Loi Morin : l'association 193 saisit le tribunal administratif pour les dossiers "défavorables"


PAPEETE, le 06 août 2018 – l'Association 193 a tenu une conférence de presse ce lundi 6 août afin de Faire le point sur les dossiers de demandes d'indemnisation. Le père Auguste Uebe-Carlson a annoncé que l'association saisirait le tribunal administratif pour tous les dossiers jugés défavorables par le CIVEN. .

L'association 193 a présenté lundi le bilan de sa cellule d'accompagnement et de réparation des victimes des essais nucléaires (CARVEN – Te pu papa ti'a ora). Ainsi, 193 indique avoir rencontré 170 familles et avoir expédié 75 dossiers parmi lesquels 60 ont été déclarés complets par le CIVEN après s'être vu attribuer "un numéro de complétude." La commission a étudié 14 dossiers en juin et juillet donnant huit avis favorables et six avis défavorables. "Tous les dossiers défavorables viennent des îles de la Société. Nous ne comprenons pas bien pourquoi" indique le père Auguste Uebe-Carlson. "Certains dossiers sont acceptés à Papara, mais quatre maisons plus loin un dossier presque identique est refusé, alors même que toutes les conditions sont remplies", poursuit le représentant de l'association. "Dans le dossier de l'épouse d'Yves Conroy, il est écrit noir sur blanc que toute la Polynésie a reçu une dose minimum de 5 mSv. Pourquoi cette information n'est pas relayée pour tous les dossiers de victimes ?", ajoute le prêtre.

L'homme de foi raconte même le cas de deux femmes : une mère et sa fille toutes les deux atteintes de leucémie et vivant sous le même toit. Le CIVEN a déclaré le dossier de la mère, aujourd'hui décédée, favorable, mais pas celui de la fille. "Ils nous ont expliqué que la maman qui est décédée a reçu une dose au-delà d'un mSv mais que sa fille a reçu une dose en dessous d'1mSv. Comment peuvent-ils mesurer cela pour deux personnes qui vivent au même endroit. Cela révèle une certaine incohérence", s'étonne le père Auguste Uebe Carlson. Il ajoute même "on a l'impression que le CIVEN va jouer sur les dates. On favoriserait les personnes nées jusqu'en 1974 et ils donneraient moins de crédits aux personnes nées après, à cause des essais nucléaires aériens. Peut-être que les essais se sont arrêtés en 1974, mais l'impact et les effets se font encore sentir aujourd'hui."

Ainsi, l'association 193 se dit "très sensible à l'accompagnement des dossiers ayant reçu un avis défavorable." Le père Auguste Uebe Carlson indique que l'association a décidé de saisir le tribunal administratif pour cinq dossiers afin de contester ces décisions du CIVEN.

L'association a également formulé plusieurs revendications lors de cette conférence de presse, elle a d'ailleurs interpellé les trois parlementaires polynésiens à les saisir et à les défendre devant la Commission mixte parlementaire, notamment Lana Tetuanui, présidente de la commission mixte parlementaire de cadrage de la loi Morin sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie.

Ainsi, l'association demande l'extension de la liste des maladies radio-induites à l'identique de la liste américaine; le retrait de la date limite d'éligibilité à l'indemnisation fixée au 31 décembre 1998 (date butoir d'éligibilité discriminatoire, car elle exclut les personnes nées après cette date); la prise en charge des enfants et malformations, la prise en charge totale par l'État français, dès la déclaration de la maladie radio-induite; la réalisation d'études sur les maladies dites transgénérationnelles; ainsi que la mise en place d'auditions par visioconférences.

193 se prépare d'ores et déjà à la visite du CIVEN en Polynésie française, espérant que les membres puissent se rendre dans les îles éloignées afin de voir la réalité du terrain. "Lors du déplacement du CIVEN en Polynésie, nous espérons avoir une conversation franche, notamment sur l'antenne locale. C'est une demande cruciale", conclut le père Auguste.

Marguerite Taumihau, victime des essais nucléaires a reçu un avis favorable du CIVEN

Que représente pour toi le fait que ton dossier a été déclaré favorable ?
Ça représente beaucoup de choses. Je suis tombée malade en 2016. Je suis allée voir l'association 193 pour demander à la France une réparation. Mes enfants, mon foyer ont subi ma maladie. Je ne suis pas fâchée.
Je me bats, je continue, à me battre contre le cancer du sein. Quand la décision est arrivée, ça a été un soulagement. Je ne suis pas guérie.

Il y a-t-il d'autres gens de ta famille qui sont malades ? Ont-ils déposé un dossier au CIVEN ?
Mon papa est décédé d'un cancer du cerveau. Il a travaillé à Moruroa. Je n'ai pas encore déposé de dossier. Maintenant que mon dossier est favorable, je vais aussi en faire un pour qu'on reconnaisse mon papa comme victime des essais nucléaires.

Comment as-tu connu l'association ?
J'ai vu l'association à la télé. Je me suis dit je vais aller voir le père Auguste, peut-être qu'il pourra m'aider. C'est grâce à lui, à cette association que mon dossier est favorable. Aujourd'hui, ils ne m'ont pas lâchée.

Pourquoi as-tu tenu à présenter un dossier au Civen ?
Je suis née en 1968. J'écoute ce qu'il se passe. L'histoire de la Polynésie c'est un peu mon histoire. Alors pourquoi pas ? Maintenant que je suis en forme, j'ai envie d'aller voir mes amis à l'hôpital et de leur dire de présenter un dossier. Il ne faut pas avoir peur. On est malade, s'ils reconnaissent que c'est à cause du nucléaire, il ne faut pas avoir peur.

Les chiffres clefs :

170 familles rencontrées depuis la création de la cellule d'accompagnement et de réparation des victimes des essais nucléaires
75 dossiers recensés et expédiés par l'association 193
60 dossiers ayant reçu un numéro de complétude du CIVEN
40 réponses favorables depuis le 1er janvier 2018
14 dossiers examinés par le Civen entre juin et juillet 2018
8 réponses favorables
6 réponses défavorables



Rappel :

Rappel :
La loi Morin prévoit trois conditions pour prétendre à l'indemnisation. Il faut avoir séjourné en Polynésie française entre le 02 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 et avoir développé ou être décédé d'une des 21 maladies radio—induites.


Père Auguste Uebe-Carlson

Quel est le message que vous vouliez faire passer ce matin ?
Le message principal et essentiel est que depuis la création du centre CARVEN que nous avons mis en place depuis un peu plus de 1 an, plusieurs des dossiers que nous avons pu envoyer au CIVEN ont reçu un avis favorable. Cela sans passer par le biais d'un avocat. Nous nous réjouissons pour ces personnes-là. C'est un encouragement à tous les Polynésiens. Si les Polynésiens remplissent les trois conditions du temps, du séjour et de la maladie, chacun peu faire un dossier d'indemnisation et l'association 193 sera là pour les accompagner, s'ils le souhaitent.

Vous avez fait une demande d'antenne du CIVEN en Polynésie ?
Oui. Il n'y a pas de bureau en Polynésie. Il faut savoir que lorsque les dossiers sont instruits, le CIVEN donne la parole aux ayants droit ou aux victimes. Lorsque ces personnes vivent en Polynésie et que le CIVEN se déroule à 20.000km le matin, cela suppose une organisation des moyens pour le faire. Ce n'est pas si évident. Ça fait longtemps que nous demandons au CIVEN de mettre en place une antenne. C'est quand même ici que les 193 essais se sont déroulés. Créer une antienne ici pour justement faciliter la demande de tous ceux et celles qui souhaitent entamer un processus d'indemnisation auprès du CIVEN.

Vous aviez également émis la demande de mettre en place la visioconférence, avez-vous eu une réponse du CIVEN ?
Nous avions émis ce souhait. Pour le moment, on nous a dit que le CIVEN n'a pas les moyens. Il faut vraiment mettre les moyens pour organiser ces visioconférences. Actuellement, c'est l'association 193 qui prend en charge et assume toutes les dépenses alors que l'association n'a aucune subvention, aucune aide. Nous faisons cela bénévolement.

La modification de la loi Morin a-t-elle facilité les démarches pour les Polynésiens ?
C'est un acte positif. Nous devons reconnaître la réalité. Par contre ce qui nous étonne, c'est pourquoi certains dossiers qui remplissent les trois conditions, qui sont complets, pourquoi certains sont déclarés favorables et d'autres non ? Alors même que ces personnes développent des maladies qui sont sur la loi Morin. Dans le dossier de l'épouse d'Yves Conroy, il est écrit noir sur blanc que toute la Polynésie a reçu une dose minimum de 5 mSv. Pourquoi cette information n'est pas relayée pour tous les dossiers de victimes ? Les risques négligeables ont été retirés, mais il y a toujours au fond un esprit retardé. Cela nous oblige à aller au tribunal administratif pour défendre les dossiers dits "défavorables."

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Lundi 6 Aout 2018 à 17:12 | Lu 3019 fois