Papeete, le 26 juillet 2016
Monsieur le Premier ministre,
A la veille de recevoir les associations de défense des travailleurs du nucléaire, je souhaitais vous faire état de nos réflexions et vous remettre la résolution que le Tahoera'a Huiraatira a déposée à l'assemblée sur cette question le 27 novembre 2014, et qui fut bien malgré nous la cause de la division du Tahoera'a Huiraatira. Avec le recul, les déclarations du président Edouard Fritch, que ce soit devant le Comité de Suivi de la Loi Morin, en présence des associations antinucléaires ou lors de la visite officielle du président de la République, montrent qu'il est en parfaite adéquation avec le constat et les préconisations de cette résolution. Ses propos illustrent a posteriori combien les divergences mises en avant à l'époque pour justifier la rupture avec son propre parti n'étaient en réalité que des prétextes qui ne trompent plus personne, puisqu'il demande aujourd'hui ce qu'il rejetait hier.
Hormis le fait que cette résolution pouvait constituer une occasion historique pour les Polynésiens de parler d'une même voix, et qu'elle est devenue de fait une occasion manquée, la fracture voulue par Edouard Fritch sur cette question a entraîné le Tahoera'a Huiraatira qui avait brillamment gagné les élections en 2013 et fort d'une majorité de 38 élus, à être marginalisé et cantonné dans l'opposition. Une fois de plus le suffrage universel tel qu'exprimé par les Polynésiens s'est retrouvé confisqué par le petit jeu politique.
En arrivant à Tahiti, vous m'avez injustement rendu responsable de l'instabilité, et je veux croire, il ne peut en être autrement, que vous avez été mal informé, car la rupture n'a pas été de mon fait. Il est évident que le président Edouard Fritch a voulu fonder son propre parti. Cette décision était préméditée, puisqu'elle avait déjà été prise lorsqu'il était encore président de l'assemblée en 2013. C'est à ce moment-là qu'il avait constitué dans les rangs du Tahoera'a Huiraatira son propre groupe de 13 élus avec lesquels, et le soutien ostensible de ses alliés du groupe A Tia Porinetia de Teva Rohfritsch, il allait engager le bras de fer contre son propre parti. La question nucléaire n'était qu'un prétexte, un faux prétexte.
Quant à l'instabilité, le précédent haut-commissaire, Lionel Beffre, témoin empreint d'une grande acuité au cours de cette période, et après lui le président de la République lui-même, ont reconnu qu'elle n'existait pas, qu'elle était une vue de l'esprit, soulignant que les institutions ont toujours pleinement fonctionné. D'ailleurs tous les textes présentés par le gouvernement, y compris les budgets, les collectifs budgétaires, les lois de pays et les délibérations ont tous été votés par le Tahoera'a Huiraatira, alors même qu'Edouard Fritch ne possédait pas encore la majorité. Pour mieux nous diaboliser et justifier une fracture dont nous n'étions en rien responsables, on nous a engagé un bien mauvais procès.
Croyez-vous d'ailleurs, puisqu'aujourd'hui Monsieur Fritch dispose de la majorité absolue et des pleins pouvoirs, qu'il soit pour autant plus efficace pour sortir la Polynésie française de la crise, pour créer des emplois, pour lancer les grands chantiers, pour régler l'épineuse question de la Protection Sociale Généralisée ? Je vous laisse seul juge. Les Polynésiens ont déjà leur avis sur la question.
Vous êtes bien placé pour savoir combien je me suis battu lors de la reprise des essais nucléaires en 1995, pour faire accepter, ici et dans le Pacifique, cette ultime série de tests dont vous aviez besoin pour assurer la souveraineté militaire et énergétique de la France. J'en ai payé le prix fort au plan politique, mais je suis resté fidèle à mes convictions et aux hommes qui les incarnent, dont vous faites partie.
J'ai cependant considéré comme équitable d'obtenir de l'Etat une compensation économique consécutive à l'arrêt des activités du Centre d'Expérimentation du Pacifique, que j'ai négociée avec et obtenue de mon ami le président de la République Jacques Chirac et que vous avez effectivement signée lorsque vous étiez Premier ministre. Lors de votre passage à la présidence hier, vous avez célébré les vingt ans de cette signature. Je regrette que les circonstances de celle-ci n'aient pas été mieux rappelées en rendant tout simplement à chacun le mérite qui lui revient.
De la même manière j'aurais eu plaisir à vous rencontrer, à titre amical et privé. Cette rencontre aurait été normale compte tenu de notre passé politique commun, et cette courtoisie de circonstance n'aurait gêné personne. Personne ne serait venu vous la reprocher. Votre passé judiciaire ne vous place pas au-dessus des déboires que je traverse et ils ne font pas de vous pour autant quelqu'un d'infréquentable. Mieux, ils ne vous empêchent pas d'être candidat à la présidence de la République.
Pourtant vous avez choisi de m'ignorer, c'est votre choix. Je me suis expliqué sur les raisons qui ont conduit le Tahoera'a Huiraatira à ne pas participer aux primaires alors même que nous avons été les premiers à vous manifester notre soutien dès le congrès du Tahoera'a Huiraatira en novembre 2015.
Vous conviendrez avec moi que tout ceci aurait pu se passer autrement. Je constate qu'Edouard Fritch se garde bien de s'engager clairement pour vous. Il semble même se dédouaner à l'avance de l'accueil qu'il vous réserve, en prenant soin de dire qu'il recevra tous les candidats de la même manière. De toute évidence, il ménage son ami François Hollande dont il attend encore quelques bonnes grâces dans le cadre des accords de Papeete.
J'en reviens à présent à la question nucléaire qui empoisonne depuis tant d'années les relations entre la France et la Polynésie française. Nous avons trop soufferts de langue de bois et du double langage. Les Polynésiens ont droit à plus de considérations. Ils ont droit à la vérité et à la juste réparation des préjudices qu'ils ont subi en acceptant ces essais nucléaires chez eux, dont on nous avait garanti l'innocuité. Il ne s'agit pas ici, vous l'aurez compris d'engager le procès de qui que ce soit, mais simplement de reconnaître les faits, et d'en assumer les responsabilités qui en découlent.
Pour y parvenir, dans le sillage de notre élection, le groupe Tahoera'a Huiraatira, majoritaire à l'assemblée, a adopté une résolution relative à la situation des atolls de Moruroa et Fangataufa, considérant qu’elle n’est pas réglée à ce jour, pas plus que n’est résolue la question des conséquences sanitaires et environnementales des 193 expérimentations effectuées par la France sur ces atolls entre 1966 et 1996, qu’ils soient atmosphériques ou souterrains.
La résolution n°2014-1 R/APF adoptée à ce sujet par l’Assemblée de la Polynésie française le jeudi 27 novembre 2014, par 36 Représentants sur 57, ainsi que la délibération créant le comité de suivi de la résolution, adoptée par l’Assemblée de la Polynésie française dans sa séance du jeudi 11 décembre 2014, sont restées lettres mortes à ce jour.
J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint cette résolution. Elle s’appuie sur le fait que les atolls ne pourront pas être restitués à la Polynésie française, du fait des dommages écologiques irréversibles qu’ils ont subis en raison des expérimentations nucléaires, comme cela était explicitement prévu dans l’acte de cession voté par l’Assemblée de la Polynésie française le 6 février 1964.
Nous souhaitons régler cette question avec l’Etat et non pas contre lui, afin précisément que cette situation ne vienne pas alimenter des rancœurs, voire un contentieux qui pourrait être utilisé contre lui dans l’avenir. Un pas a été franchi par le président de la République qui a reconnu à Papeete, la responsabilité de la France dans ce dossier et il s’est engagé à modifier la loi Morin. Mais ce n’est pas suffisant.
Alors qu'un dialogue rénové s’est instauré entre l’Etat et la Polynésie française, initié dès notre retour en 2013, pour jeter les bases d’un partenariat durable et franc ; ce dernier ne saurait exister sans que soit purgée la question post-nucléaire toujours latente vingt ans après l’arrêt définitif des expérimentations. Parce que vous avez dit ici même dès votre arrivée que vous assumiez les choix et les décisions prises à l’époque, et parce que vous êtes le candidat à la présidentielle qui porte cet héritage, nous attendons de vous des réponses claires et concrètes sur cette question à la lumière des attentes que nous avons exprimées dans la présente résolution qui n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire, puisqu’elles sont à présent portées par les associations que vous allez rencontrer.
N'ayant aucune occasion d'échanger avec vous sur toutes ces questions, j'ai pris la liberté de vous écrire en vous adressant cette lettre ouverte. Dans l'attente de prendre connaissance par les médias des réponses que vous jugerez ou non utiles d'apporter, je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre, à l'assurance de ma haute considération.
(signé Gaston Flosse)
Monsieur le Premier ministre,
A la veille de recevoir les associations de défense des travailleurs du nucléaire, je souhaitais vous faire état de nos réflexions et vous remettre la résolution que le Tahoera'a Huiraatira a déposée à l'assemblée sur cette question le 27 novembre 2014, et qui fut bien malgré nous la cause de la division du Tahoera'a Huiraatira. Avec le recul, les déclarations du président Edouard Fritch, que ce soit devant le Comité de Suivi de la Loi Morin, en présence des associations antinucléaires ou lors de la visite officielle du président de la République, montrent qu'il est en parfaite adéquation avec le constat et les préconisations de cette résolution. Ses propos illustrent a posteriori combien les divergences mises en avant à l'époque pour justifier la rupture avec son propre parti n'étaient en réalité que des prétextes qui ne trompent plus personne, puisqu'il demande aujourd'hui ce qu'il rejetait hier.
Hormis le fait que cette résolution pouvait constituer une occasion historique pour les Polynésiens de parler d'une même voix, et qu'elle est devenue de fait une occasion manquée, la fracture voulue par Edouard Fritch sur cette question a entraîné le Tahoera'a Huiraatira qui avait brillamment gagné les élections en 2013 et fort d'une majorité de 38 élus, à être marginalisé et cantonné dans l'opposition. Une fois de plus le suffrage universel tel qu'exprimé par les Polynésiens s'est retrouvé confisqué par le petit jeu politique.
En arrivant à Tahiti, vous m'avez injustement rendu responsable de l'instabilité, et je veux croire, il ne peut en être autrement, que vous avez été mal informé, car la rupture n'a pas été de mon fait. Il est évident que le président Edouard Fritch a voulu fonder son propre parti. Cette décision était préméditée, puisqu'elle avait déjà été prise lorsqu'il était encore président de l'assemblée en 2013. C'est à ce moment-là qu'il avait constitué dans les rangs du Tahoera'a Huiraatira son propre groupe de 13 élus avec lesquels, et le soutien ostensible de ses alliés du groupe A Tia Porinetia de Teva Rohfritsch, il allait engager le bras de fer contre son propre parti. La question nucléaire n'était qu'un prétexte, un faux prétexte.
Quant à l'instabilité, le précédent haut-commissaire, Lionel Beffre, témoin empreint d'une grande acuité au cours de cette période, et après lui le président de la République lui-même, ont reconnu qu'elle n'existait pas, qu'elle était une vue de l'esprit, soulignant que les institutions ont toujours pleinement fonctionné. D'ailleurs tous les textes présentés par le gouvernement, y compris les budgets, les collectifs budgétaires, les lois de pays et les délibérations ont tous été votés par le Tahoera'a Huiraatira, alors même qu'Edouard Fritch ne possédait pas encore la majorité. Pour mieux nous diaboliser et justifier une fracture dont nous n'étions en rien responsables, on nous a engagé un bien mauvais procès.
Croyez-vous d'ailleurs, puisqu'aujourd'hui Monsieur Fritch dispose de la majorité absolue et des pleins pouvoirs, qu'il soit pour autant plus efficace pour sortir la Polynésie française de la crise, pour créer des emplois, pour lancer les grands chantiers, pour régler l'épineuse question de la Protection Sociale Généralisée ? Je vous laisse seul juge. Les Polynésiens ont déjà leur avis sur la question.
Vous êtes bien placé pour savoir combien je me suis battu lors de la reprise des essais nucléaires en 1995, pour faire accepter, ici et dans le Pacifique, cette ultime série de tests dont vous aviez besoin pour assurer la souveraineté militaire et énergétique de la France. J'en ai payé le prix fort au plan politique, mais je suis resté fidèle à mes convictions et aux hommes qui les incarnent, dont vous faites partie.
J'ai cependant considéré comme équitable d'obtenir de l'Etat une compensation économique consécutive à l'arrêt des activités du Centre d'Expérimentation du Pacifique, que j'ai négociée avec et obtenue de mon ami le président de la République Jacques Chirac et que vous avez effectivement signée lorsque vous étiez Premier ministre. Lors de votre passage à la présidence hier, vous avez célébré les vingt ans de cette signature. Je regrette que les circonstances de celle-ci n'aient pas été mieux rappelées en rendant tout simplement à chacun le mérite qui lui revient.
De la même manière j'aurais eu plaisir à vous rencontrer, à titre amical et privé. Cette rencontre aurait été normale compte tenu de notre passé politique commun, et cette courtoisie de circonstance n'aurait gêné personne. Personne ne serait venu vous la reprocher. Votre passé judiciaire ne vous place pas au-dessus des déboires que je traverse et ils ne font pas de vous pour autant quelqu'un d'infréquentable. Mieux, ils ne vous empêchent pas d'être candidat à la présidence de la République.
Pourtant vous avez choisi de m'ignorer, c'est votre choix. Je me suis expliqué sur les raisons qui ont conduit le Tahoera'a Huiraatira à ne pas participer aux primaires alors même que nous avons été les premiers à vous manifester notre soutien dès le congrès du Tahoera'a Huiraatira en novembre 2015.
Vous conviendrez avec moi que tout ceci aurait pu se passer autrement. Je constate qu'Edouard Fritch se garde bien de s'engager clairement pour vous. Il semble même se dédouaner à l'avance de l'accueil qu'il vous réserve, en prenant soin de dire qu'il recevra tous les candidats de la même manière. De toute évidence, il ménage son ami François Hollande dont il attend encore quelques bonnes grâces dans le cadre des accords de Papeete.
J'en reviens à présent à la question nucléaire qui empoisonne depuis tant d'années les relations entre la France et la Polynésie française. Nous avons trop soufferts de langue de bois et du double langage. Les Polynésiens ont droit à plus de considérations. Ils ont droit à la vérité et à la juste réparation des préjudices qu'ils ont subi en acceptant ces essais nucléaires chez eux, dont on nous avait garanti l'innocuité. Il ne s'agit pas ici, vous l'aurez compris d'engager le procès de qui que ce soit, mais simplement de reconnaître les faits, et d'en assumer les responsabilités qui en découlent.
Pour y parvenir, dans le sillage de notre élection, le groupe Tahoera'a Huiraatira, majoritaire à l'assemblée, a adopté une résolution relative à la situation des atolls de Moruroa et Fangataufa, considérant qu’elle n’est pas réglée à ce jour, pas plus que n’est résolue la question des conséquences sanitaires et environnementales des 193 expérimentations effectuées par la France sur ces atolls entre 1966 et 1996, qu’ils soient atmosphériques ou souterrains.
La résolution n°2014-1 R/APF adoptée à ce sujet par l’Assemblée de la Polynésie française le jeudi 27 novembre 2014, par 36 Représentants sur 57, ainsi que la délibération créant le comité de suivi de la résolution, adoptée par l’Assemblée de la Polynésie française dans sa séance du jeudi 11 décembre 2014, sont restées lettres mortes à ce jour.
J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint cette résolution. Elle s’appuie sur le fait que les atolls ne pourront pas être restitués à la Polynésie française, du fait des dommages écologiques irréversibles qu’ils ont subis en raison des expérimentations nucléaires, comme cela était explicitement prévu dans l’acte de cession voté par l’Assemblée de la Polynésie française le 6 février 1964.
Nous souhaitons régler cette question avec l’Etat et non pas contre lui, afin précisément que cette situation ne vienne pas alimenter des rancœurs, voire un contentieux qui pourrait être utilisé contre lui dans l’avenir. Un pas a été franchi par le président de la République qui a reconnu à Papeete, la responsabilité de la France dans ce dossier et il s’est engagé à modifier la loi Morin. Mais ce n’est pas suffisant.
Alors qu'un dialogue rénové s’est instauré entre l’Etat et la Polynésie française, initié dès notre retour en 2013, pour jeter les bases d’un partenariat durable et franc ; ce dernier ne saurait exister sans que soit purgée la question post-nucléaire toujours latente vingt ans après l’arrêt définitif des expérimentations. Parce que vous avez dit ici même dès votre arrivée que vous assumiez les choix et les décisions prises à l’époque, et parce que vous êtes le candidat à la présidentielle qui porte cet héritage, nous attendons de vous des réponses claires et concrètes sur cette question à la lumière des attentes que nous avons exprimées dans la présente résolution qui n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire, puisqu’elles sont à présent portées par les associations que vous allez rencontrer.
N'ayant aucune occasion d'échanger avec vous sur toutes ces questions, j'ai pris la liberté de vous écrire en vous adressant cette lettre ouverte. Dans l'attente de prendre connaissance par les médias des réponses que vous jugerez ou non utiles d'apporter, je vous prie de croire, Monsieur le Premier ministre, à l'assurance de ma haute considération.
(signé Gaston Flosse)