Les secrets de la couleur des perles noires dévoilés


(Ching-Long Ky, Ifremer)
Tahiti, le 22 mars 2021 – Deux publications récentes pilotées par l'Ifremer éclairent –d'un point de vue scientifique– certains des mystères de l'éclat de la perle noire de Polynésie française. D'abord sur les couleurs liées aux “gènes” de l'huître perlière, ensuite sur l'impact de l'environnement sur les teintes des perles. Des pistes, à plus long terme, pour “produire moins de perles mais de meilleurs qualité”.
 
Deux articles scientifiques publiés les 15 et 19 mars derniers ont permis de lever le voile sur quelques mystères entourant l'étonnante couleur des perles noires de Polynésie française. Des études menées dans le cadre du programme “Ameligen” (Amélioration génétique de l'huître perlière en Polynésie française) par l'Ifremer en Polynésie française, en partenariat avec le Criobe et des acteurs privés et collectivités locales, le tout financé par le Pays et plus précisément la direction des ressources marines. Des recherches qui ont vocation à expliquer scientifiquement les nuances colorées de nos perles de culture et à plus long terme à répondre à une problématique de taille pour la filière en crise qui représente la deuxième ressource économique de la Polynésie française : “Comment produire moins de perles mais de meilleure qualité ?”
 

​Jaune, vert et rouge

(Pierre-Louis Stenger, Ifremer)
Le premier article dévoile les résultats de travaux menés sur l'identification et le séquençage des gènes responsables des principales couleurs de nos perles noires. Petite précision préalable pour les profanes, la production de perles repose sur une greffe entre deux huitres. L'huître “donneuse” permet de prélever un greffon alors que l'huître “receveuse” ne sert que de couveuse pour la future perle noire, rappelle l'Ifremer. Le greffon est prélevé sur le manteau de l'huître perlière –“un fin voile de chair qui assure la croissance et le développement de la coquille”– et permet le dépôt de nacre sur un nucleus inséré dans l'huître receveuse.
 
La couleur de la future perle sera donc similaire à celle de l'intérieur de la coquille de l'huître donneuse : “le greffon étant porteur du bagage génétique de cette dernière”. Des coquilles de notre huître perlière locale, la “Pinctada margaritifera”, dont les couleurs principales sont le jaune, le vert et le rouge, en plus des coquilles noires ou albinos que l'on retrouve dans nos eaux. Comme l'explique le chercheur et auteur du premier article publié le 15 mars dernier, Pierre-Louis Stenger : “Les différences de couleur des perles sont dues à des nuances subtiles dans l’expression de ce cocktail de gènes”. Dans un communiqué consacré à ces deux études, l'Ifremer précise que “le premier article tout juste publié a révélé que sept gènes sont exprimés majoritairement chez les huîtres perlières ayant une coquille interne jaune, dix-neuf sont associés au vert, et vingt-quatre au rouge.”
 
Pour identifier les gènes responsables des couleurs des perles, les chercheurs ont procédé au séquençage des gènes du greffon. “Une méthode analogue à celle qui permet d’identifier les variants du SARS-Cov2”, glisse l'Ifremer. Et la conclusion des chercheurs est que les gènes responsables des différents pigments des perles “sont probablement présents dans toutes les perles, mais la couleur dominante provient d'une variation de l'expression des gènes”. Et si dans la nature la couleur des coquilles est souvent grise/noire ou fortement polychromatique, il sera désormais possible d'identifier parmi les greffons ceux qui permettront de produire “des perles aux couleurs monochromatiques saturées, moyen prometteur de produire moins de perles, mais de meilleure qualité.” Un procédé encore compliqué à mettre en pratique même si, pour le chercheur Pierre-Louis Stenger : “Ces résultats sont fondateurs pour l’avenir de la perliculture, car ils vont faciliter la sélection des animaux pour les producteurs”.
 

​Le noir des profondeurs

(Nono Lewis Tetaura, Ifremer)
Le second article publié le 19 mars dernier explique de son côté pourquoi la profondeur à laquelle les huîtres sont élevées modifie la couleur de la perle. En réalité, la profondeur joue sur “l'expression des gènes”. Au terme d'une série d'expériences menées dans nos îles, les chercheurs ont démontré que “sur l’ADN des huîtres cultivées en profondeur apparaissent de petites molécules chimiques qu’on ne retrouve pas aux mêmes endroits sur l’ADN des huîtres de surface”. Ce qu'explique Jérémie Vidal Dupiol, épigénéticien à l’Ifremer, en précisant que “ces molécules peuvent allumer ou éteindre l’expression d’un gène”. On parle alors de modifications épigénétiques car la structure des gènes n’est pas changée : c’est la manière dont ils s’expriment qui est modifiée, poursuit le chercheur.
 
“Une huître élevée à 30 mètres de profondeur est plus foncée que si elle est élevée à 8 mètres. Ce caractère foncé est un critère de qualité recherché par les producteurs”, explique l'Ifremer. Là encore, l'ambition est de “développer un plan ambitieux de réduction des volumes de perles, mais en augmentant leur qualité”. L'étude conclut même que “produire des perles uniques, de grande valeur, affichant une palette de phénotypes allant des couleurs très foncées à très pâles constitue un moyen efficace de diversifier la production et de séduire différents marchés”.
 
Moins de surprises pour plus d'éclats, voilà aujourd'hui la piste la plus “scientifique” pour sauver un secteur en crise.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 22 Mars 2021 à 15:34 | Lu 3559 fois