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Mahea Reid, 31 ans, pilote : "On m'a beaucoup dit que c'était un métier d'hommes !"


© Air Tahiti Magazine - Philippe Ailloud.
© Air Tahiti Magazine - Philippe Ailloud.
PAPEETE, le 07 mars 2018 - Journée internationale des droits de la femme - Mahea Reid a 31 ans, elle exerce un métier pas comme les autres. Depuis deux ans, cette maman moderne, qui jongle entre vie professionnelle et vie de famille, est l'une des quatre femmes pilotes d'Air Tahiti. Pilote depuis onze ans, elle revient sur son parcours depuis qu'elle a trouvé sa vocation.

Quand as-tu décidé de devenir pilote ?
"Je sais que je veux être pilote depuis toute petite. Vers la 6e, j'ai eu la chance de monter dans un cockpit, c'est ce qui m'a donné envie. Je savais que c'était là que je voulais être. Cette idée ne m'a jamais vraiment quittée. Mes parents espéraient que j'oublie un peu parce que ce sont des études qui coûtent cher. Quand ils ont vu qu'en terminale j'étais bloquée dessus, ils ont compris qu'il n'était pas possible de faire marche arrière. Ils m'ont soutenue. Je suis parti directement après le baccalauréat, en 2005, pour faire des études de pilote dans une école privée à Nîmes. Passer de Raiatea à Nîmes, c'était un changement total. La formation a duré deux ans."

Qu'est-ce qui a été le plus dur pour toi ?
"Clairement, le froid. L'éloignement avec ma famille était très dur aussi. Mes parents m'appelaient tous les jours, c'est ce qui m'a fait tenir. Après, je n'avais pas le droit à l'erreur. Je savais ce que mes études coûtaient cher. Ils ont contracté un prêt pour que je puisse partir. Ça m'a motivée, je n'avais pas le choix, je devais y arriver. Je pense que c'est ça le premier moteur qui m'a permis de réussir. C'était ma motivation. "


© Air Tahiti Magazine - Philippe Ailloud.
© Air Tahiti Magazine - Philippe Ailloud.
Une fois sortie de l'école, qu'as-tu fait ?
"Après ma formation, je suis directement entrée à Air Moorea. J'y ai travaillé deux ans. J'ai retrouvé ma famille, mes amies, ma culture. Dès le début, mais surtout après ce premier retour, mon objectif était d'intégrer Air Tahiti. Je ne me vois pas travailler ailleurs qu'en Polynésie.
Après Air Moorea, j'ai attendu pendant cinq ou six ans avant d'entrer à Air Tahiti en 2016. Entre Air Moorea et Air Tahiti, ça a été une période compliquée. D'abord, je n'ai rien fait, puis je suis allée travailler en Guadeloupe. J'ai aussi fait des allers-retours. J'ai eu des CDD à Air Tahiti. J'ai travaillé un an aux opérations chez Air Tahiti Nui. Puis j'ai été recrutée chez Air Tahiti. Ça a été un peu la galère. Je suis vraiment tombée sur une période où c'était bouché. Il n'y avait aucune embauche."

C'est un monde très masculin, ce n'est pas trop dur d'évoluer dans un monde d'homme ?
"Bizarrement, au quotidien, non. C'était plutôt pendant ma formation que j'ai ressentie que le fait que je sois une femme dérangeait. J'ai eu droit à plusieurs remarques comme "hôtesse ce n'est pas ici!". J'ai eu la chance de réussir mes certifications du premier coup, mais au lieu de me féliciter, j'ai eu droit à des commentaires comme
"tu n'as pas fait exprès de réussir!" ou "c'était un coup de chance." Ce genre de remarque ne me touche pas, ça ne me démoralise, pas au contraire. Ça m'a donné envie de leur prouver que j'étais meilleure.
Depuis que je suis entrée dans la vie professionnelle, je n'ai jamais eu de problèmes avec mes collègues de travail. Au contraire, j'ai toujours été bien accueillie et soutenue. Aujourd'hui, nous sommes quatre femmes pilotes à Air Tahiti."

Depuis que tu es pilote, as-tu rencontré des difficultés dans l'exercice de ton métier parce que tu es une femme ?
"Non. En revanche, les passagers font des remarques. Généralement, ce sont des commentaires positifs, mais parfois il y a des passagers qui ne sont vraiment pas contents de voir qu'un des pilotes est une femme. En deux ans, c'est arrivé une fois. Un homme m'a clairement fait comprendre que ça le dérangeait que je sois copilote. Mon commandant de bord m'a soutenue. Après que j'ai atterri l'avion, il n'a pas manqué de l'annoncer aux passagers et a remis chacun à sa place."

Qu'est-ce que tu aimes de ton métier ?
"J'aime que ce ne soit pas tous les jours la même chose. Il n'y a pas vraiment de routine. J'aime que ça bouge. Clairement, je ne sais pas rester en place. On voit de belles choses tous les jours, on n'a pas à se plaindre. On a la chance de voir les îles que beaucoup de gens n'ont pas la chance de voir, même si c'est juste les survoler, s'y poser et repartir.
Je dois reconnaître qu'enfant, on m'a beaucoup dit que c'était un métier d'hommes. Ça m'a encore plus confortée dans ma décision. Nous, les femmes, nous pouvons aussi y arriver."
Je ne sais pas si, dans dix ans, j'aurais toujours le même discours. Pour l'instant, je me vois toujours à Air Tahiti. Je ne me vois pas faire du long courrier, parce que je suis très famille. Après, on ne sait pas de quoi la vie est faite."

De bons souvenirs en vol ?
"Oui, bien sûr ! Mon premier vol : c'était génial (rires). Mon tout premier vol sur l'ATR était incroyable. Mon premier vol à Air Tahiti, ça a été quelque chose… Mon vol le plus émouvant a été mon premier vol à Raiatea. (Sourire nostalgique) mes parents et mes grands-parents m'attendaient à l'aéroport avec des fleurs. C'était quelques jours après mon premier vol en compagnie. C'est le souvenir le plus marquant. Ma famille m'attendait, les larmes aux yeux. Ils étaient fiers et contents, ça faisait tellement longtemps qu'on attendait que je sois embauchée."

Mahea Reid, 31 ans, pilote : "On m'a beaucoup dit que c'était un métier d'hommes !"
Comment arrives-tu à allier ton travail, tes passions et ta vie de famille ?
"Ce n'est pas évident. Je trouve déjà que je ne passe pas assez de temps avec ma famille. Nous avons des horaires décalés, je prends le service soit tôt le matin pour finir l'après-midi ou l'après-midi pour finir le soir. Parfois, je peux déposer et récupérer le petit à l'école. D'autres fois, je ne le verrai pas le soir, pendant une semaine, parce que je finis trop tard. Où quand je travaille le week-end.

Pour ce qui est des passions, c'est la danse. Je dansais dans la base de Tahiti Ora. Mais depuis que j'ai le petit, j'ai dû lever le pied. J'essaie quand même de faire le Hura Tapairu une fois par an, mais je ne peux plus danser comme avant. Allier le travail et la danse, c'est possible, mais allier le travail, la danse et la vie de famille, c'est trop. Je préfère privilégier ma famille et voir mon petit grandir. Aujourd'hui, mes priorités ont changé et je prends plus de plaisir à m'occuper de lui qu'à danser."

Où te vois-tu dans 10 ans ?
"Pour moi, le rêve serait d'être à Raiatea et de faire ce métier. Il n'y a pas de base, là-bas. Mon rêve serait de vivre chez moi et de faire le métier que j'aime.

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Mercredi 7 Mars 2018 à 16:21 | Lu 54584 fois