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Magali Jeanteur, à la rencontre des soignants des îles


Tahiti, le 3 avril 2024 - Elle est, entre autres, médecin d’urgence, navigatrice et fondatrice de l’association Trait d’union soignants des îles (Tusi). Magali Jeanteur vient de larguer les amarres à Taravao, elle a mis le cap sur les Tuamotu via les îles Sous-le-Vent. Son objectif ? Aller à la rencontre des soignants isolés pour créer une communauté. Elle annonce vouloir, après la Polynésie, faire escale dans tous les outremers.

Le navire de Magali Jeanteur s’est refait une santé à la marina de Taravao. Cet Atlantis 370 (plan Caroff), baptisé Tu’ati manuia, est un ambassadeur mis à disposition de l’association Trait d’union soignants des îles (Tusi) pour relier les professionnels de santé des îles. “Mon objectif”, explique la navigatrice qui a fondé Tusi, “est de fédérer, de faire naître un sentiment d’appartenance, un élan de solidarité entre les soignants, qu’ils soient médecins, infirmiers, agents techniques ou encore travailleurs sociaux”. Tusi entend créer une communauté de professionnels du soin en milieu insulaire, tisser un lien solidaire entre les acteurs de santé des îles du monde. Magali Jeanteur souhaite donner la parole à celles et ceux qui sont seuls, leur permettre d’échanger sur leurs pratiques et leurs problématiques souvent communes. Elle espère (re)donner à ces derniers le goût d’exercer correctement. Elle a pris soin de son embarcation et vient de lever l’ancre en direction des îles Sous-le-Vent puis des Tuamotu.
 
On a eu en moyenne une panne par jour !”
 
Tu’ati manuia mesure à peine 12 mètres de long, il a été conçu de manière à naviguer partout y compris dans les atolls coralliens. Il est léger et manœuvrable en solo. Magali Jeanteur l’a acquis fin décembre 2020, il a été baptisé le 5 mars 2022 à Nantes par le père Thierry Anne, jésuite navigateur, et a pour parrain Benjamin Dutreux, coureur Imoca. Il a dû subir une série de travaux importants pour pouvoir entreprendre son grand voyage océanique.
 
Les travaux ont consisté par exemple à installer des panneaux solaires, un hydrogénérateur, un groupe électrogène et dix batteries pour la production et le stockage d’énergie, un dessalinisateur pour la production en eau douce, ses réserves en eau ont été doublées ainsi que sa capacité cuves de gazole (propulsion et chauffage). L’objectif ? Le rendre autonome sur le plan énergétique afin de ne pas peser sur les populations locales des îles éloignées et doué de capacités d’informatique et de communications pour partager l’aventure.
 
Ces travaux ont duré une année, ils ont été suivis de près par sa propriétaire. “J’ai participé activement à sa remise en forme pour le connaître parfaitement, pour être capable d’effectuer les réparations nécessaires y compris au niveau du moteur en cas de besoin.” Ce qui n’était pas du luxe. “Pendant la Transatlantique, on a eu en moyenne une panne par jour !”
 
Un équipage tournant
 
L’aventure Tusi a démarré par une grande fête sur le quai Sainte-Anne à Nantes le 22 mars 2022. Puis Magali Jeanteur et son équipage ont gagné Madère, la Martinique, Grenade, les San Blas, les Gambier, les Marquises, les Tuamotu et enfin Tahiti. Le voyage a été entrecoupé de plusieurs allers-retours vers la France. Tout au long du parcours, l’équipage a changé. Il est composé de volontaires, d’adhérents de l’association et de soignants (en priorité mais pas exclusivement) qui partagent les valeurs de Tusi.
 
Magali Jeanteur a un “parcours atypique”. Elle s’est tout d’abord formée à la médecine générale. Elle a choisi cette voie car elle aime les gens”. Elle a exercé, une fois diplômée, en gériatrie et soins palliatifs dans les Yvelines jusqu’à ce jour qui a bouleversé sa vie. Son mari a eu un grave accident. “Un cataclysme.” Vingt-sept ans plus tard, il est encore à l’hôpital. Il a perdu l’usage de la parole et de son corps à l’exception d’un pouce. Quand le drame est arrivé, Magali Jeanteur avait 31 ans, elle était mère de trois enfants en bas âge, qui avaient entre 6 mois et 4 ans. Elle a alors décidé de se former à la médecine d’urgence pour comprendre la prise en charge.
 
Elle est aussi devenue, plus tard, médecin pompier et s’est lancée dans la formation. Elle a notamment conçu avec Jean-Yves Chauve, à la fin des années 1990, une formation médicale adaptée aux coureurs du Vendée Globe. Les organisateurs de la course, suite à l’année noire de l’édition 1996-1997 (ils n’ont été que six à terminer la course, plusieurs disparitions et naufrages ont été à déplorer), cherchaient à former les marins aux gestes médicaux à pratiquer en urgence. Depuis, cette formation que Magali Jeanteur a dispensée pendant deux ans a été déclinée pour tous les marins pêcheurs professionnels. 
 
Par la suite, elle a travaillé aux urgences, est retournée à la gériatrie et est entrée dans une organisation non gouvernementale tout en se formant et en prenant soin de sa famille. Elle a pris le poste de responsable médicale en France. Elle a formé des professionnels de différents pays (Turquie, Maroc, États-Unis) et a été envoyée à Madagascar en 2017 lors d’inondations ou encore en Turquie lors du terrible tremblement de terre en 2023. Elle a œuvré dans une société de médecine de catastrophe, formant des guides de haute montagne au Népal ou la sécurité civile de Mongolie.
 
Quand cela a été possible – ses filles étaient grandes et autonomes et la santé de son mari stabilisée –, elle a décidé de faire un break. Elle s’est lancée dans un tour du monde à la voile. “J’ai toujours navigué, c’est quelque chose que j’ai dans le sang. Mais il me fallait un fil rouge avant de partir." Et c’est ainsi qu’est née, en novembre 2021, l’association Traits d’union soignants des îles (Tusi).
 
Depuis le Covid, c’est l’hémorragie
 
“Depuis le Covid, c’est l’hémorragie”, constate Magali Jeanteur. Médecins, infirmiers et aides-soignants baissent les bras en masse et se réorientent. Ceux qui restent souffrent. Magali Jeanteur a vu et vécu la solidarité pendant l’épidémie. “On s’est tous serré les coudes et j’ai cru que cela allait durer, mais chacun est retourné à son quotidien”, regrette-t-elle, sans pour autant juger la situation. “J’ai voulu aller voir comment c’était ailleurs.
 
Pendant deux ans, Tusi a grandi. L’association s’est fait connaître. Magali Jeanteur a recueilli un grand nombre de témoignages. Ils sont en ligne sur le site internet de l’association. Entre mars 2022 et août 2023, elle a rencontré 33 soignants. Les besoins et attentes des soignants ont fait surface. Un webinaire a été lancé. Il a lieu une fois par mois et il donne, en plus d’apporter des connaissances, l’occasion aux participants d’échanger. Plus tard, Tusi pourrait également mettre à disposition des adhérents des outils adaptés aux soins en milieu insulaire, faire des liens avec le milieu éducatif. “Mais attention, les îles ne sont pas des laboratoires, ce sont des prismes de ce qui se passe ailleurs”, prévient Magali Jeanteur qui rêve de voir la communauté grandir encore et se consolider. Elle annonce revenir à Tahiti fin avril puis elle fera un aller-retour en France pour retrouver son mari qui a toujours besoin de soins. Elle envisage de partir aux Australes en juin. Elle ira plus tard jusqu’aux Samoa, à Fidji, à Wallis-et-Futuna et en Nouvelle-Calédonie, puis aux Terres australes et antarctiques françaises, en Guyane et dans les Caraïbes, à Saint-Pierre-et-Miquelon et, enfin, dans les îles du Ponant.

Contacts

Site internet : https://soignantsdesiles.org/
Facebook : Trait d'union soignants des îles - Tusi
Mail : [email protected]

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 3 Avril 2024 à 16:26 | Lu 2721 fois