Les plus beaux anciens tiki des Marquises


Tahiti, le 16 janvier 2020 - Les tiki, aux îles Marquises, sont les figures dominantes de la sculpture et de la gravure. Qu’ils représentent le créateur du monde, le premier homme, un ancêtre plus ou moins divinisé, voire un chef ou un héros, les tiki ont, malheureusement, été considérés au temps de l’évangélisation de l’archipel comme des expressions de cultes païens qu’il convenait de faire disparaître. Brûlés (pour ceux qui étaient en bois), brisés, jetés à la mer, beaucoup d’entre eux disparurent à jamais. D’où l’intérêt de recenser ceux qui existent encore sur leur site d’origine, ayant échappé à la destruction. Nous avons choisi de vous présenter ceux qui, à nos yeux, sont les plus beaux parmi ces pièces des temps anciens

Ua Huka : Un trompeur tiki éléphant

Le tiki éléphant (tiki erefani), découvert dans les années 80 à Okatu, est devenu aujourd’hui le tiki baleine (tiki pamuera). Il est la figure emblématique de l’île de Ua Huka.
Le plus célèbre tiki de Ua Huka (et peut-être des Marquises) est le fameux « tiki éléphant » (tiki erefani), rebaptisé aujourd’hui « tiki baleine » (tiki pamuera), découvert dans la forêt au-dessus de Hokatu en 1982. Deux Marquisiens en balade, une pierre différente des autres… le “tiki éléphant” était mis au jour. Avec, comme toujours, un début d'histoire un peu confus avant qu'il ne finisse au musée archéologique de l'île, sur le site Tetumu, trônant dans l'une des vitrines les plus admirées. 
Éléphantesque, le petit bonhomme ne l'est pas vraiment par sa taille, moins de vingt centimètres de hauteur. Mais par son faciès, pas de doute, il est hors normes, comparé à tout le reste de la statuaire marquisienne. Pour autant, il n'est pas unique, puisqu'on retrouve sa “trompe” étrange sur des échasses, des os gravés et d’autres pièces de sculpture marquisienne. 
La seule chose dont on soit sûr à son propos est que l’on ne sait justement rien de certain ni sur lui ni sur sa “trompe” de Babar océanien. On dit que, jadis, les pêcheurs se tournaient toujours vers lui, une fois au large, pour s'assurer de belles prises. Ou même qu’ils l’emmenaient avec eux sur leur pirogue. C'est un peu maigre comme savoir, mais la population des Marquises est passée si près de l'extinction au XIXe siècle qu'il n'est guère étonnant que des connaissances aussi basiques se soient perdues corps et bien. 

Ua Huka : Les triplés de Meiaute

Ce tiki du site de Meiaute, sur les hauteurs de Hane, à Ua Huka est l’un des trois qui ont été préservés. On remarquera ses longues oreilles.
Sur les hauteurs du petit village de Hane, facilement accessible, trônent en majesté trois anciens tiki sur une plate-forme de pierres, un mea’e, d’où l’on a une vue magnifique sur la vallée et l’océan. 
On ne sait que peu de choses sur ces trois sculptures d’environ un mètre de haut, réalisées dans un tuf rougeâtre, ces tiki ayant échappé à la destruction, mais étant aujourd’hui très érodés. Particularité de deux de ceux-ci, des oreilles bien dessinées et saillantes, ce qui est plutôt rare. 
Deux d’entre eux se limitent à un tronc et une tête, ce qui n’est pas le cas du troisième, à gauche de la plateforme, sexué (masculin) et possédant de courtes jambes.

Nuku Hiva : Les onze tiki de Paeke

Ce puissant tiki du site de Paeke est travaillé dans du ke’etu, lave rougeâtre très tendre, mais très friable également.
L’ensemble lithique du mea’e de Paeke a été classé, murs et tiki, en 1952. Le site, qui daterait du XVIe siècle, n’est pas immense : une clairière, un quadrilatère de cinquante mètres par quarante mètres de côté environ, menacé d’être avalé par la forêt l’entourant. Dans les années cinquante, une équipe d’archéologues américains entreprit des travaux de nettoyage et de restauration. Celle-ci fut partielle, mais du moins les Américains parvinrent-ils à dégager ces ruines de leur gangue végétale. 
Deux “carrés” de pierres constituent le meae, un premier à peu près parfait dans la partie basse du site et un second appuyé sur la pente naturelle, un peu plus haut, dominant la vallée comme une muraille. Les deux enceintes sont richement ornées de onze tiki énigmatiques insérés entre les pierres, comme autant de sentinelles. Tous, ou presque, ont des noms, même si, parfois, les uns et les autres aujourd’hui sont en désaccord sur les appellations. On peut ainsi citer : Oneua (tiki double), Puamaumau Etua (tiki simple), Matuoto (tiki décapité), Haehaa, Haeouti et Vehea Etua Mei te Moana. 
Le plus grand mesure 1,70 m. Tous sont sculptés dans un tuf grisâtre  friable et très facilement attaquable. 

Nuku Hiva : Le tiki de Tapuivi, gardien de Aakapa

Enorme bloc rocheux, le tiki de Aakapa est aujourd’hui enfoui dans la forêt, bien au-dessus du petit village.
Jadis vivait dans cette vallée reculée une population importante (proche de la tribu des Teii) ; en témoignent les ruines en pierres sur les hauteurs de Aakapa. Elles sont sous la protection du géant du mea’e de Tapuivi, un gros bloc de lave refroidie, recouvert de mousse verte, dans lequel a été sculpté un magnifique visage de tiki ; son regard, habileté des sculpteurs, est à la fois orienté vers les terres qui l’entourent et vers le ciel. 
Si des reconnaissances ont été faites par des chercheurs dans cette vallée durant le XXe siècle, notamment sur ce mea’e Tapuivi, aucune fouille et aucun défrichage d’ampleur n’a été conduit, permettant de mesurer les dimensions de ce site archéologique encore quasiment vierge, mais très probablement de première importance. 
Autour du tiki, de nombreux pétroglyphes (dont un groupe de créatures qui ressemblent à quatre chiens).

Hiva Oa : Le tiki caché de Puamau

Oublié pendant longtemps, hors des circuits touristiques, voici le tiki sans nom de la haute vallée de Puamau, à Hiva Oa.
Cette sculpture impressionnate orne un ensemble lithique englouti par la forêt, le mea’e Haapaetai. Réalisée en tuf rouge, le ke’etu, elle mesure 1m 55. Elle n’est pas inconnue des spécialistess, mais complètement « oubliée », hors des circuits touristiques. 
Curieusement, ce tiki n’est ni debout, ni couché, juste adossé à des dalles. La statue avait un double, un « jumeau » en quelque sorte, mais il y a quelques décennies, un homme décida de le faire descendre de la montagne pour le planter dans son jardin. Le déplacement de la lourde pierre nécessitait des moyens dont on ne disposait pas à l’époque et ce qui devait arriver arriva : le tiki bascula et se brisa en de multiples morceaux.  Du coup, effrayés par le sacrilège et conscients de l’impossibilité qu’il y aurait à transporter avec succès la deuxième statue, les « déménageurs » l’abandonnèrent sur place, probablement après avoir été descendue de sa plate-forme originelle pour être calée sur celle où elle se trouve aujourd’hui.
Ce tiki est admirablement conservé, n’ayant pas subi de dommages majeurs. Il trône au centre d’un ensemble de trois plates-formes structurées sur deux niveaux. 
Jusqu’en 2001, le tiki était positionné sur la plate-forme supérieure ; il en aurait été descendu à cette date, 

Hiva Oa : Le géant Takaii à Puamau

Takaii, le tiki géant de Puamau, est le plus grand tiki ancien de cet archipel. Mesuré, il avoua ce jour-là 2,55m mais une partie de ses pieds serait dans le sol.
C’est indubitablement le plus grand de tous les tiki anciens, facilement accessible : Takaii, c’est son nom, se dresse sur le paepae Pahivai à Puamau (site de Iipona). C’est le plus grand tiki de Polynésie française avec des tailles très fantaisistes qui n’ont cessé de « bouger », au fil des décennies et des observateurs : nous opterons pour 2,67m, voire 2, 55m, même si des mesures plus récentes ne lui donnent que 2,60 m, tandis que d’autres le « descendent » même à 2,50 m. Takaii est l’image d’un chef guerrier d’autrefois, sans doute l’un des vainqueurs du clan de Puamau, les Naiki, qui avaient eu la très mauvaise idée d’enlever le chef de Hanapaaoa pour le sacrifier. Les tribus alentour se liguèrent et firent payer aux Naiki, par le mort ou l’exil, leur violence. C’est après cette victoire que les grands tiki furent dressés, Takaii étant possiblement l’un de ces vainqueurs des Naiki.
Cette sculpture est en pierre volcanique tendre, du tuf rouge provenant de sites éloignés au fond de la vallée (extraits des flancs du mont Namana). Aujourd'hui, si l'on comprend aisément que Iipona a souffert des outrages du temps et de l'histoire, le site n'en garde pas moins toute sa magie et justifie, à lui seul, le déplacement à Hiva Oa.

Hiva Oa : La tombe chrétienne et païenne de Atuona

Ce tiki en forme de dalle ferme l’entrée d’une tombe dans l’ancien cimetière de Hiva Oa.
Lorsque l’évangélisation des Marquises fut entreprise, non sans mal d’ailleurs, les conversions changèrent les rites funéraires. Les premiers Marquisiens devenus chrétiens, s’ils acceptèrent de ne plus exposer les corps de leurs défunts, eurent tout de même quelques doutes avant de se résigner à enterrer leurs morts. Qui plus est, une croix au dessus de la tombe, cela ne leur disait probablement rien qui vaille pour l’au-delà. Dans un syncrétisme que l’on imagine lié à la survivance de fortes superstitions, certains optèrent donc pour la tombe chrétienne, certes, mais, une fois le mort enterré, dotée d’une dalle beaucoup plus proche des croyances antérieures. En témoignent quelques pierres tombales étonnantes dans le vieux cimetière dominant le village de Atuona, dont celle que nous vous présentons, exceptionnelle. 
Il ne s’agit pas du cimetière où reposent Brel et Gauguin, mais de l’autre, aujourd’hui dans un triste état d’abandon.

Hiva Oa : Un tiki souriant

Le très étonnant tiki souriant près de l’aéroport de Hiva Oa ; en pleine forêt, il repose sur un pavage de pierres ; le site est vaste, sans doute riche, mais aucune restauration n’a encore été possible et c’est bien dommage.
Allez savoir pourquoi, le fait est qu’au beau milieu de la forêt de Hiva Oa, à Punaei, un tiki n’en finit pas de rigoler. Ces figures anthropomorphiques, jadis chargées de mana et souvent destinées à effrayer, arborent généralement des visages graves, des mous sévères, des expressions cruelles. 
Celui sur les hauteurs de Hiva Oa, à droite de la route quand on monte à l’aéroport, est au contraire tout ce qu’il y a de plus souriant. Pourquoi cette expression de bonne humeur ? Personne n’en sait plus rien. 
On regrettera toutefois que le site sur lequel se dresse le tiki rieur ne soit pas mieux mis en valeur. Il ne faudrait pas beaucoup de choses pour rendre à ce coin de forêt un peu de sa grandeur. Quant à des fouilles, elles permettraient de mesurer l’ampleur et l’intérêt de ce coin de forêt.

Hiva Oa : Le mystèrieux Maki i Taua Pepe

Le tiki Maki i Taua Pepe, sur le site de Iipona, à l’époque où il n’était pas encore protégé par un toit ; une femmme qui accouche où une pierre sur laquelle accouchaient les femmes de chefs ? Ou tout autre chose à vrai dire ?
Que dit, que crie, qu'exprime Maki i Taua Pepe sur l'une des esplanades du site archéologique de Puamau ? Plus le tiki est étudié, moins on en sait apparemment, tant cette statue est mystérieuse. Elle étale sa force, sa puissance, toute sa masse sans aucune pudeur, mais pour autant sans rien dévoiler d'elle. 
Certains y ont vu un extra-terrestre... Plus tard, dans les années 80, Maki i redevint, allez savoir pourquoi, une femme en train d'accoucher (et de mourir), hypothèse qui avait été émise par Karl von den Steinen au tournant du XIXe et du XXe siècle. La posture de femme accouchant est pourtant invraisemblable et la présence d'un socle carré à la base de la statue (sous le ventre de la parturiente) vient contredire cette supposition, d'autant que deux chiens en bas-relief ont été sculptés sur le socle ; on voit mal ce que des chiens viendraient faire dans un accouchement… 
Plus récemment, une fente sur le dos de la statue de lave refroidie (du tuf gris) est venue accréditer une autre thèse, tout aussi originale : les femmes de chefs venaient accoucher sur cette statue, dans une position semi-allongée, la fente taillée dans la pierre permettant aux liquides de s'écouler. Mais alors que font des chiens sur le socle de Maki i Taua Pepe ? Et de plus, les femmes de chefs devaient-elles accoucher sur une place publique, offrant ainsi un spectacle dont aucune tradition n'a jamais fait état ? 
La statue était-elle conçue pour être ainsi posée par terre ? Son socle carré à ses pieds ne pouvait-il pas être la pièce qui aurait permis de fixer Maki i Taua Pepe dans un mur, verticalement ? A noter qu’il existe un autre tiki ancien du même type, brisé, sur le site de Meiaute à Ua Huka.

Hiva Oa : Le tiki couronné (Moeone) de Hanapaaoa

Le suberpe tiki couronné Moeone de Hanapaaoa, dominant le site où il se trouve, en pleine forêt.
Hanapaaoa n’est pas le plus visité des sites touristiques de Hiva Oa, mais sur ses hauteurs, veille un superbe tiki d’un peu moins d’un mètre de hauteur, le « tiki couronné » (tiki Moeone), tenant son appellation d’un bandeau sculpté ornant le haut de sa tête. Le site serait celui de l’ancienne tribu des Etuoho. On ne sait que peu de choses de sa fonction, sinon ce que rapporte une tradition ancienne ; selon elle, une fois par an, ce tiki très lourd était descendu en bord de mer pour y bénéficier d’un bain rituel avant d’être remonté sur l’ensemble de plate-formes construites sur une crête et qu’il domine. Le site sacré a probablement continué à être utilisé après l’arrivée des Européens et lors de la phase de mortalité très élevée due à l’introduction de maladies ; on retrouve en effet ici et là sous des pierres, à peine cachés, des ossements humains, sans doute ceux de victimes d’épidémies, et dont les dépouilles étaient sommairement entreposées sur ce site archéologique qui attend une véritable restauration.

Hiva Oa : Le tiki de Taaoa

Le grand tiki sur les hauteurs de Taaoa est presque noyé par la forêt le dominant. Nul ne sait qui il était ni quels étaient ses pouvoirs, son « mana ».
Gigantesque champ de ruines cachées sous un épais couvert végétal, la vallée de Taaoa, à Hiva Oa, a souvent été comparée à un véritable Machu Picchu polynésien dormant encore sous sa gangue verte. De fait, des centaines de paepae, des pétroglyphes, des pierres à cupules (pour le tatouage), des polissoirs, des aiguisoirs se trouvent ici et là sous les pas des marcheurs.
Une petite partie du site, le tohua Upeke, a été dégagée de la brousse, de même que les paepae l’entourant, ainsi que deux mea’e. Dominant le site, une plate-forme de blocs de lave sert d’écrin à un splendide tiki au visage plat, sculpté sur une pierre lisse d’environ 1,30m de hauteur.
L’ensemble est utilisé aujourd’hui pour de grandes fêtes, comme le Festival des Marquises, le fameux Matavaa o te Henua Enana.
On regrettera qu’à proximité du grand tiki, une tête sculptée de ke’etu rougeâtre a été volée au mois de novembre 2012, preuve que les sites doivent être gardés et surveillés.

Trois îles seulement

Notre parcours en quête des plus beaux tiki des Marquises nous a conduit à Hiva Oa (groupe Sud), à Nuku Hiva et Ua Huka (groupe Nord). Si nous avons fait l’impasse sur les trois autres îles habitées (Tahuata et Fatu-Hiva dans le groupe Sud et Ua Pou dans le groupe Nord), c’est tout simplement parce que sur ces îles, il existe certes de nombreux vestiges des temps anciens, mais bien peu de tiki d’une taille et d’une qualité méritant d’être classés parmi les plus beaux. La destruction des « idoles païennes » a parfois été radicale et les tiki ont souvent été les premiers à en faire les frais, même si l’on peut en trouver d’autres dans certains musées comme celui de Tahiti et ses îles.

Rédigé par Daniel Pardon le Jeudi 16 Janvier 2020 à 17:10 | Lu 9042 fois