Magouilles à l'aéroport de Tahiti : les prévenus s'organisent en défense


La grande salle d'audience du palais de justice était comble, ce lundi, avec ses 25 prévenus pour autant d'avocats.
PAPEETE, le 4 avril 2016 - Le procès des treize douaniers, sept PNC et trois agents de change de l'aéroport poursuivis pour concussion, importation de marchandises sans déclaration ou encore fausse attestation sur l'honneur s'est ouvert ce lundi, malgré quelques demandes en nullité formulées par les avocats et visant l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction.


Vingt-cinq prévenus, presque autant d'avocats, la grande salle du palais de justice était comble, ce lundi matin, pour l'ouverture du procès de ces douaniers, personnels navigants commerciaux et autres agents de change de la plateforme aéroportuaire de Tahiti-Faa'a, renvoyés devant le tribunal correctionnel pour toute une série de petits arrangements entre amis. Il leur est reproché d'avoir, entre 2008 et 2011, abusé des prérogatives liées à leurs fonctions pour s'arroger un certain nombre de passe-droits en lien les uns avec les autres.

Des faits reconnus... puis contestés

L'affaire avait éclaté avec l'interpellation à sa descente d'avion par les gendarmes, en septembre 2011, d'un garagiste soupçonné d'importer de l'ice dans les pièces auto qu'il convoyait depuis les Etats-Unis. Si l'enquête a établi que l'équipe de douaniers impliqués dans ce dossier de concussion ignorait tout du trafic de drogue, les investigations incidentes ont permis de découvrir que les agents concernés entretenaient en revanche des rapports très particuliers avec ce client, qui pouvait faire rentrer sa marchandise les yeux fermés, en s'acquittant de droits de douanes largement minimisés. En échange, il leur fournissait des pièces et de la main d'œuvre à bon prix.

Condamné en 2014 à 7 ans de prison pour le trafic d'ice, c'est depuis le box des prévenus que le mécanicien a été invité à s'expliquer ce lundi. Et l'homme ne s'est pas montré très bavard : "Lors du dernier voyage (avant l'interpellation, Ndlr) j'avais pour 1 800 dollars de marchandises sur quatre chariots. Il –le douanier- m'a dit : "C'est bon, passe". Mais pourtant je souhaitais déclarer !". Et que c'était pareil à chaque fois, et l'homme de laisser entendre que si les douaniers ne faisaient pas correctement leur travail, il n'y pouvait pas grand-chose.

12,6 millions de francs de marchandise non déclarée

Au président du tribunal qui lui demande comment son fils, également impliqué, pouvait entrer sans contrôle en zone sous douane depuis l'aérogare récupérer la marchandise à sa place, là encore, le garagiste dont la proximité de longue date avec certains douaniers est avérée, botte en touche : "Je ne sais pas, faut lui demander". Ce sera fait demain mardi a promis le magistrat, pour le deuxième jour du procès. Le garagiste qui explique enfin négligemment qu'il établissait des factures qui tenaient plus d'une estimation de la valeur de sa marchandise quand de l'autre côté, les douaniers concernés lui appliquaient systématiquement une "taxation forfaitaire". Sans chercher plus loin. Les calculs des enquêteurs font tout de même état de 12,6 millions de francs de marchandise non déclarée pour 5,2 millions de taxes non perçues...

L'une des taxatrices, justement, chargée de recouvrir l'argent, lui a emboité le pas à la barre des prévenus. Après avoir reconnu les faits lors de sa garde à vue à la gendarmerie, elle-même mise en cause par des collègues, l'heure est aujourd'hui à la rétraction. Et celle qui avait raconté obéir aux ordres de son chef de service, qui fixait les taxes personnalisées à appliquer au garagiste, d'attaquer frontalement les gendarmes qui l'ont auditionnée : "Je sortais d'une longue vacation, j'étais fatiguée, je ne m'attendais pas à une telle pression de leur part, ils m'ont fait des menaces hors de la présence de mon avocat". "Généralement en garde à vue, on ne vous sert pas du thé avec des petits gâteaux madame", a ironisé le président, quand l'un des assesseurs se demande pourquoi elle n'en a pas fait état à l'époque si tant est que ses accusations soient avérées. Pas de réponse.

La douanière qui avait également raconté à l'époque comment certains de ses co-prévenus, agents de change, bénéficiaient de passe-droits en échange de taux de change préférentiels pour faire entrer du tabac et de l'alcool, quand elle-même avait bénéficié de billets GP vers Los Angeles, New York, Tokyo, Paris ou encore dans les îles en établissant un certificat de concubinage avec un personnel d'ATN sur la base d'une prétendue liaison de quelques mois. Le procès reprend aujourd'hui.


Légende 2 : Les gendarmes avaient perquisitionné les bureaux des douanes à l'aéroport au tout début de l'enquête.

Les parties civiles vont réclamer "des dizaines de millions de francs"

L'Etat, le Pays et la compagnie aérienne Air Tahiti Nui sont parties civiles à ce procès. L'avocat du Pays, Me Maillard, devrait demander à l'issue des débats, si le tribunal venait à entrer en voie de condamnation, que la juridiction condamne aussi les prévenus du volet douanier de l'affaire à indemniser la Polynésie française pour son préjudice moral. Des peines d'amende complémentaires qui pourraient se monter "à plusieurs dizaines de millions de francs" selon l'avocat pour qui "l'affaire a sérieusement entachée l'image du pays".

S'agissant du volet "billets GP" du dossier, ces billets à tarifs préférentiels indûment obtenus grâce à des certificats de concubinage de complaisance réalisés avec la complicité des PNC mis en cause, la compagnie au tiare estime son préjudice à 9 millions de francs sur la période visée par la prévention, entre 2008 et 2011.

15 % des effectifs douaniers mis en examen

Dire que cette affaire avait ébranlée la direction régionale des douanes en Polynésie française est un euphémisme. Si treize de ces agents sont aujourd'hui renvoyés devant le tribunal, jusqu'à 15 % de l'effectif avait été mis en examen à l'époque de l'enquête. La direction régionale des douanes attend maintenant la décision du tribunal. Les agents qui seraient reconnus coupables judiciairement s'exposeront alors à un examen administratif de leur dossier en commission mixte paritaire en présence de la direction générale des douanes. Des sanctions allant jusqu'à la révocation des intéressés pourraient être prises.

Rédigé par Raphaël Pierre le Lundi 4 Avril 2016 à 18:42 | Lu 5251 fois