Les promesses de la médecine traditionnelle


Tahiti, le 16 février 2023 - Il aura fallu près de deux décennies à deux pharmaciens passionnés pour reprendre toute la littérature consacrée à la médecine traditionnelle en Polynésie (dont l’excellent livre de Paul Pétard : “Plantes utiles de Polynésie”), avant, sur le terrain, de rencontrer les tradipraticiens et tradipraticiennes et surtout de scientifiquement passer au ban d’essai toutes les plantes régulièrement utilisées pour la préparation de ra’au Tahiti.
  
Très souvent, Francine Baudry/Ruffat et Philippe Maunier, tous les deux docteurs en pharmacie, ont constaté que la médecine traditionnelle polynésienne (les ra’au) fonctionnait et fonctionnait même très bien, même si c’était sur des bases empiriques. Aucune mama guérisseuse par exemple ne connaît les molécules présentes dans telle ou telle feuille, dans telle ou telle fleur ou dans un rhizome pourtant utilisé fréquemment.

Philippe et Francine se sont donc attelés à un travail colossal, comprendre de quoi étaient faites ces plantes, quels étaient leurs principes actifs venus de quelles molécules. Des travaux qui sont protégés par un brevet français (N° 1402352) pour la fabrication des hydrolats des plantes non aromatiques. Francine, Philippe et leur équipe peuvent donc produire des huiles essentielles et des hydrolats à partir de plantes aromatiques et des hydrolats seulement à partir de plantes non aromatiques. On notera que ces travaux sur les hydrolats ont été référencés dans la dernière édition du livre de Paul Pétard sur les ra’au polynésiens.

Multiples distillations

Pour cela, il leur a fallu, eux aussi souvent empiriquement, procéder à de multiples distillations destinées à extraire, grâce à la vapeur d’eau, ces fameuses molécules. Les produits de ces distillations sont des huiles essentielles, des essences ou surtout, matière première de nos deux pharmaciens, des hydrolats.

Qu’est-ce qu’un hydrolat ? Rien d’autre, sous forme aqueuse, que le liquide obtenu après distillation de plantes. Mais encore faut-il savoir à quelle température et sous quelle pression il convient d’effectuer cette distillation. Il fut aussi connaître la période de l’année, car il y a une saisonnalité marquée durant laquelle les plantes doivent être récoltées pour offrir le meilleur de leurs composants. Encore faut-il également savoir de quel terroir proviennent ces plantes (sol corallien, sol de plaine d’îles hautes, sols de flancs de montagne...). Enfin, tous ces facteurs pris en compte, il faut procéder à chaque fois à une chromatographie en phase gazeuse, opération “savante” qui permet de déterminer quelles molécules composent précisément l’hydrolat. Un hydrolat peut contenir entre vingt et deux-cent-cinquante molécules différentes. Imaginez que l’on vous donne deux-cents produits pour soigner une affection !

Dione, diterpénol, ester ...

Ces analyses par chromatographies, obligatoires si l’on veut être crédible, ne peuvent se faire qu’en France métropolitaine et bien entendu, au vu des multiples possibilités offertes par les plantes elles-mêmes, il faut s’astreindre à de très nombreuses –et coûteuses—chromatographies pour savoir, in fine, à quel moment quelle plante contient le plus de principes actifs.

Sans ces chromatographies, aucun hydrolat ne peut satisfaire aux exigences de qualité que l’on est en droit d’attendre de thérapies tirées de la médecine traditionnelle.

On trouve, dans ces hydrolats scientifiquement analysés, différentes familles de substances et c’est à partir de celles-ci que l’on peut confirmer le mieux-être que peut espérer un patient.

Acide, aldéhyde, cétone, coumarine, dione, diterpénol, ester, éther, lactone, monoterpénol, phénol phtalide, notre liste n’est bien sûr pas exhaustive mais sachez que l’on compte globalement dix-huit familles biochimiques disposant de propriétés susceptibles de soigner, d’améliorer la condition d’une personne bien portante, d’accélérer la remise sur pied d’un malade ou d’un convalescent, bref de permettre de se sentir mieux que l’on souffre ou non d’une affection.

Au sein d’une même famille, certaines molécules peuvent avoir différentes fonctions. Ainsi le linalol est microbicide (et fongicide) mais aussi cicatrisant et calmant.

Peu ou pas d’allergies

Bien entendu, il peut se trouver dans les hydrolats des substances allergisantes. Linalol, citral, citronellal font ainsi partie des vingt-six substances identifiées par la “Directive cosmétique européenne” comme étant potentiellement allergènes.

Des substances ont été testées allergènes en Europe à partir de produits de synthèse isolés, alors que ces mêmes substances, naturelles cette fois-ci car présentes dans une plante, se trouvent mêlées à d’autres dans les hydrolats ou les huiles essentielles et ne sont pas allergènes : l’exemple donné est l’huile essentielle de lavande fine qui contient 30% de linalol et qui pourtant ne provoque pas d’allergies, bien au contraire.

Plus généralement, les molécules naturelles, obtenues par distillation par exemple, sont biodisponibles, utilisables donc, par la cellule, ce qui n’est pas toujours le cas des molécules de synthèse, où là, l’utilisateur est souvent obligé de nettement augmenter les doses : ainsi la vitamine C contenue dans les plantes (fruits notamment) est-elle facilement absorbable par l’organisme, alors que la vitamine C de synthèse, l’est environ deux fois moins.

En revanche, pas question de prêter aux hydrolats des vertus miraculeuses : en phase terminale d’une maladie grave, un hydrolat ne ramènera pas en pleine santé un moribond. Comme les médicaments délivrés en pharmacie, les hydrolats ont, eux aussi, leurs limites !

Fixer les savoirs

Si, globalement (il y a des exceptions...), la communauté scientifique, les Pouvoirs publics et le grand public lui-même accueillent favorablement les travaux menés par Philippe Maunier et Francine Baudry/Ruffat, une ou deux voix dissonantes ont pu se faire entendre, parlant un peu vite d’un “pillage” des savoirs ancestraux.
C’est bien évidemment tout le contraire que ces scientifiques font, en remettant à l’honneur des plantes locales susceptibles de remplacer à terme bien des médicaments classiques, tout en fixant, par la connaissance scientifique, les données empiriques de nos guérisseurs. Cette mise en valeur vient en réalité expliquer pourquoi telle ou telle plante apporte un plus sur le plan santé, une connaissance qui, d’empirique hier, est aujourd’hui devenue scientifique.
Ces travaux n’ont donc pas de raison de susciter de la méfiance et de donner lieu à des critiques infondées mais doivent au contraire nous conforter dans le fait qu’il est aujourd’hui démontré que l’on peut faire confiance à un certain nombre de nos plantes, dont certaines avaient d’ailleurs tendance à tomber dans l’oubli.

“Plantes médicinales”

Pour le moment, les hydrolats tirés des plantes polynésiennes répondent précisément à l’appellation “hydrolats chémotypés et biologiques du Pacifique” ou à une autre appellation plus simple, les “ethno-hydrolats polynésiens”.
En plus clair, on ne peut toujours pas les trouver en vente dans les pharmacies de notre territoire, car la soixantaine de plantes médicinales traditionnelles utilisées ne figure pas encore dans la liste des “plantes médicinales” de France.
 
Voici, très précisément les textes qui régissent ces plantes en France :
“Il s’agit d’un répertoire officiel de plantes considérées comme possédant des propriétés médicinales (art. L. 4211-1 du Code de la Santé Publique). Depuis le 1er août 2013, cette liste est scindée en une liste A et une liste B. Dans ces listes, le type de médecine traditionnelle d’usage (européenne et outre-mer, chinoise ou ayurvédique) y est précisé. La vente de ces plantes médicinales en l’état est réservée aux pharmaciens, sauf pour celles libérées du monopole pharmaceutique. Étant évolutive, de nouvelles plantes sont ajoutées régulièrement à cette liste. C’est notamment le cas, ces dernières années, de plantes médicinales des départements français d’outre-mer et de plantes médicinales chinoises (ndlr : mais pas encore des territoires français d’Outre-Mer, dont la Polynésie française).

La liste A
Elle correspond aux plantes médicinales utilisées traditionnellement. Au 1er janvier 2020, elle comprend 454 plantes, dont 148 plantes d’usage thérapeutique non exclusif , libérées du monopole pharmaceutique si elles sont vendues en l’état (décret n° 2008-841 du 22 août 2008). Il est à noter que quelques aromates (poivre noir, poivre long, poivre de Sichuan…) figurent comme plantes “libérées” sur la liste A des plantes médicinales de la Ph. Française, sans avoir été mentionnées dans le décret n° 2008-841.

La liste B
Elle correspond aux plantes médicinales utilisées traditionnellement en l’état, ou sous forme de préparation, dont les effets indésirables potentiels sont supérieurs au bénéfice thérapeutique attendu. Elle comprend un nombre indéterminé de plantes, car l’ensemble des espèces de certains genres botaniques, comme Aconitum, Ephedra et plusieurs autres, figurent sur cette liste, sans que ces espèces soient individuellement citées”.
 
Il appartient donc aux Pouvoirs publics polynésiens, nous pensons à nos trois députés, à notre sénateur et à notre sénatrice par exemple, d’agir en Métropole pour que nos plantes figurent le plus vite possible dans la liste des “plantes médicinales de France” afin qu’elles aient accès à toutes les pharmacies de Polynésie, de l’Outre-Mer et de la France hexagonale.
Pour le moment, on ne peut parler, sur le plan strictement légal, que de “plantes médicinales traditionnelles”, ce qui ne suffit pas à les libérer des interdits qui pèsent encore sur elles.

Gageons que les travaux remarquables de Francine Baudry/Rufffat et de Philippe Maunier serviront de sésame pour obtenir enfin cette inscription de nos plantes du fenua dans cette fameuse liste... Les plantes des DOM, départements d’Outre-Mer, figurent déjà dans cette liste, le paradoxe étant que l’on pourrait trouver en pharmacie des hydrolats de plantes de Guadeloupe ou de la Martinique, mais pas de Tahiti. A nos élus de faire le lobbying qui s’impose !


Cinq à la manœuvre

Si deux pharmaciens sont les personnages dominants de cette remise au goût du jour des plantes médicinales traditionnelles polynésiennes, rendons à César ce qui est à César. C’est à une équipe de cinq personnes que l’on doit d’avoir vu ce projet mené à bien :
 
- Francine Baudry/Ruffat, docteur en pharmacie
- Philippe Maunier, docteur en pharmacie
- Jean-François Butaud, botaniste, docteur en chimie
- Taivini Teai, docteur en chimie moléculaire et analytique
- Daniel Dantin, chimiste conseil

Le contact

Si vous êtes intéressé par ces plantes médicinales traditionnelles polynésiennes, vous pourrez vous informer amplement en vous plongeant dans le livre qui vient d’être publié à ce sujet : “Les hydrolats chémotypés et biologiques du Pacifique ou ethno-hydrolats polynésiens”.
L’ouvrage est en vente à Paea, au prix de 2 500 Fcfp. Il vous suffit de vous rendre à la boutique de la société Heiva/Le Comptoir des Plantes Polynésiennes (juste derrière la pharmacie de Paea, pk 20,5).
Sur Facebook :
- Le Comptoir des Plantes Polynésiennes
- Heiva Cosmétiques Made in Tahiti

Comment utiliser les hydrolats

Les hydrolats qui se présentent sous forme liquide doivent être conservés au réfrigérateur. Il convient de les utiliser selon les conseils indiqués sur les contenants. Pas d’hydrolat pour les femmes enceintes ou allaitantes et les jeunes enfants.
Bien sûr, si un hydrolat a des propriétés spécifiques, rien n’interdit, bien au contraire, d’élargir son champ d’action en mélangeant et associant d’autres hydrolats. Pour prendre l’exemple de Pulmovir Synergie, il associe des hydrolats de taporo, de vetiver, de tahinu, d’aloe vera, de carambole, de gingembre, de corossol, de goyave, de nono, de pomme éléphant, de naupata, de uru et de pomme cythère.
En revanche, il est évident qu’il ne s’agit pas de se concocter soi-même des cocktails d’hydrolats. Ceux-ci sont réalisés par l’entreprise qui les distille, “Le Comptoir des Plantes polynésiennes”. Et par définition, les distillations exigeant des processus très spécifiques et rigoureux, il n’est pas non plus question de tenter de fabriquer soi-même des pseudo-hydrolats en bricolant sa cocotte-minute ! Ce que l’on obtient dans ce cas de figure s’appelle une décoction. Et le risque est bien réel de se faire au final plus de mal que de bien...
 
Des exigences
 
Les hydrolats réalisés par l’équipe de pharmaciens attelés à cette tache relèvent d’exigences précises. Toutes les plantes en effet doivent être cultivées sous des strictes normes “bio”. Pas question de retrouver dans les hydrolats des traces de produits chimiques, engrais ou insecticides divers.
Autre exigence tout aussi importante, la qualité de l’eau utilisée lors de la distillation : celle-ci doit être absolument pure et exempte de tout produit chimique (comme le chlore que l’on utilise pour potabiliser les eaux délivrées au robinet). Cette eau pure empêche ce que les scientifiques appellent la chélation des molécules : l’hydrolat deviendrait alors totalement ou partiellement inactif.
 
Hydrolats, infusions, décoctions...
 
Il ne faut pas confondre hydrolats, infusions et décoctions.
- L’hydrolat, nous l’avons vu, est un liquide obtenu par distillation (température d’extraction, pression et durée d’extraction étant à déterminer).
- L'infusion est une méthode d'extraction des principes actifs ou des arômes d'un végétal par dissolution dans un liquide initialement bouillant que l'on laisse refroidir. Le solvant n'est pas nécessairement de l'eau, il peut être également une huile ou un alcool.
- La décoction est une méthode d'extraction des principes actifs ou des arômes d'une préparation généralement végétale par dissolution dans l'eau en ébullition. Elle s'applique généralement aux parties les plus dures des plantes : racines, graines, écorce, bois.
 
L’infusion et la décoction permettent de récupérer les principes actifs fixes des plantes, tandis que l’hydrolat permet d’en récupérer les principes actifs volatils. On pourrait considérer qu’un hydrolat possède les propriétés d’une infusion de plantes aromatiques, infusion qui serait boostée par la présence de molécules terpéniques/aromatiques (celles qui viennent de la distillation).





Rédigé par Daniel Pardon le Jeudi 16 Février 2023 à 17:46 | Lu 4810 fois