Les salariés de la rotative de La Dépêche craignent la liquidation


PAPEETE, le 14 mars 2018 - Alors que les salariés de la rotative de La Dépêche sont en grève depuis trois semaines, leur société a été mise en redressement judiciaire ce lundi. Depuis, les négociations piétinent entre syndicats et patronat, et les salariés craignent que leur société soit mise en liquidation.

26 salariés du groupe La Dépêche sont en grève depuis le 22 février dernier, soit bientôt trois semaines. Quatre sociétés du groupe sont touchées, principalement la Rotative La Dépêche (R.L.D.), 100 % gréviste. Mais la mobilisation touche aussi les autres parties du groupes : la maison-mère nommée Société d’information et de communication (S.I.C.), la Régie polynésienne de publicité (R.P.P.) et la Centrale tahitienne de distribution (C.T.D.) qui assure l'acheminement du journal aux revendeurs et abonnés.

Le conflit concernait au départ principalement le respect du protocole d'accord signé après une précédente grève, en novembre 2017. Leurs revendications incluaient le paiement des salaires dans les temps, l'arrêt de la réorganisation de la société en petites entreprises séparées, la formation des salariés, ou la fin de certaines pratiques de management. D'ailleurs les négociations avec la régie publicitaire, la S.I.C. et la distribution semblent avancer selon les représentants des salariés. Un protocole d'accord a été signé avec la C.T.D. ce mardi, et il ne reste que quelques derniers points d'achoppement pour régler le conflit avec la régie.

Reste l'imprimerie, qui se sent laissée pour compte après l'annonce ce lundi 12 mars de la mise en redressement judiciaire de la R.L.D., comme l'a appris un journaliste de Tahiti Infos présent au tribunal. Les 19 salariés de l'imprimeur du groupe ne savent pas quel sort leur sera réservé, car le gérant et propriétaire du groupe, Dominique Auroy, a déjà annoncé qu'il ne comptait pas investir pour moderniser l'appareil productif de l'entreprise, une rotative âgée de 50 ans, et comptait se tourner vers un sous-traitant. Il a même nommé l'entreprise Pacific Press, la rotative de Papara qui imprime le quotidien gratuit Tahiti Infos, tous deux détenus par Albert Moux. Ce dernier nous confirme cependant que sa société n'acceptera pas de publier La Dépêche tant que le conflit social n'aura pas été résolu.

Selon les salariés de la Rotative de la Dépêche, des promesses de reclassement de tout l'effectif leurs auraient été faites. Ils seraient accueillis dans les différentes sociétés où Dominique Auroy a investi, comme la Brasserie du Pacifique ou une distillerie de rhum. Des reclassements promis jusque dans les entreprises concurrentes du groupe… Ce qui a été démenti par lesdits concurrents. Mais depuis six mois, aucune proposition de reclassement n'a été reçue par les salariés, très inquiets sur le respect de cet engagement. Dominique Auroy a refusé de répondre à nos questions tant que les négociations sont en cours avec les grévistes.

"Il profite de cette grève pour mettre la société en redressement, mais il ne va pas s'arrêter là. Il veut aller vers la liquidation judiciaire"

Cyril Le Gayic sur le piquet de grève devant le siège de La Dépêche.
De leur côté, les syndicats représentant les salariés continuent de mener le combat. Cyril Legayic, délégué syndical CSIP représentant les salariés du groupe pendant les négociations, nous explique que "le personnel commence à péter les plombs. La mise en redressement judiciaire, ils s'y attendaient parce qu'il dit depuis novembre dernier qu'il veut externaliser. Donc là il profite de cette grève pour mettre la société en redressement, mais il ne va pas s'arrêter là. Il veut aller vers la liquidation judiciaire."

Le syndicaliste dénonce une stratégie purement financière de l'homme d'affaire, qui a séparé l'imprimerie du reste du groupe, a arrêté tout investissement et veut maintenant la liquider : "selon eux, les économies qu'ils peuvent faire avec l'externalisation, c'est de l'ordre de 130 à 140 millions de francs. Donc ils présentent ça comme un sacrifice nécessaire qui permettra de sauver les autres établissements du groupe et rembourser les dettes… Mais pour les salariés, on peut parfaitement sauver l'imprimerie ! Les problèmes du groupe viennent d'une mauvaise gestion, mais l'appareil industriel est viable. Aujourd'hui on a des machines, elles sont vieilles c'est vrai mais elles fonctionnent très bien, il suffit d'avoir une bonne maintenance et de les utiliser correctement. Par exemple en ce moment ils utilisent de l'encre qui n'est pas adaptée à la machine, qu'ils achètent à un autre imprimeur, et du coup ça provoque des problèmes. Alors que les salariés vous le diront, on peut arriver au même coût que Tahiti Press ! Je vois beaucoup de mauvaise foi dans ce dossier."

Il regrette également que la justice, en prononçant la mise en redressement judiciaire, n'ait pas jugé bon de nommé un administrateur judiciaire. Maitre Baud a bien été nommé par le tribunal… Mais uniquement en tant que représentant des créanciers, chargé de réunir toutes les déclarations de créances concernant la société puis de défendre ces intérêts. Par contre, aucun représentant des salariés n'a été nommé, et c'est le propriétaire actuel qui gère la société jusqu'à ce que la justice décide de son sort. "On voit bien que la démarche du propriétaire de l'imprimerie est d'aller vers la liquidation, il ne faut pas chercher midi à 14 heures. On se reverra devant le tribunal le 11 juin, et on est avec nos avocats en train de voir ce que l'on peut faire. Nous aimerions surtout que toute la société La Dépêche soit mise en redressement judiciaire, et que la gestion de ce groupe soit donnée à des gens plus sérieux..." insiste le syndicaliste.

En attendant, sur le piquet de grève, les salariés de l'imprimerie ne plient pas et maintiennent leur grève. "On tiendra autant de temps qu'il le faut" nous assurent-ils. Il n'y aura donc pas de Dépêche dans les kiosques demain.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mercredi 14 Mars 2018 à 17:09 | Lu 2995 fois