Machisme, harcèlement sexuel : le témoignage de l'élue Sandra Levy-Agami


Dominique Strauss-Kahn, Georges Tron…Malgré la présomption d’innocence qui leur est due, ces figures de la politique française font face à des témoignages accablants qui font réfléchir la société française toute entière. Y compris sur les travers les plus banals du machisme ordinaire des hommes "de pouvoir".

Au Parlement, au gouvernement central, les femmes racontent à visage découvert ce qu’on sait déjà : difficile de se faire une place dans un monde d'hommes qui évolue parfois plus lentement qu’on ne le voudrait. Réflexions sexistes sur une tenue, drague déplacée, machisme de bas étage, autant de comportements de basse-cour que beaucoup de femmes ont dû supporter au cours de leur carrière.

Au delà des affaires judiciaires qui défraient la chronique, il y a l’exaspération, et même la souffrance, celles des femmes qui n’ont pas su dire non. Pour briser le silence, une femme, et non des moindres, a accepté de raconter son expérience personnelle à Tahiti Infos. Sandra Levy-Agami est aujourd’hui une femme épanouie, élue non-inscrite qui mène une carrière politique hors des sentiers battus. Elle n’en a pas moins dû trouver la force de dire non aux requêtes insistantes, magré la crainte de mettre sa carrière entre parenthèses. Elle-même victime de harcèlement sexuel par le passé, elle raconte son expérience, et son combat pour les droits des femmes.

Tahiti Infos: Quelle est la situation de la femme en politique en Polynésie à l’heure actuelle ?

Sandra Levy-Agami : Je fais partie des femmes qui ont bénéficié de la loi sur la parité en 2000. Elle a permis à un maximum de femmes de faire leur entrée à l’assemblée de Polynésie française en 2008 ; et c’est vrai que ce n’était pas évident car le lieu était plus ou moins réservé aux hommes… On va dire qu’on a essuyé les plâtres pour celles qui arriveront après. Cette parité, c’était un cadeau pour nous, mais en même temps on n’avait pas été formées à rentrer en politique. Et quand on est arrivées, les hommes ont été interloqués de voir qu’il y avait des femmes qui pouvaient ouvrir leur bouche, dire qu’elles n’étaient pas d’accord, argumenter...Ils n’y étaient pas habitués.

En métropole les langues se sont un peu déliées. Les femmes politiques parlent plus facilement du machisme dont elles sont victimes. Est-ce quelque chose que vous avez ressenti, vous ?

Je l’ai vécu comme toutes les femmes, mais plus dans le milieu professionnel que dans le milieu politique. C’est certainement aussi que j’étais alors une jeune fille, alors qu’en arrivant en politique, j’étais une maman et une épouse. Bon j’ai eu des propositions aussi mais comme on dit, l’homme propose, la femme dispose. Ce qui est difficile à acquérir, c’est la capacité de savoir dire non.

De quel type de harcèlement une femme peut-elle être victime dans le milieu professionnel ?

Ce sont des propositions qui sont faites, on les refuse mais la personne qui est en face use de son autorité pour faire comprendre qu’on a tout intérêt à accepter la proposition, et puis si on refuse, on le paie derrière. On vous donne plus de travail, parfois des tâches impossibles comme rendre un rapport en quelques heures au lieu de plusieurs jours…

C’est quelque chose que vous avez vécu ?

Oui je l’ai vécu. Lorsque nous avons créé l’association Vahine Orama, qui défend les droits des femmes en Polynésie, l’objectif était justement de faire connaître leurs droits aux femmes. Qu’elles sachent dire non, et qu’elles puissent dire que c’est leur droit. La chance que j’ai, c’est que j’ai une famille soudée et que mon éducation m’a appris à faire face à ces difficultés, mais j’imagine qu’une femme qui n’a pas ces armes peut très rapidement sombrer dans la dépression, voire envisager de quitter son emploi.

Des femmes qui avaient ces difficultés sont-elles venues vous voir ?

Oui c’est arrivé. J’ai vu des cas de discriminations aussi. A compétences égales, on va plus facilement demander à une femme de servir le café ou de faire les photocopies. Il faut refuser que ce type de demandes ne s’adresse qu’aux femmes dans une entreprise, et pour cela il faut être forte psychologiquement.

Quand vous avez vous même été victime de harcèlement, comment avez-vous réagi ?

J’ai été parfaite au travail. Irréprochable. Je ne comptais pas mes heures et quand je rentrais à la maison, je me confiais à mon époux pour tenir le coup, en me disant que la personne qui me harcelait n’était pas là pour très longtemps. Donc j’ai refusé de mettre en péril ma carrière et mon mariage à cause de cette personne.

Comment vous expliquez ce comportement ? Une volonté d’exprimer la domination masculine face à des femmes qui s’émancipent ?

Je pense que c’est pour mettre une personne sous sa coupe. (Elle sourit) C’est pour cela que maintenant que je suis de l’autre côté de la barrière et que j’ai des responsabilités, je ne harcèle pas les pauvres petits stagiaires ! (Rires) Mais vraiment je mets en garde les jeunes femmes, car dans tout cela il y a aussi beaucoup de naïveté de la part de jeunes filles qui acceptent des invitations ou des avantages professionnels sans faire attention aux « compensations » qu’une personne mal intentionnée attend derrière. Moi je passe le message aux femmes : il faut être claire dès le départ avec son supérieur hiérarchique. Le problème c’est que certains ne veulent pas entendre le message.

Et dans le milieu politique ?

Je pense que ça existe. Mais je ne jetterai pas la pierre aux femmes qui accèdent à ces postes par ces moyens là, surtout si elles n’ont pas de diplôme. L’important, c’est ce que ces femmes là se sentent bien. Mais mon message aux femmes c’est de se former pour ne rien devoir à ce type d’hommes. A un moment donné il faut s’émanciper et pouvoir se regarder dans la glace en se disant : si je suis là aujourd’hui, c’est grâce à mon travail, et pas parce que j’ai couché avec pierre-paul-jacques. C’est quand même autrement plus satisfaisant.

Mais certains hommes politiques ne jouent-ils pas de leur pouvoir dominateur sur certaines femmes ?

Je pense que ça a existé. Quand j’étais étudiante, avec une bande de copines dont faisait partie Nicole Bouteau à l‘époque, on avait fait un peu de mannequinat, et nous ne sommes pas restées dans ce milieu là parce que c’était un peu la basse-cour dans laquelle les hommes politiques venaient se « fournir ». Derrière l’apparat et l’apparence, il y avait des choses pas très reluisantes…

Vous décrivez un peu le milieu des Miss là ?

Il y a des femmes qui acceptent le deal et d’autres qui disent non. C’était pareil pour les entretiens d’embauche. A une époque, ils étaient très souvent soumis à compensation. Là je n’invente rien, beaucoup peuvent témoigner : on te dit que tu intéresses, et plus si affinités…

Et là encore vous parlez d’une expérience personnelle ?

Oui…bien sûr. Pour des entretiens dans le privé et dans les satellites du pays. Et des jeunes femmes me l’ont décrit également. Mais j’estime qu’on ne fait pas des études pour finir dans le lit de certains, on fait des études pour être recrutée par rapport à ses compétences, et pas à ce qu’on peut « offrir » à ses employeurs.

La Polynésie, c’est tout petit, tout se sait. Et ce que ça rend plus difficile la dénonciation de ce type de comportements ?

Une femme qui est sous la coupe de son employeur ne portera pas plainte car elle risque de mettre en péril sa carrière, son foyer. Moi je ne l’ai pas fait, même si j’ai été à deux doigts de le faire, quand le harcèlement "de trop" a failli me faire craquer... tout ça parce que j’avais dit non. Mes supérieurs hiérarchiques m’ont dit « pas d’esclandre, ça va se calmer ». Et quand cette personne est partie, on s’est rendu compte qu’on était plusieurs à avoir vécu la même chose. On a toutes vidé notre sac. Le harcèlement, c’est des petites pierres qui s’amoncellent, et souvent, on met du temps à s’en rendre compte, pour ne pas dire qu’on s’y habitue.

Avez-vous connaissance de tels comportements dans la politique aujourd’hui ?

Si j’en avais connaissance je serai la première à porter plainte. Et j’encourage les femmes qui en sont victimes à venir me voir, je les aiderai, quitte à me retrouver opposée à mes collègues à l’assemblée. Il faut pouvoir poursuivre l’employeur qui inflige un harcèlement moral ou sexuel à l’égard des femmes. Je prépare un texte qui sera présenté à l'assemblée après un autre texte sur l’égalité salariale, un autre point qui me tient à coeur. Certaines femmes touchent 20 à 30% de moins qu’un homme à compétences égales ! Cette loi est en cours de finalisation, je vais entamer des consultations pour voir si elle peut être améliorée, puis elle sera présentée au ministre du travail et à mes collègues féminines de l’assemblée car j’aimerais qu’elles cosignent ce texte. Il nous manque en Polynésie certaines dispositions légales, notamment celles qui permettent de sanctionner l’employeur. C’est l’un des travers de l’autonomie puisque tout n’a pas été transcrit dans le droit du travail polynésien.

Et un gouvernement qui compte une seule femme, ça vous évoque quoi?

(Sourire) Je pense qu'ils ont peur de nous !

Rédigé par F K le Lundi 6 Juin 2011 à 21:16 | Lu 3562 fois