Manchester, Etats-Unis | AFP | dimanche 07/04/2018 - C'est un simple recoin de la caserne centrale des pompiers de Manchester, à 100 km au nord de Boston: deux chaises en plastique. Sur le mur, un poème en mémoire d'une fille de 20 ans, morte d'une overdose. Et une affichette qui dit "N'importe qui, n'importe quand, peut s'en sortir".
A l'écart des camions de pompiers rutilants, l'endroit fait quelques mètres carrés à peine. Mais il est devenu une bouée de sauvetage pour les toxicomanes de Manchester, et un symbole d'espoir dans la bataille des Etats-Unis contre les opiacés: une famille de drogues qui, telle la morphine, permet de soulager la douleur tout en produisant une certaine euphorie mais qui provoque une dépendance très forte.
Née d'une surprescription d'anti-douleur, la crise des opiacés s'est emballée au point que le président Donald Trump l'a qualifiée en octobre d'"urgence de santé publique".
En 2016, le nombre de morts par overdose aux Etats-Unis a bondi à 63.600 --175 par jour (142 en 2015). Ils sont issus de tous les milieux, souvent loin des clichés du toxicomane.
Après avoir constaté une explosion des appels pour overdoses en 2015, les pompiers de Manchester --plus grande ville du New Hampshire (nord-est) avec 110.000 habitants-- ont lancé en mai 2016 le programme "Safe Station": quiconque a un problème de drogue ou d'alcool peut sonner à leur porte 24h/24, tous les jours.
"Voulez-vous de l'eau? Un Coca?", demande Christopher Hickey, responsable du programme, à Brendan, un toxicomane déposé par une amie devant la caserne.
Dans un état d'anxiété évident, cet homme de 33 ans raconte aux pompiers qu'après deux ans d'abstinence, il a "replongé en novembre et fait dix-huit overdoses depuis". Il demande de l'aide pour décrocher.
Les pompiers le font emmener chez leur partenaire, Granite Pathways, pour évaluer ses besoins et le placer dans un programme de désintoxication.
Arrive ensuite Cody, 31 ans. Bonnet sur la tête, oeil au beurre noir, il découvre son bras droit, couvert de marques de piqûres. Il se dit héroïnomane depuis ses 14 ans. Après plusieurs traitements, il a rechuté en février.
"C'est la première fois que je viens ici", explique cet homme sans domicile fixe. "J'en ai entendu parler, c'est rapide et efficace (...) Je voudrais ne plus refaire la même chose encore et encore".
Blancs, trentenaires, Brendan et Cody correspondent au coeur de cible du fléau des opiacés, qui frappe particulièrement la Virginie Occidentale (est), l'Ohio (nord) et le New Hampshire, qui détient le triste record d'overdoses au fentanyl par habitant.
Depuis 2015, cet opiacé 50 à 100 fois plus puissant que la morphine ou l'héroïne, inonde le marché, explique M. Hickey.
Médicament anti-douleur à l'origine, il est maintenant fabriqué par les trafiquants de drogue, souvent au Mexique ou en Chine, et écoulé massivement aux Etats-Unis.
Quelques milligrammes, achetés pour "cinq à sept dollars", peuvent suffire pour dépasser la dose supportable, explique Christopher Hickey.
Manchester, ex-centre textile dont l'économie a récemment rebondi avec l'arrivée de sociétés high-tech comme Segway, est au coeur de la tempête.
De janvier à mars 2018, les pompiers ont répondu à 152 appels pour overdose. Le centre-ville est le plus touché mais "il n'y a pas de frontières", "les quartiers cossus" sont aussi concernés, explique Jim Terrero, pompier de 28 ans.
C'est après s'être occupé du frère d'un collègue, accroc aux opiacés et suicidaire, que M. Hickey a proposé d'ouvrir les casernes de la ville à toutes les personnes luttant contre la dépendance.
"L'idée était que n'importe qui puisse venir", "être traité comme un être humain", "sans préjugés", explique-t-il. "On pensait avoir deux-trois personnes par mois (...) On en a eu 80 le premier mois. Et presque deux ans plus tard, on est en moyenne à 160 personnes par mois".
Au total, les pompiers ont accueilli plus de 3.300 personnes, venues de la région de Nouvelle-Angleterre (six Etats du nord-est) mais aussi du Texas (sud) et de l'Alaska, à l'autre bout des Etats-Unis.
Un succès tel que le partenaire initial du programme, le prestataire de soins Serenity Place, débordé, a fait faillite fin 2017.
Christopher Hickey et son chef, Daniel Goonan, devenus en quelques mois experts en troubles de la dépendance, ont dû trouver dans l'urgence d'autres partenaires (y compris hôpitaux, compagnies d'assurances, taxis) pour prendre en charge tous ceux qui sonnaient à leur porte.
Safe Station s'est imposé comme un modèle de mobilisation face à la crise: une douzaine de localités ont adopté des programmes similaires et de très nombreuses autres envisagent de faire de même.
M. Goonan s'est rendu trois fois à la Maison Blanche, le président Trump a visité la caserne le 19 mars et l'Institut américain pour les problèmes de drogues a commandé une étude pour analyser son succès.
Si les overdoses n'ont pas baissé, les décès diminuent depuis 2017. "C'est à ça que nous mesurons notre succès", explique M. Hickey.
"Les gens nous appellent plus volontiers", dit-il. "Les stigmates commencent à s'estomper, il n'y a plus le même niveau de gêne qu'auparavant".
Safe Station est "un bel exemple des solutions plus créatives que nous devons envisager au niveau national", souligne Lisa Marsch, spécialiste des opiacés à l'université de Dartmouth.
Mais, selon elle, sa viabilité est fragile et il en faudra beaucoup plus pour endiguer la crise.
"J'ai dit au président (Trump), +On a besoin de votre aide, aucune ville ne peut surmonter ça seule, aucun Etat+", raconte M. Goonan. "Nous, on essaie juste d'empêcher les choses d'empirer".
A l'écart des camions de pompiers rutilants, l'endroit fait quelques mètres carrés à peine. Mais il est devenu une bouée de sauvetage pour les toxicomanes de Manchester, et un symbole d'espoir dans la bataille des Etats-Unis contre les opiacés: une famille de drogues qui, telle la morphine, permet de soulager la douleur tout en produisant une certaine euphorie mais qui provoque une dépendance très forte.
Née d'une surprescription d'anti-douleur, la crise des opiacés s'est emballée au point que le président Donald Trump l'a qualifiée en octobre d'"urgence de santé publique".
En 2016, le nombre de morts par overdose aux Etats-Unis a bondi à 63.600 --175 par jour (142 en 2015). Ils sont issus de tous les milieux, souvent loin des clichés du toxicomane.
Après avoir constaté une explosion des appels pour overdoses en 2015, les pompiers de Manchester --plus grande ville du New Hampshire (nord-est) avec 110.000 habitants-- ont lancé en mai 2016 le programme "Safe Station": quiconque a un problème de drogue ou d'alcool peut sonner à leur porte 24h/24, tous les jours.
"Voulez-vous de l'eau? Un Coca?", demande Christopher Hickey, responsable du programme, à Brendan, un toxicomane déposé par une amie devant la caserne.
Dans un état d'anxiété évident, cet homme de 33 ans raconte aux pompiers qu'après deux ans d'abstinence, il a "replongé en novembre et fait dix-huit overdoses depuis". Il demande de l'aide pour décrocher.
Les pompiers le font emmener chez leur partenaire, Granite Pathways, pour évaluer ses besoins et le placer dans un programme de désintoxication.
Arrive ensuite Cody, 31 ans. Bonnet sur la tête, oeil au beurre noir, il découvre son bras droit, couvert de marques de piqûres. Il se dit héroïnomane depuis ses 14 ans. Après plusieurs traitements, il a rechuté en février.
"C'est la première fois que je viens ici", explique cet homme sans domicile fixe. "J'en ai entendu parler, c'est rapide et efficace (...) Je voudrais ne plus refaire la même chose encore et encore".
- Invasion du fentanyl -
Blancs, trentenaires, Brendan et Cody correspondent au coeur de cible du fléau des opiacés, qui frappe particulièrement la Virginie Occidentale (est), l'Ohio (nord) et le New Hampshire, qui détient le triste record d'overdoses au fentanyl par habitant.
Depuis 2015, cet opiacé 50 à 100 fois plus puissant que la morphine ou l'héroïne, inonde le marché, explique M. Hickey.
Médicament anti-douleur à l'origine, il est maintenant fabriqué par les trafiquants de drogue, souvent au Mexique ou en Chine, et écoulé massivement aux Etats-Unis.
Quelques milligrammes, achetés pour "cinq à sept dollars", peuvent suffire pour dépasser la dose supportable, explique Christopher Hickey.
Manchester, ex-centre textile dont l'économie a récemment rebondi avec l'arrivée de sociétés high-tech comme Segway, est au coeur de la tempête.
De janvier à mars 2018, les pompiers ont répondu à 152 appels pour overdose. Le centre-ville est le plus touché mais "il n'y a pas de frontières", "les quartiers cossus" sont aussi concernés, explique Jim Terrero, pompier de 28 ans.
C'est après s'être occupé du frère d'un collègue, accroc aux opiacés et suicidaire, que M. Hickey a proposé d'ouvrir les casernes de la ville à toutes les personnes luttant contre la dépendance.
"L'idée était que n'importe qui puisse venir", "être traité comme un être humain", "sans préjugés", explique-t-il. "On pensait avoir deux-trois personnes par mois (...) On en a eu 80 le premier mois. Et presque deux ans plus tard, on est en moyenne à 160 personnes par mois".
Au total, les pompiers ont accueilli plus de 3.300 personnes, venues de la région de Nouvelle-Angleterre (six Etats du nord-est) mais aussi du Texas (sud) et de l'Alaska, à l'autre bout des Etats-Unis.
Un succès tel que le partenaire initial du programme, le prestataire de soins Serenity Place, débordé, a fait faillite fin 2017.
- Honneurs de Trump -
Christopher Hickey et son chef, Daniel Goonan, devenus en quelques mois experts en troubles de la dépendance, ont dû trouver dans l'urgence d'autres partenaires (y compris hôpitaux, compagnies d'assurances, taxis) pour prendre en charge tous ceux qui sonnaient à leur porte.
Safe Station s'est imposé comme un modèle de mobilisation face à la crise: une douzaine de localités ont adopté des programmes similaires et de très nombreuses autres envisagent de faire de même.
M. Goonan s'est rendu trois fois à la Maison Blanche, le président Trump a visité la caserne le 19 mars et l'Institut américain pour les problèmes de drogues a commandé une étude pour analyser son succès.
Si les overdoses n'ont pas baissé, les décès diminuent depuis 2017. "C'est à ça que nous mesurons notre succès", explique M. Hickey.
"Les gens nous appellent plus volontiers", dit-il. "Les stigmates commencent à s'estomper, il n'y a plus le même niveau de gêne qu'auparavant".
Safe Station est "un bel exemple des solutions plus créatives que nous devons envisager au niveau national", souligne Lisa Marsch, spécialiste des opiacés à l'université de Dartmouth.
Mais, selon elle, sa viabilité est fragile et il en faudra beaucoup plus pour endiguer la crise.
"J'ai dit au président (Trump), +On a besoin de votre aide, aucune ville ne peut surmonter ça seule, aucun Etat+", raconte M. Goonan. "Nous, on essaie juste d'empêcher les choses d'empirer".