Loi sur l'"influence étrangère" en Géorgie: des milliers de manifestants malgré les mises en garde


Crédit Giorgi ARJEVANIDZE / AFP
Tbilissi, Géorgie | AFP | dimanche 12/05/2024 - Plusieurs milliers de Géorgiens se sont rassemblés devant le parlement à Tbilissi dimanche soir pour protester contre un projet de loi d'inspiration russe sur "l'influence étrangère", malgré les avertissements et menaces lancés par le gouvernement.

Le Premier ministre Irakli Kobakhidze, puis le ministre de l'Intérieur Vakhtang Gomelauri avaient mis en garde les manifestants.

"Je tiens à avertir tous les membres des groupes radicaux de l'opposition qu'ils devront répondre de leurs actes de violence devant la justice", a prévenu M. Kobakhidze. 

Le ministre de l'intérieur a été encore plus explicite: "Le blocage en groupe d'un objet d'importance particulière est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à quatre ans de prison", a-t-il assuré.

Et il a ajouté: "Nous allons utiliser cet article contre les contrevenants à la loi, sans aucune exception".

"Nous ne voyons pas d'avenir" 

Les autorités ont en outre présenté les manifestants, composés en grande partie de jeunes, comme des foules violentes.

Mais les manifestants, qui depuis des semaines sont menés par des jeunes Géorgiens, loin de se décourager se sont montrés déterminés à s'opposer à un projet de loi décrié.

"En tant qu'étudiants, nous ne voyons pas d'avenir avec cette loi russe", a déclaré Nadezhda Polyakova, 20 ans, qui est née et a grandi en Géorgie mais qui est d'origine russe."

Les étudiants de plusieurs universités de Tbilissi ont annoncé une grève à partir de lundi.

À l'extérieur du Parlement, beaucoup ont déclaré qu'ils n'avaient pas l'intention de reculer, tout en espérant une nuit paisible.

"Je ne bougerai pas d'ici"

"Je ne bougerai pas d'ici. C'est mon 35e jour de protestation et je resterai ici toute la nuit", a déclaré un étudiant, Vakhtang Rukhaia. "Je suis furieux, en colère".  

"Je pense que nous n'avons pas d'autre choix que d'être ici", a déclaré Ana Magradze, médecin de 39 ans.

De son côté, la présidente géorgienne pro-UE, Salomé Zourabichvili, en conflit avec le gouvernement, a appelé les manifestants à être vigilants.

"Je veux m'adresser à vous (les manifestants) pour que vous le sachiez (...) Il y a des plans qui ne fonctionneront pas vraiment, mais il y a des plans pour organiser des provocations et vous impliquer", a-t-elle déclaré, sans entrer dans les détails.

"Restez donc très prudents, ce qui ne veut pas dire qu'il faille avoir peur", a-t-elle ajouté. 

Le projet de loi doit passer en troisième lecture au parlement et la présidente Zourabichvili devrait y opposer son veto.

Le parti Rêve géorgien au pouvoir dispose cependant d'assez de voix pour passer outre.

Samedi, ils avaient été déjà plusieurs milliers dans le centre-ville de la capitale géorgienne, dont de nombreux jeunes, à dire "Non à la loi russe !", en référence à ce texte inspiré d'une législation russe utilisée par le Kremlin pour réprimer les voix dissidentes.

Le texte, initiative du Rêve géorgien, du richissime Bidzina Ivanichvili, est vu comme un obstacle sur le chemin de la Géorgie vers l'adhésion à l'Union européenne, qui l'a vertement critiqué. 

En cas d'adoption, la loi imposera à toute ONG ou organisation médiatique recevant plus de 20% de son financement de l'étranger de s'enregistrer en tant qu'"organisation poursuivant les intérêts d'une puissance étrangère".

Le gouvernement assure que cette mesure vise à obliger les organisations à faire preuve de davantage de "transparence" sur leurs financements.

De nombreuses ONG dans le pays ont elles dénoncé le projet de loi, que M. Ivanichvili, 68 ans, défend avec conviction face à ce qu'il juge être "une pseudo-élite nourrie par un pays étranger".

Les manifestants, qui ont déjà organisé plusieurs rassemblements dans le centre-ville de Tbilissi ces dernières semaines, brandissant des drapeaux de la Géorgie et de l'Union européenne, voire des drapeaux ukrainiens, voient eux la main de la Russie derrière le texte.

Fortes tensions

La tension entre partisans et opposants au texte est montée d'un cran samedi, lors d'un rassemblement d'ampleur de ses détracteurs pourtant pacifique. 

Car si l'opposition a montré son unité contre le texte, le parti au pouvoir ne semble à ce stade pas prêt à reculer, provoquant une énième crise politique dans ce petit pays du Caucase habitué aux remous.

Des représentants d'ONG ont affirmé avoir été menacés ou intimidés ces derniers jours, qualifiés d'"agents de l'étranger" par les plus fervents défenseurs de la loi.

La loi sur "l'influence étrangère" avait d'abord été présentée par le Rêve géorgien en 2023. Mais des manifestations massives avaient déjà forcé le gouvernement à la mettre au placard.

Son retour, début avril, a créé la surprise et suscité la colère de nombreux Géorgiens, notamment les plus jeunes. 

Ces troubles surviennent à quelques mois d'élections législatives, en octobre, considérées comme un test important pour la démocratie dans cette ex-république soviétique.

En décembre 2023, l'UE a accordé à la Géorgie le statut de candidat officiel, mais a déclaré que Tbilissi devrait mener des réformes de ses systèmes judiciaire et électoral, accroître la liberté de la presse et limiter le pouvoir des oligarques avant que les négociations d'adhésion ne soient officiellement lancées. 

le Lundi 13 Mai 2024 à 07:44 | Lu 385 fois