Lola : être femme et marin ce n’est pas si facile


Lola 34 ans, second maître à bord du Prairial entrée depuis 13 ans dans la marine nationale est l’une des 10 femmes de l’équipage de cette frégate de surveillance.
PAPEETE, le 25 juin 2015. La semaine dernière, samedi après-midi le Prairial, une frégate de surveillance de la marine nationale française est revenue à son port d’attache à Papeete après trois mois de mission dans le Pacifique. Sur les 95 marins qui composent l’équipage, dix sont des femmes. Rencontre avec l’une d’elles.

Les femmes dans la marine nationale française ? C’est de l’histoire ancienne, elles peuvent porter l’uniforme depuis un siècle. Mais on est bien loin encore de la parité homme/femme. Les femmes sont d’abord affectées, pendant la première guerre mondiale, au service de santé des armées. Elles occupent ensuite essentiellement des postes administratifs durant plusieurs décennies. La première expérimentation d’embarquement de femmes volontaires se déroule entre 1983 et 1987.
De fait, il faut attendre 1992 avec l’ouverture aux femmes du concours d’entrée à l’école navale pour que l’on puisse considérer que la féminisation de la marine a fait son chemin. Et encore, tout n’est pas autorisé aux filles. Elles sont soumises à des quotas d’entrée (pas plus de 10% des effectifs) et certaines spécialités leur sont encore refusées (sous-marins, fusiliers commandos et équipages d’avions embarqués). Même si l’espace confiné d’un sous-marin nucléaire sera ouvert à trois femmes à partir de 2017.

Mais qu’est-ce qui pousse des jeunes femmes à choisir la filière de la marine nationale, avec sa promiscuité de la vie à bord dans des espaces restreints ? A vrai dire, leurs réponses sont assez identiques à celles que l’on entend de la part des garçons. Lola, second maître à bord du Prairial répond sans détours à cette interrogation : "la mer". Comme si c’était une évidence. Entrée dans la marine nationale depuis 2002, sur les conseils de sa mère qui aurait voulu être pilote, Lola a aujourd’hui 34 ans et a atteint le premier grade de sous-officier. Elle "n’embarque" que depuis 2008, mais c’est là véritablement qu’elle a trouvé sa raison d’être dans la marine. Même si ses fonctions à bord n’ont rien ni de naval, ni de militaire : elle est affectée au secrétariat du capitaine de frégate.

UN REVE DE PETITE FILLE

Aujourd’hui, avec une dizaine de missions au long cours derrière elle, "une expérience exceptionnelle", et presque trois ans en Polynésie "un rêve de petite fille", Lola semble pourtant avoir fait le tour de la question. A son retour ce samedi, à peine débarquée du Prairial elle retient essentiellement de la mission, tous "les imprévus" qui ont alourdi l’atmosphère de ces trois mois à bord. Des pannes notamment, des problèmes lors de certaines escales. Et puis, ce parcours dans le Pacifique jusqu’aux rivages de l’Amérique du Sud, elle l’avait déjà fait ! Une façon peut-être de ne pas nourrir de regrets, alors que son départ de la Polynésie approche à grand pas.

Dans quelques semaines seulement, elle va rejoindre la Fremm Languedoc dont le port d’attache sera à Toulon. Mise à l’eau l’an dernier cette frégate multimissions de nouvelle génération doit être capable d’assurer des missions polyvalentes de défense anti-aérienne mais aussi de lutte anti-surface et anti-sous-marine. La Fremm Languedoc prendra la mer, au mieux, en septembre prochain avec Lola à son bord pour son voyage inaugural.

UNE VIE DE FEMME TRONQUEE

A l’arrivée, samedi à Papeete du Prairial, Lola est surtout un peu amère au sujet de sa condition de femme dans la marine nationale. Elle voit sur les quais les familles qui attendent, les épouses qui enlacent les maris après trois mois de séparation, des enfants qui serrent les mains des papas si longtemps partis. Tous ont des sourires radieux, un étonnement franc à redécouvrir l’autre. Mais personne n’est là pour l’attendre. Ni elle, ni visiblement aucune des dix jeunes femmes à bord. Comme le prix à payer de son rêve d’enfant. "Je suis parvenue à mes fins : être dans la marine, mais je n’ai pas de vie de famille. Les hommes, eux, peuvent faire les deux à la fois : être marin et avoir une famille. Nous, les femmes, on ne peut pas, ça ne marche pas. Nous toutes qui sommes à bord, nous passons à côté de toute cette vie familiale".

C’est sans doute pour ça que pour Lola n’embarquera certainement pas aussi souvent dans l’avenir. Elle pense même qu’elle arrêtera bientôt "les missions à l’extérieur". Le besoin d’une autre vie après sept ans de ses jeunes années, parmi les plus riches, où elle a passé la moitié de son temps en mer. Même si elle a vu des pays lointains, des îles paradisiaques et des océans turquoise. Même si elle a vécu des expériences extraordinaires, Lola est comme Ulysse qui "a fait un beau voyage" mais qui à l’âge de raison doit enfin se poser quelque part.



Rédigé par Mireille Loubet le Jeudi 25 Juin 2015 à 11:20 | Lu 4281 fois