Les tiki, trésors de Hiva Oa


Tahiti, le 23 juillet 2021 - On a parfois bien du mal à compter les tiki de l’île de Hiva Oa tant il en “apparaît” toujours de nouveaux aux voyageurs, au fur et à mesure des séjours, surgis d’un coin de brousse, d’une cour, d’un fond de vallée ou parfois même d’un jardin. Nous vous en présentons les plus significatifs, mais pas forcément les plus connus, car certains, comme le tiki couronné se méritent et demandent des efforts pour être admirés. Une chose est sûre, Hiva Oa est indubitablement l’île qui abrite le plus de ces statues anthropomorphes et le jeu de piste pour en voir le plus possible est toujours un excellent motif de visite sur cette terre qui recèle bien d’autres merveilles par ailleurs. Gageons qu’Emmanuel Macron aura le temps de voir quelques-unes de ces sculptures, les anciennes et les contemporaines...

Le tiki souriant

Situé en contrebas de la route conduisant de Atuona à l’aéroport, sur le site de Utukua, dans la vallée de Punaei, le tiki souriant est la partie émergée d’un très vaste ensemble archéologique encore non restauré. Il affiche, ou elle affiche puisque pour certains c’est une femme, un large sourire qui n’a suscité jusqu’à nos jours que de l’incompréhension tant il est vrai que les tiki, en règle générale, sont plutôt très sérieux.

Le tiki de Teivitete

Tout le monde connaît le cimetière de Atuona où reposent Brel et Gauguin mais c’est sur un ancien cimetière, implanté plus en hauteur, que se trouve l’un des plus curieux tiki de Hiva Oa, puisqu’il forme l’une des quatre faces d’une tombe. Ici et là se dressent des croix, parfois de simples monticules de pierres, attestant que ce cimetière est contemporain de l’évangélisation par les catholiques de l’île, puisque les défunts, avant l’arrivée des Européens, n’étaient pas enterrés. A Teivitete, il semble que l’on ait accepté, pour ce mort, une tombe “chrétienne” ; mais par sécurité sans doute, on a souhaité qu’elle soit complétée par une représentation “païenne”, histoire de s’assurer que le défunt, où qu’il aille, au paradis des anciens Marquisiens ou au nouveau paradis des missionnaires, soit en tout état de cause bien accueilli…

Le tiki couronné Moeone de Hanapaaoa

Hanapaaoa, avec sa cinquantaine d’habitants quasiment isolés du reste de l’île (même si, depuis peu, une route bétonnée les relie enfin au reste du monde), devait, dans le passé, être un site très peuplé si l’on se fie au nombre de vestiges archéologiques encore enfouis sous la brousse sur ses hauteurs. Le plus emblématique de ces vestiges est un tiki d’un mètre de hauteur environ, baptisé Moeone, disposant d’une couronne sculptée sur sa tête en basalte. La tradition dit qu’une fois par an, il était descendu de son mirador, la crête Tapuohe, par les habitants qui le baignaient dans la mer avant de le remonter à sa place ; la “balade” avait pour but d’obtenir les faveurs de l’océan, de manière à ce qu’il soit clément pour les pêcheurs et afin que leurs prises soient nombreuses...

Les jumeaux de la fille du chef

A Puamau, les visiteurs se rendant au seul et unique restaurant du petit village, découvriront, à deux pas du bâtiment, quelques tombes anciennes dont l’une se distingue par le fait qu’elle dispose de deux splendides gardiens de pierre ; il s’agit des tiki Pautu et Mani, qui protègent la tombe de la fille du chef Te Hau Moea, une princesse donc qui peut dormir aujourd’hui en paix grâce à ces deux sentinelles.

La dalle tiki de Upeke

A Taaoa, sur les hauteurs de ce qui fut une vallée très densément peuplée, se trouve le tohua Upeke, site cérémoniel qui a été partiellement restauré et qui sert aujourd’hui lors des grands Festivals des Arts marquisiens. Au-dessus du tohua, veille, imperturbable, un tiki sculpté dans une dalle de 1,30 m de hauteur, sur 1 m de large. Cette statue est en quelque sorte la clé d’entrée d’un ensemble de constructions aujourd’hui caché par l’envahissante forêt qui, à l’image d’autres sites (Angkor, le Machu Picchu), recouvre tout ce qui n’est pas entretenu avec soin. Or à Taaoa, que nous avons souvent comparé à un Machu Picchu marquisien, en terme de défrichage et de restauration, tout reste à faire ou presque...

Takaii, fragile géant !

C’est indubitablement le plus grand de tous les tiki anciens des Marquises, facilement accessible : Takaii, c’est son nom, se dresse sur le paepae Pahivai à Puamau (site de Iipona). C’est le plus grand tiki de Polynésie française avec des tailles très fantaisistes qui n’ont cessé de “bouger”, au fil des décennies et des observateurs : nous opterons pour 2,63 m. 
Takaii est l’image d’un chef guerrier d’autrefois, sans doute l’un des vainqueurs du clan de Puamau, les Naiki, qui avaient eu la très mauvaise idée d’enlever le chef de Hanapaaoa pour le sacrifier. Les tribus alentour se liguèrent et firent payer aux Naiki par la mort ou l’exil leur violence. C’est après cette victoire que les grands tiki furent dressés, Takaii étant possiblement l’un de ces vainqueurs des Naiki. Le site, ancien, daterait du XVe siècle, mais les grands tiki, dont Takaii, datent très probablement de la fin du XVIIIe siècle.

Le tiki caché de Puamau

Cette sculpture impressionnante orne un ensemble lithique englouti par la forêt, le mea’e Haapaetai. Réalisée en tuf rouge, le ke’etu, elle mesure 1m 55. Elle n’est pas inconnue des spécialistes, mais complètement “oubliée”, hors des circuits touristiques.  
Curieusement, ce tiki n’est ni debout, ni couché, juste adossé à des dalles. La statue avait un double, un “jumeau” en quelque sorte, mais il y a quelques décennies, un homme décida de le faire descendre de la montagne pour le planter dans son jardin. Le déplacement de la lourde pierre nécessitait des moyens dont on ne disposait pas à l’époque et ce qui devait arriver arriva : le tiki bascula et se brisa en de multiples morceaux. Le tiki restant est admirablement conservé, n’ayant pas subi de dommages majeurs. Il trône au centre d’un ensemble de trois plates-formes structurées sur deux niveaux.  
Jusqu’en 2001, le tiki était positionné sur la plate-forme supérieure ; il en aurait été descendu à cette date. 

Étrange Makii Taua Pepe à Puamau

Plus Makii Taua Pepe, sur l'une des esplanades du site archéologique de Lipona à Puamau, est étudiée, moins on en sait apparemment, tant cette statue est mystérieuse. Elle étale sa force, sa puissance, toute sa masse sans aucune pudeur, mais pour autant sans rien dévoiler d'elle. Certains y ont vu un extra-terrestre... Plus tard, dans les années 80, Makii devint, allez savoir pourquoi, une femme en train d'accoucher (et de mourir), hypothèse qui avait été émise par Karl von den Steinen au tournant du XIXe et du XXe siècle. La posture de femme accouchant est pourtant invraisemblable et la présence d'un socle carré à la base de la statue (sous le ventre de la parturiente) vient contredire cette supposition, d'autant que deux chiens (des lamas selon certains) en bas-relief ont été sculptés sur le socle ; on voit mal ce que chiens ou lamas viendraient faire lors d’un accouchement…  
Plus récemment, une fente sur le dos de la statue de lave refroidie (du tuf gris) est venue accréditer une autre thèse, tout aussi originale : les femmes de chefs venaient accoucher sur cette statue, dans une position semi-allongée, la fente taillée dans la pierre permettant aux liquides de s'écouler. Les femmes de chefs devaient-elles accoucher sur une place publique, offrant ainsi un spectacle dont aucune tradition n'a jamais fait état ? Très peu probable... A noter qu’il existe un autre tiki ancien du même type, brisé, sur le site de Meiaute, à Ua Huka.

Trois de plus à Puamau !

Non loin du restaurant de Puamau, chez Marie-Antoinette, se trouvent, partiellement recouverts par la végétation, de nombreuses plates-formes d’habitations, des paepae entre autres et un tohua ; celui-ci a sans doute eu des fonctions religieuses comme en témoignent ces trois tiki que nous avons découverts il y a quelques jours ; en ke’etu gris, deux d’entre eux sont en parfait état, le troisième ayant eu la tête fendue. Ils mesurent au maximum un mètre de hauteur et sont de petites merveilles malheureusement inconnues du grand public.
Ces trois nouveaux tiki proviennent du tohua baptisé Pehekua. Le premier a la tête ovale ; il mesure 100 cm et il est large de 65 cm. De sexe masculin (sexe cassé), il n'a pas été achevé, son visage est lisse (aucune sculpture apparente sur le ke'etu). Le second, sculpté lui aussi dans du ke'etu gris, est haut de 85 cm pour 41 cm de large. Il est couronné et orné de tatouages sculptés en bas-relief. Sexe masculin (non brisé) et mains sur le ventre. Les deux tiki sont inclus dans une façade de dalles en ke'etu sur le tohua. Le troisième a la tête brisée. Sa joue droite est tatouée d'un damier. L'ensemble se trouve à quelques dizaines de mètres de la tombe de la fille du chef Te Hau Moea. Ils ont été observés par Ralph Linton en 1925 et décrits ensuite par Catherine Chavaillon et Eric Olivier (N°5 dossier d'archéologie polynésienne Edition juillet 2007).

Puamau : rendez-nous nos tiki !

Le plus grand des deux tiki déplacés à Puamau, tiki dit du site Te Fiifii. Il a une oreille percée, preuve qu’il devait porter là un ornement. Tahiti Infos avait publié cette photo le 21 décembre 2017. C’est après cette date qu’il a été déplacé.
Lors de notre toute récente visite à Puamau, à quelques mètres du site de Lipona, nous avons eu la surprise de constater que deux des tiki dits de Te Fiifii, étaient absents : disparus, envolés, pire, enlevés ? Renseignements pris sur place, c’est à la suite d’une décision qui viendrait de Tahiti, “le ministère de la Culture” nous ont affirmé plusieurs sources, qu’il a été décidé de retirer de leur espace ces deux tiki, pour les placer “une centaine de mètres plus haut” toujours selon nos sources. Des Marquisiens auraient prêté la main à ce déménagement peu conventionnel, moyennant finances.
A Puamau comme à Atuona, beaucoup nous ont exprimé leur très vif mécontentement face à une décision prise selon eux “sans aucune concertation. Ces tiki sont là depuis très longtemps, et tout le monde sait très bien qu’on ne déplace pas des objets sacrés, surtout des tiki. C’est vrai que la plate-forme sur laquelle ils se trouvaient, à deux pas du grand tiki Takaii, était effondrée, mais il suffisait alors, en concertation avec la population de Hiva Oa, de remettre en état cette plate-forme de pierres puis d’y replacer les deux tiki qui l’ornaient. En aucun cas, on a le droit de déplacer des tiki et encore moins de les cacher à la population et aux visiteurs”.
Les guides touristiques d’ailleurs sont très remontés après ce déménagement et ils espèrent bien que la maire de Hiva Oa, Joëlle Frébault, saura taper du poing sur la table et saura faire remettre en place ces deux statues qui ne devaient pas, à leurs yeux, quitter leur emplacement.
Gageons que ce déménagement repose, on s’en doute, sur une raison motivée et sérieuse et également que le nouveau premier édile de “l’île aux trésors” entendra la plainte de ses administrés pour que ces deux tiki retrouvent vite, en majesté, leur petite plate-forme cérémonielle...

Le plus petit des deux tiki de Te Fiifii mesure 73 cm seulement. Est-ce après la publication de ces deux clichés par Tahiti Infos que la décision a été prise de les déplacer ? Et si oui, pourquoi ?

Des tiki plus que jamais...

Plus que jamais, viscéralement attachés à leur culture, ayant souffert pendant des décennies du manque de considération des politiques de Tahiti (et surtout du manque de moyens), après avoir failli disparaître à cause de l’introduction par les Européens d’épidémies dévastatrices, les Marquisiens d’aujourd’hui, à Hiva Oa comme dans les autres îles, sont fidèles à ce qui symbolise leur culture, à commencer par les tiki.
On a l’impression, en parcourant les rues de Atuona et notamment le tohua Pepeu au centre de la petite cité, que toutes les occasions (les festivals notamment) sont bonnes pour travailler la pierre dans la plus pure tradition de ce que faisaient les anciens Marquisiens, mais avec encore plus de créativité, de liberté d’expression, de modernité aussi parfois.
Même devant le stade et le terrain de foot trône un magnifique tiki en pierre polie, une sorte de penseur, non pas façon Rodin, mais façon Hiva Oa, qui doit sans doute méditer sur la glorieuse incertitude du sport.
En tous les cas, les tiki se portent bien aujourd’hui aux Marquises et personne ne s’en plaindra...

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 23 Juillet 2021 à 17:10 | Lu 4078 fois