Les post-larves de crevettes à la loupe


Le transfert des post-larves a débuté mercredi matin (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Tahiti, le 10 juillet 2024 – L’écloserie de Vairao procède actuellement à la livraison d’un nouveau cycle. Une bonne nouvelle pour les fermes, minées par la crise de l’an dernier et une récidive en avril. Pour tenter de renouer avec un climat de production plus serein, des analyses locales et internationales sont en cours.
 
C’était un moment attendu par les professionnels de la filière. Mercredi matin, la livraison d’un nouveau cycle de post-larves de crevettes a commencé à l’écloserie de Vairao. Les précieux juvéniles ont été transférés des bassins noirs vers de grands seaux blancs, d’une contenance de 100 000 individus chacun. Les deux grandes fermes de Teahupo’o et Tautira ont été les premières être fournies dans des fûts dédiés au transport. Celles de Moorea et Hitia’a suivront, sans Toahotu, Toa Vivish ayant mis un terme à son activité.
 
Après la crise de 2023 marquée par deux cycles impactés, et un cycle en difficulté cette année avec une production divisée par deux au mois d’avril, les crevetticulteurs accusent le coup, moralement et financièrement. L’enjeu était donc de taille sur ce nouveau cycle, qui devrait être à la hauteur des attentes. “L’objectif, c'est de sortir l’intégralité de la commande. Pour l’instant, c’est bien parti. On a 90 % de taux de survie depuis la mise en bassins, il y a une semaine, ce qui est la norme. On s’attend à des survies moins bonnes dans les bassins suivants, mais on avait prévu une marge supplémentaire pour fournir les fermes”, indique Benoît Le Maréchal, directeur de la coopérative des aquaculteurs de Polynésie française.
 

Pour Benoît Le Maréchal et son équipe, “l’objectif, c’est de sortir l’intégralité de la commande”.


Des analyses pour “avoir des réponses et des solutions”
 
Son équipe souhaiterait désormais lever les incertitudes qui planent sur cette filière emblématique. Pour y parvenir, plusieurs pistes sont explorées avec différents partenaires. “On sait qu’il y a un lien avec la saison chaude, bien que l’environnement soit contrôlé, notamment au niveau des températures. On suppose que quelque chose rentre avec l’eau du lagon. On a fait de nombreux prélèvements, traités par l’Ifremer et la Direction des ressources marines, notamment pour la bactériologie. Une autre partie sera envoyée en métropole pour des analyses sur les polluants chimiques, les pesticides, etc. L’histologie, avec des coupes de larves pour voir si les organes sont atteints, se fera en Australie. Le Criobe a été sollicité pour des études sur l’azote et le Canada, de mémoire, pour des analyses génétiques”, explique le référent. L’antibiorésistance fait aussi partie des facteurs pris en compte.
 
Sur le plan logistique, l’impact des installations vieillissantes n’a pas non plus été écarté. Lors de l’intercycle, la désinfection a encore été renforcée, le sable des filtres a été changé et le réseau de pompage d’eau de mer, colonisé par divers organismes marins, a été nettoyé. “Le point positif, c’est qu’une partie des bassins n’a présenté aucun problème. Depuis l’an dernier, on teste une nouvelle souche d’algue conseillée par des experts australiens. Est-ce que c’est un gain physiologique en tant qu’aliment pour les crevettes ou est-ce que cette algue consomme quelque chose de problématique dans l’eau ? On cherche encore à le comprendre, car on a besoin d’éprouver dans le temps sans modifier les protocoles trop rapidement”, rend compte Benoît Le Maréchal, qui mise sur l’ensemble des analyses en cours “pour avoir des réponses et des solutions avant la prochaine saison chaude”.
 
Pour rappel, l’unique écloserie du Fenua est à la base d’une filière de production de 200 tonnes de crevettes par an, soit 18 à 20 millions de post-larves. Ce cycle et le suivant devraient permettre d’alimenter les fêtes de fin d’année.
 

Teva Siu, P-dg d’Aquapac à Teahupo’o : “Ça nous pousse à nous améliorer”

“Sur le précédent cycle, nous n’avions eu que le tiers de notre commande. Là, nous devrions avoir la totalité, c’est-à-dire 3 millions de post-larves. Je suis un peu rassuré, car je sais que ce genre de problème fait partie de la vie d’une filière. Ça nous pousse à nous améliorer, finalement. Depuis l’année dernière, on a travaillé à augmenter nos rendements en améliorant la qualité de l’eau. On s’assure qu’il y a suffisamment de bloom pour que les post-larves arrivent dans un milieu stabilisé, où elles trouvent facilement à manger. On surveille aussi la quantité d’aliment distribué pour une bonne croissance, en sachant que trop donner, c’est risquer de dégrader la qualité de l’eau du bassin, avec un risque pour la survie des crevettes. […] On a subi de grosses pertes financières au niveau de notre trésorerie, donc j’en profite pour relancer le Pays pour baisser le prix des post-larves, s’agissant d’une situation exceptionnelle. L’année dernière, sur nos deux fermes, nous avons perdu 40 tonnes. Cette année, c’est de l’ordre de 15 tonnes.”

Des post-larves de crevettes de 12 jours.

L’écloserie de Vairao produit 18 à 20 millions de post-larves par an.

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Mercredi 10 Juillet 2024 à 14:54 | Lu 1882 fois