Etat papou “sauvage”, interdit aux missionnaires, aux colons et au progrès. A 41 ans, Maklai mourut d’épuisement…
Ses dates de naissance et de décès parlent pour lui : Nikolaï Mikloukho Maklai n'aura vécu que 41 ans, mort de fatigue au terme d'une carrière entièrement vouée à ses passions, à ses engagements, une vie faite de dévouement et d’honnêteté, non dénuée d’un certain panache… Beaucoup, à la lecture de sa biographie, se demanderont même si l'homme n'était pas un peu fou : sans arme, il n'hésita jamais à se livrer à ses interlocuteurs, même hostiles, qu’il approcha toujours avec le plus profond respect et la plus grande humanité. Un comportement aux antipodes de celui des beachcombers et autres négriers qui sévissaient à son époque dans les archipels océaniens, en Mélanésie plus particulièrement.
Dormir pour ne pas être tué !
En septembre 1871, il pose les pieds, au terme d’un périple interminable, sur la côte nord-est de la Nouvelle-Guinée, dans la baie de l’Astrolabe (près de l’actuelle ville de Madang).
A l’époque, les indigènes n’ont aucun contact avec les Européens.
Frôlant parfois la mort, ne comptant que sur sa bonne étoile, il vivra sur place comme un véritable Papou, mais contractera, prix de la sincérité de son séjour, diverses maladies et fièvres qui finiront, plus tard, par l’emporter prématurément.
Alors que la plupart des indigènes qu’il rencontre n’ont jamais vu un homme blanc et lui sont très hostiles, Nikolaï a une tactique pour survivre en toutes circonstances, même quand il est prisonnier dans un village et que sa mise à mort est imminente : il se couche sur une natte et fait mine de s’endormir. Mieux même, si confiant, ou si naïf, il s’endort à chaque fois et se réveille entouré de Papous incrédules mais devenus amicaux.
Jamais armé
Dans les pires circonstances, il remerciera toujours le destin d’être parti en exploration en laissant son revolver dans sa cabane. Ainsi était-il sûr de ne pas répondre à la violence par la violence et de n’avoir aucun autre moyen de défense que son sommeil, qui a toujours désarmé ses ennemis.
Ses connaissances en anatomie et en médecine lui permettront également de soigner et de guérir, ce qui lui vaudra une réputation dépassant largement les villages qu’il étudiait. Malheureusement, face au paludisme, aux bactéries, aux microbes, aux amibes, il n’avait pour lui-même qu’un peu de quinine, parfois de la morphine. Dans ses divers campements, ses paillasses inconfortables furent ses lits de douleur, ce dont il fit le constat dans ses journaux, mais dont jamais il ne se plaignit (sinon parce que les jours passés cloué au lit retardaient ses travaux).
Pour un Etat Papou “sauvage”
Nikolaï Mikloukho Maklai retournera plusieurs fois sur la grande île sauvage, allant jusqu’au bout du bout de ses ressources physiques, adoré des Papous, mais pris pour un idéaliste un peu farfelu dans beaucoup de cercles occidentaux, lui qui rêvait de la création d’un Etat papou “sauvage”, fermé aux prêcheurs, au modernisme et aux corrupteurs étrangers.
Le premier, il se battra pour un concept nouveau, la “protection internationale des autochtones”, bénéficiant de nombreux appuis, en Australie notamment.
Le rêve du Russe, cet hypothétique Etat papou, bien dilué et corrompu par les réalités de la modernité, ne verra pas le jour avant 1975, année de l’indépendance de la Papouasie Nouvelle-Guinée.
Ses dates de naissance et de décès parlent pour lui : Nikolaï Mikloukho Maklai n'aura vécu que 41 ans, mort de fatigue au terme d'une carrière entièrement vouée à ses passions, à ses engagements, une vie faite de dévouement et d’honnêteté, non dénuée d’un certain panache… Beaucoup, à la lecture de sa biographie, se demanderont même si l'homme n'était pas un peu fou : sans arme, il n'hésita jamais à se livrer à ses interlocuteurs, même hostiles, qu’il approcha toujours avec le plus profond respect et la plus grande humanité. Un comportement aux antipodes de celui des beachcombers et autres négriers qui sévissaient à son époque dans les archipels océaniens, en Mélanésie plus particulièrement.
Dormir pour ne pas être tué !
En septembre 1871, il pose les pieds, au terme d’un périple interminable, sur la côte nord-est de la Nouvelle-Guinée, dans la baie de l’Astrolabe (près de l’actuelle ville de Madang).
A l’époque, les indigènes n’ont aucun contact avec les Européens.
Frôlant parfois la mort, ne comptant que sur sa bonne étoile, il vivra sur place comme un véritable Papou, mais contractera, prix de la sincérité de son séjour, diverses maladies et fièvres qui finiront, plus tard, par l’emporter prématurément.
Alors que la plupart des indigènes qu’il rencontre n’ont jamais vu un homme blanc et lui sont très hostiles, Nikolaï a une tactique pour survivre en toutes circonstances, même quand il est prisonnier dans un village et que sa mise à mort est imminente : il se couche sur une natte et fait mine de s’endormir. Mieux même, si confiant, ou si naïf, il s’endort à chaque fois et se réveille entouré de Papous incrédules mais devenus amicaux.
Jamais armé
Dans les pires circonstances, il remerciera toujours le destin d’être parti en exploration en laissant son revolver dans sa cabane. Ainsi était-il sûr de ne pas répondre à la violence par la violence et de n’avoir aucun autre moyen de défense que son sommeil, qui a toujours désarmé ses ennemis.
Ses connaissances en anatomie et en médecine lui permettront également de soigner et de guérir, ce qui lui vaudra une réputation dépassant largement les villages qu’il étudiait. Malheureusement, face au paludisme, aux bactéries, aux microbes, aux amibes, il n’avait pour lui-même qu’un peu de quinine, parfois de la morphine. Dans ses divers campements, ses paillasses inconfortables furent ses lits de douleur, ce dont il fit le constat dans ses journaux, mais dont jamais il ne se plaignit (sinon parce que les jours passés cloué au lit retardaient ses travaux).
Pour un Etat Papou “sauvage”
Nikolaï Mikloukho Maklai retournera plusieurs fois sur la grande île sauvage, allant jusqu’au bout du bout de ses ressources physiques, adoré des Papous, mais pris pour un idéaliste un peu farfelu dans beaucoup de cercles occidentaux, lui qui rêvait de la création d’un Etat papou “sauvage”, fermé aux prêcheurs, au modernisme et aux corrupteurs étrangers.
Le premier, il se battra pour un concept nouveau, la “protection internationale des autochtones”, bénéficiant de nombreux appuis, en Australie notamment.
Le rêve du Russe, cet hypothétique Etat papou, bien dilué et corrompu par les réalités de la modernité, ne verra pas le jour avant 1975, année de l’indépendance de la Papouasie Nouvelle-Guinée.
Nikolaï Miklouko-Maklaï et les Papous
- 17 juillet 1946 : naissance de Nikolaï près de la ville de Novgorod.
- Octobre 1870 : Mikloukho-Maklaï quitte Cronstadt pour sa première expédition vers la Nouvelle-Guinée. Le voyage durera quasiment un an, entre l'archipel du Cap Vert, Rio de Janeiro, la Patagonie, Valparaiso, l'île de Pâques, Tahiti, la Nouvelle-Irlande. Il parvient à recruter deux serviteurs en cours de route, le Tahitien Boy et un Suédois, Olsson.
- 27 septembre 1871 : Mikloukho Maklaï débarque en Nouvelle-Guinée, dans la baie de l'Astrolabe, près de la ville actuelle de Madang (côte est), chez les Orang Papuwah, les hommes aux cheveux crépus. Il y restera plus d'un an, vivant à la manière d’un Papou
- 19 décembre 1872 : un steamer russe, le Izoumroud, retrouve Mikloukho vivant sur la plage où il avait été laissé. Son cuisinier tahitien est mort, son domestique suédois moribond, lui-même est très affaibli par quatorze mois de séjour et des fièvres le conduisant au délire. Le 22 décembre, le Izoumroud l’embarque et lève l’ancre.
- 1873-1874 : deuxième séjour en Nouvelle-Guinée, au nord-ouest de la grande île. Il mène la lutte contre les pirates malais, parvenant même à capturer un des chefs.
- 1874-1876 : la colonisation avance très vite, trop vite à son goût, et il se résout à détruire une bonne partie de ses notes, ayant peur qu'en cas de publication, elles n'exposent des tribus isolées encore protégées de l'influence des Blancs.
- 1876-1877 : retour émouvant de celui que l'on appelle là-bas Maklaï, sur les lieux de son premier séjour papou.
- 1880-1881 : nouvelle mission en Nouvelle-Guinée, dans la région de la pointe sud, où il constate que les missionnaires déstructurent déjà considérablement la société indigène.
- 1882-1883 : très affaibli, Maklaï revient en Europe. Il sillonne les grandes villes et capitales, Saint-Pétersbourg, Paris, Londres, Berlin où il monte au créneau pour la défense de ses chers Papous. Il retourne pour la troisième fois dans la baie de l'Astrolabe (ce sera son dernier séjour en Nouvelle-Guinée).
- 2 avril 1888 : décès de Nikolaï Mikloukho-Maklaï en Russie, dans sa 42e année, épuisé par ses séjours prolongés en territoires vierges, victimes de fièvres, d'amibes, de bactéries, fatigué par son vain combat pour la création d'un Etat papou coupé du monde et de la civilisation corruptrice.
- 17 juillet 1946 : naissance de Nikolaï près de la ville de Novgorod.
- Octobre 1870 : Mikloukho-Maklaï quitte Cronstadt pour sa première expédition vers la Nouvelle-Guinée. Le voyage durera quasiment un an, entre l'archipel du Cap Vert, Rio de Janeiro, la Patagonie, Valparaiso, l'île de Pâques, Tahiti, la Nouvelle-Irlande. Il parvient à recruter deux serviteurs en cours de route, le Tahitien Boy et un Suédois, Olsson.
- 27 septembre 1871 : Mikloukho Maklaï débarque en Nouvelle-Guinée, dans la baie de l'Astrolabe, près de la ville actuelle de Madang (côte est), chez les Orang Papuwah, les hommes aux cheveux crépus. Il y restera plus d'un an, vivant à la manière d’un Papou
- 19 décembre 1872 : un steamer russe, le Izoumroud, retrouve Mikloukho vivant sur la plage où il avait été laissé. Son cuisinier tahitien est mort, son domestique suédois moribond, lui-même est très affaibli par quatorze mois de séjour et des fièvres le conduisant au délire. Le 22 décembre, le Izoumroud l’embarque et lève l’ancre.
- 1873-1874 : deuxième séjour en Nouvelle-Guinée, au nord-ouest de la grande île. Il mène la lutte contre les pirates malais, parvenant même à capturer un des chefs.
- 1874-1876 : la colonisation avance très vite, trop vite à son goût, et il se résout à détruire une bonne partie de ses notes, ayant peur qu'en cas de publication, elles n'exposent des tribus isolées encore protégées de l'influence des Blancs.
- 1876-1877 : retour émouvant de celui que l'on appelle là-bas Maklaï, sur les lieux de son premier séjour papou.
- 1880-1881 : nouvelle mission en Nouvelle-Guinée, dans la région de la pointe sud, où il constate que les missionnaires déstructurent déjà considérablement la société indigène.
- 1882-1883 : très affaibli, Maklaï revient en Europe. Il sillonne les grandes villes et capitales, Saint-Pétersbourg, Paris, Londres, Berlin où il monte au créneau pour la défense de ses chers Papous. Il retourne pour la troisième fois dans la baie de l'Astrolabe (ce sera son dernier séjour en Nouvelle-Guinée).
- 2 avril 1888 : décès de Nikolaï Mikloukho-Maklaï en Russie, dans sa 42e année, épuisé par ses séjours prolongés en territoires vierges, victimes de fièvres, d'amibes, de bactéries, fatigué par son vain combat pour la création d'un Etat papou coupé du monde et de la civilisation corruptrice.
Un visionnaire incompris
Peut-on parler de succès ou doit-on parler d'échec lorsque l'on évoque la vie de Mikloukho Maklai qui fut, de son vivant, un géant méconnu (voire moqué) et qui est resté, aujourd'hui encore, dans un trop grand anonymat ?
Bien sûr, son ambition utopiste de créer un Etat papou préservé des méfaits de la civilisation, de la colonisation et de l'évangélisation, n'a jamais vu le jour. A l'époque, les puissances occidentales ne s'embarrassaient pas de ce genre d'utopie pour avancer leurs pions dans le vaste Pacifique, et d'ailleurs, aujourd'hui encore, dès que des enjeux miniers ou pétroliers sont en balance, rien ne se fait au bénéfice des indigènes.
Il n'empêche : l'anthropologie et l'ethnologie, comme les pratiquait Maklaï, n'avaient jamais été vécues avec la même intensité, le même engagement, la même sincérité.
On retrouvera, plus tard, cette démarche auprès d'autres grands noms de ces sciences, comme Claude Lévi-Strauss et même le jeune Paul Emile Victor, lors de son année passée seul sur la côte est du Groenland, à Kangerlussuatsiaq, au sein d'une famille Inuits, “Eskimo parmi les Eskimo”. Mais les progrès de la science leur permettaient de vivre parmi des peuples indigènes en témoins attentifs sans souffrir de toutes les affections qui ruinèrent la santé du Russe et qui lui coûtèrent la vie. Quant au combat politique de Maklaï, en faveur des Aborigènes comme des Papous et d'autres peuples du Pacifique, il n'a pas été mené en vain, puisque les droits fondamentaux des peuples autochtones ont, petit à petit, été reconnus ; il suffit de voir l'évolution du statut des Aborigènes en Australie ces dernières décennies pour s'en convaincre.
Sur ce plan, Maklaï avait raison, son seul tort étant d'avoir eu un siècle d'avance sur ses contemporains qui, pour la plupart, ne pouvaient comprendre la portée de ses travaux. A ce titre il est, et il restera, grâce à Tosltoï qui le pressa de publier ses notes pour faire passer son message, l'un des plus grands visionnaires du XIXe siècle en Océanie. Sa réussite est à chercher dans cette volonté qui fut la sienne. Maklaï est celui qui a planté la première graine d'un humanisme respectueux ; celui-ci ne fait que commencer à sortir de terre, plus de cent ans après sa mort…
Peut-on parler de succès ou doit-on parler d'échec lorsque l'on évoque la vie de Mikloukho Maklai qui fut, de son vivant, un géant méconnu (voire moqué) et qui est resté, aujourd'hui encore, dans un trop grand anonymat ?
Bien sûr, son ambition utopiste de créer un Etat papou préservé des méfaits de la civilisation, de la colonisation et de l'évangélisation, n'a jamais vu le jour. A l'époque, les puissances occidentales ne s'embarrassaient pas de ce genre d'utopie pour avancer leurs pions dans le vaste Pacifique, et d'ailleurs, aujourd'hui encore, dès que des enjeux miniers ou pétroliers sont en balance, rien ne se fait au bénéfice des indigènes.
Il n'empêche : l'anthropologie et l'ethnologie, comme les pratiquait Maklaï, n'avaient jamais été vécues avec la même intensité, le même engagement, la même sincérité.
On retrouvera, plus tard, cette démarche auprès d'autres grands noms de ces sciences, comme Claude Lévi-Strauss et même le jeune Paul Emile Victor, lors de son année passée seul sur la côte est du Groenland, à Kangerlussuatsiaq, au sein d'une famille Inuits, “Eskimo parmi les Eskimo”. Mais les progrès de la science leur permettaient de vivre parmi des peuples indigènes en témoins attentifs sans souffrir de toutes les affections qui ruinèrent la santé du Russe et qui lui coûtèrent la vie. Quant au combat politique de Maklaï, en faveur des Aborigènes comme des Papous et d'autres peuples du Pacifique, il n'a pas été mené en vain, puisque les droits fondamentaux des peuples autochtones ont, petit à petit, été reconnus ; il suffit de voir l'évolution du statut des Aborigènes en Australie ces dernières décennies pour s'en convaincre.
Sur ce plan, Maklaï avait raison, son seul tort étant d'avoir eu un siècle d'avance sur ses contemporains qui, pour la plupart, ne pouvaient comprendre la portée de ses travaux. A ce titre il est, et il restera, grâce à Tosltoï qui le pressa de publier ses notes pour faire passer son message, l'un des plus grands visionnaires du XIXe siècle en Océanie. Sa réussite est à chercher dans cette volonté qui fut la sienne. Maklaï est celui qui a planté la première graine d'un humanisme respectueux ; celui-ci ne fait que commencer à sortir de terre, plus de cent ans après sa mort…
La carte de la Papouasie Nouvelle-Guinée ; on distingue, au nord, Madang, au centre de la baie de l’Astrolabe, là où le jeune Russe commença ses travaux.
EXTRAIT : Face à la mort, “un petit somme”
Dans le cadre de son installation dans la baie de l’Astrolabe, lors de son premier séjour en Nouvelle-Guinée, Mikloukho vit une expérience violente, dont il se tirera avec détachement, désinvolture diront certains :
“ J’ai fait mon entrée sur la place. Des hommes armés de javelots q’y étaient regroupés (…). A mon arrivée, quelques javelots se sont levés et plusieurs des présents ont pris une attitude belliqueuse, prêts à me percer de leurs lances. (…) Soudain deux flèches, intentionnelles ou non, ont sifflé près de moi. Des mots vifs ont fusé, destinés sans doute aux archers (…) et j’ai compris que les indigènes avaient cherché à savoir comment je réagirais à la surprise d’une volée de flèches. (…) Deux ou trois hommes vociféraient en me lançant des regards hostiles A l’appui de leurs paroles, ils agitaient leurs javelots. L’un d’eux, particulièrement arrogant, a même failli me toucher l’œil ou le nez avec la pointe de son arme en prononçant une phrase à laquelle je n’ai évidemment rien compris (bien m’en avait pris de laisser mon revolver chez moi, car je n’étais pas sûr d’accueillir avec le même sang-froid une seconde tentative de ce genre, si mon adversaire s’avisait de récidiver). Situation saugrenue : ne sachant pas parler leur langue, j’aurais mieux fait de partir, mais j’avais terriblement sommeil. La route était longue jusqu’à chez moi. Pourquoi ne pas dormir sur place ? De toute façon, je ne pouvais pas me faire comprendre. Sans plus réfléchir, j’ai repéré un coin à l’ombre où j’ai traîné une natte neuve - à la vue de laquelle m’était venue l’idée de faire ici un petit somme. Et c’est avec une immense volupté que je me suis étiré dessus. Fermer mes yeux fatigués par la lumière du soleil fut un égal plaisir. Il me fallut pourtant les entrouvrir afin de dénouer les lacets de mes souliers, de déboucler mes guêtres, de défaire ma ceinture et de trouver quelque chose à me glisser sous la tête. J’au vu alors les indigènes se ranger autour de moi en demi-cercle, exprimant sans doute, outre leur étonnement, diverses suppositions sur l’évolution des événements. Une des dernières silhouettes que j’ai aperçues avant de refermer les yeux a été celle de l’indigène qui avait failli me blesser. Debout à quelques pas de moi, il examinait mes souliers. En repensant à l’incident, je me suis dit qu’il aurait pu se terminer beaucoup plus tragiquement et l’idée m’est soudain venue que ce n’était peut-être qu’un début, que le dénouement était encore à venir . Mais enfin, tant qu’à être tué, peu importait que ce fût debout, assis, couché sur une natte ou en plein sommeil. Puis j’ai pensé que si je devais mourir, l’idée de l’avoir fait payer de leur vie à deux, trois ou même six sauvages eût été une bien maigre consolation. De nouveau, je me suis félicité de ne pas avoir pris mon revolver. Je m’endormais la tête pleine du chant des d’oiseaux ”.
Le Russe s’endort réellement deux bonnes heures et trouve, à son réveil, quelques indigènes le regardant sans hostilité, assis à quelques pas de lui, désarmés. Regrettant de ne pouvoir leur parler, Mikloukho se rhabille (ce qui intéresse vivement ses hôtes), se lève et salue tout le monde de la tête avant de rentrer chez lui le plus naturellement du monde…
Dans le cadre de son installation dans la baie de l’Astrolabe, lors de son premier séjour en Nouvelle-Guinée, Mikloukho vit une expérience violente, dont il se tirera avec détachement, désinvolture diront certains :
“ J’ai fait mon entrée sur la place. Des hommes armés de javelots q’y étaient regroupés (…). A mon arrivée, quelques javelots se sont levés et plusieurs des présents ont pris une attitude belliqueuse, prêts à me percer de leurs lances. (…) Soudain deux flèches, intentionnelles ou non, ont sifflé près de moi. Des mots vifs ont fusé, destinés sans doute aux archers (…) et j’ai compris que les indigènes avaient cherché à savoir comment je réagirais à la surprise d’une volée de flèches. (…) Deux ou trois hommes vociféraient en me lançant des regards hostiles A l’appui de leurs paroles, ils agitaient leurs javelots. L’un d’eux, particulièrement arrogant, a même failli me toucher l’œil ou le nez avec la pointe de son arme en prononçant une phrase à laquelle je n’ai évidemment rien compris (bien m’en avait pris de laisser mon revolver chez moi, car je n’étais pas sûr d’accueillir avec le même sang-froid une seconde tentative de ce genre, si mon adversaire s’avisait de récidiver). Situation saugrenue : ne sachant pas parler leur langue, j’aurais mieux fait de partir, mais j’avais terriblement sommeil. La route était longue jusqu’à chez moi. Pourquoi ne pas dormir sur place ? De toute façon, je ne pouvais pas me faire comprendre. Sans plus réfléchir, j’ai repéré un coin à l’ombre où j’ai traîné une natte neuve - à la vue de laquelle m’était venue l’idée de faire ici un petit somme. Et c’est avec une immense volupté que je me suis étiré dessus. Fermer mes yeux fatigués par la lumière du soleil fut un égal plaisir. Il me fallut pourtant les entrouvrir afin de dénouer les lacets de mes souliers, de déboucler mes guêtres, de défaire ma ceinture et de trouver quelque chose à me glisser sous la tête. J’au vu alors les indigènes se ranger autour de moi en demi-cercle, exprimant sans doute, outre leur étonnement, diverses suppositions sur l’évolution des événements. Une des dernières silhouettes que j’ai aperçues avant de refermer les yeux a été celle de l’indigène qui avait failli me blesser. Debout à quelques pas de moi, il examinait mes souliers. En repensant à l’incident, je me suis dit qu’il aurait pu se terminer beaucoup plus tragiquement et l’idée m’est soudain venue que ce n’était peut-être qu’un début, que le dénouement était encore à venir . Mais enfin, tant qu’à être tué, peu importait que ce fût debout, assis, couché sur une natte ou en plein sommeil. Puis j’ai pensé que si je devais mourir, l’idée de l’avoir fait payer de leur vie à deux, trois ou même six sauvages eût été une bien maigre consolation. De nouveau, je me suis félicité de ne pas avoir pris mon revolver. Je m’endormais la tête pleine du chant des d’oiseaux ”.
Le Russe s’endort réellement deux bonnes heures et trouve, à son réveil, quelques indigènes le regardant sans hostilité, assis à quelques pas de lui, désarmés. Regrettant de ne pouvoir leur parler, Mikloukho se rhabille (ce qui intéresse vivement ses hôtes), se lève et salue tout le monde de la tête avant de rentrer chez lui le plus naturellement du monde…
Un portrait mis en scène de Nikolaï Mikloukho Maklai, réalisé en 1880 dans le Queensland. Il a 34 ans, et il est rongé par les maladies contractées en Nouvelle-Guinée.