Loin du cyborg, l'armée française veut un "soldat augmenté" éthique


Paris, France | AFP | vendredi 04/12/2020 - Opération des yeux pour voir la nuit ou jumelles de vision nocturne, implant corporel pour délivrer automatiquement une hormone antistress: les évolutions technologiques conduisent l'armée française à se préparer au futur "soldat augmenté". Tout en fixant des "lignes rouges".

Cyborg déshumanisé ou super-héros doté de pouvoirs surhumains, "la perspective d'un combattant aux ressources physiques et cognitives transformées par la technologie" a été "longtemps cantonnée au champ de la science-fiction", résume le chercheur Jean-Christophe Noël. Cela "semble de moins en moins éloignée de la réalité", écrit-il dans une note de l'Institut français des relations internationale (Ifri).

D'où la création par la ministre des Armées Florence Parly d'un comité d'éthique de la Défense, chargé de réfléchir à ces enjeux. Avec le souci de maintenir la capacité d'action de l'armée tout en préservant ses valeurs, les principes du droit et la dignité humaine.

Dans les faits, l'homme a toujours cherché à augmenter ses capacités, des jumelles pour voir aux armures et boucliers pour se protéger.

Le second conflit mondial n'a pas fait exception. C'était une "guerre sous amphétamines", utilisées tant du côté alliés qu'allemand pour accroître la vigilance et résister à la fatigue, rappelle le professeur en philosophie des sciences Pascal Nouvel dans les Cahiers de la Revue Défense nationale.

Depuis, recherches et innovations se succèdent pour stimuler les facultés physiques ou cognitives du combattant dans le but de renforcer son efficacité. Autrement dit, en faire un "soldat augmenté".

Plusieurs prototypes d'exosquelettes permettant de porter des charges plus lourdes ont été mis au point dans le monde. Dans certains hélicoptères d'attaque, la direction du canon est asservie à la direction du regard du pilote grâce à son casque.

Des opérations de la cornée pour accroître l'acuité visuelle de 20% "semblent avoir déjà été effectuées dans certaines armées étrangères sur des volontaires", relevait même Gérard de Boisboissel, du centre de recherche de l'académie militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan (CREC) lors d'un colloque fin 2019.

"De plus en plus de technologies sortiront l'homme de ses limites naturelles et l'un des enjeux consistera finalement à définir le degré nécessaire de contrôle humain", décrypte-t-on au cabinet de la ministre.

L'armée française s'interdit les augmentations "invasives", touchant au corps du soldat. Les seules de ce type autorisées, détaille le comité dans son rapport rendu public vendredi, sont la prise de caféine, d'antipaludéens, les injections de vaccins ou d'antidouleurs en cas de blessure grave.

Pour autant, il est "impératif de ne pas inhiber la recherche sur le soldat augmenté (...) afin d'éviter tout risque de décrochage capacitaire de nos armées", estime-t-il.

 Oui à Iron Man, non à Spiderman 

Certaines augmentations invasives pourraient donc, dans des conditions strictes de contrôle par le service de santé des armées, être permises à l'avenir.

Dans le monde civil, plusieurs milliers de salariés en Suède ont accepté de se faire greffer une puce sous la peau pour faciliter leur accès au locaux de leur société, selon Gérard de Boisboissel.

Dans le monde militaire, cela pourrait se traduire par une puce permettant au combattant d'être géolocalisé en temps réel et d'éviter par exemple les tirs fratricides.

Il faut "toujours rechercher des alternatives" à une augmentation invasive, juge Mme Parly, suivant l'avis du comité. "Cela oblige à penser l'innovation autrement". La puce, plutôt que glissée sous la peau, peut l'être dans l'uniforme.

"En résumé, nous disons oui à l’armure d’Iron Man et non à l’augmentation et à la mutation génétique de Spiderman", a-t-elle déclaré vendredi lors du Forum innovation défense.

Faute d'alternative, chaque augmentation invasive doit pouvoir être "réversible", rien que pour permettre le retour du militaire à la vie civile, selon le comité d'éthique.

Celui-ci fixe plusieurs "lignes rouges": interdiction de pratiques eugéniques ou génétiques à des fins d'augmentation du militaire, interdiction de porter atteinte au libre arbitre ou de diminuer son discernement ou sa maîtrise de l'emploi de la force.

Autant de "risques de déshumanisation" induits par certaines substances qui "prémuniraient le militaire de tout sentiment de peur, de compassion ou de doute".

Pas question donc pour le comité d'éthique que le soldat augmenté devienne "un simple technicien de la mort".

le Vendredi 4 Décembre 2020 à 06:00 | Lu 432 fois