Les paradoxes du tourisme durable en séminaire à l'UPF


Tahiti, le 2 juin 2022 – Chercheurs et professionnels se sont réunis en séminaire à l'UPF pour explorer des pistes de réponses aux défis inhérents à la volonté de développer un tourisme durable en Polynésie. Une des difficultés principales est de rendre plus respectueux de l'environnement ce secteur clé de l'économie qui repose sur des transports émetteurs de CO2.
 
Après le Covid, "le tourisme sera durable ou ne sera plus", c'est en substance le message que l'Organisation mondiale du tourisme fait passer depuis deux ans. Le Pays souhaite orienter sa stratégie touristique dans ce sens pour les années à venir. Et c'est le cœur des débats des 12es journées scientifiques du tourisme durable qui se sont ouvertes ce jeudi matin au Fare pote'e de la Présidence de l'université, sur le thème : "La digitalisation au service du management du tourisme durable".
 
Ce séminaire hybride, en présentiel et en visio-conférence, organisé conjointement par l'Association internationale pour le management du tourisme durable (Université Sorbonne Paris nord) et le Centre d'étude sur le tourisme en Océanie - Pacifique (Université de la Polynésie française) propose une vingtaine de communications pendant deux jours, les 2 et 3 juin. Chercheurs, représentants d'administrations et professionnels se sont réunis pour échanger au travers des expériences et des recherches menées à travers le monde. Le but est de comparer les approches et les réponses potentielles, car l'enjeux est de taille.
 
Un secteur clé de l'économie
 
Dès l'ouverture du séminaire, est mise en avant la place capitale du tourisme dans le développement économique du fenua, dont le portefeuille est désormais géré par le chef du gouvernement. Représentant 10 % du PIB et générant 11 000 emplois, l'industrie touristique est la seule ressource propre significative du Pays, rappelle l'économiste Vincent Dropsy. La crise du Covid a néanmoins mis en avant l'extrême fragilité d'un secteur complètement dépendant de deux marchés émetteurs : les États-Unis et la France. Depuis quelques mois, se dessine une tendance mondiale à la reprise des voyages touristiques, "presque brutale" selon Yann Rival, co-organisateur du colloque. Longtemps confiné à l'image des bungalows sur pilotis et à une destination de lunes de miel, le tourisme polynésien cherche à se réorienter vers un tourisme culturel et surtout durable.
 
"Comment faire un tourisme durable avec un transport qui ne l'est pas ?"
 
En réalité, le tourisme durable est un tourisme de paradoxe, dont le premier surgit dans les discussions en cette fin de matinée : "Comment faire un tourisme durable avec un transport qui ne l'est pas ?" interroge Marie Delaplace, de l'Université Gustave -Eiffel. À l'échelle mondiale, le tourisme représente près de 10 % des émissions de CO2 parmi lesquelles trois quarts sont générés par les transports touristiques. Un touriste génère en moyenne 4 tonnes de CO2, souligne Julien Vicher-Visin, économiste de l'ISPF. Mais ces chiffres moyens planétaires doivent probablement être revus à la hausse pour la Polynésie qui développe un tourisme de circuit, avec trois îles visitées par touriste en moyenne. L'avion est le seul moyen de transport qui lui est proposé. Le tourisme de croisière n'est pas moins polluant, insiste Marie Delaplace, raison pour laquelle la plupart des grandes villes bannissent les paquebots de leurs ports. Telle est la contradiction clé du développement d'un tourisme durable au milieu du Pacifique, dépendant de marchés éloignés, comme l'a illustrée récemment la signature d'un partenariat aérien entre le Pays et les Îles Cook, élaboré en plein sommet climatique.
 
Utile à la population
 
De plus l'urgence économique vient contrebalancer l'urgence climatique. "Par durable, il faut entendre un développement qui ne compromet pas celui des générations futures", insiste Hironui Johnston, conseiller technique du gouvernement. Un tourisme durable doit, pour lui, être socialement équitable. Et cette justice sociale passe, à ses yeux, par une décentralisation du tourisme à l'échelle du Pays. "Seules dix îles de Polynésie française sont réellement des destinations touristiques", explique-t-il, avant d'ajouter "si on le répartit sur l'ensemble du territoire polynésien, l'impact écologique des flux touristiques sera moins lourd, localement, et l'impact économique plus profitable à tous. Le développement durable n'a de sens que s'il est utile à la population".
 
Les solutions ne sont pas évidentes, prévient Vincent Dropsy, pour qui les réponses "traditionnelles", les quotas, les taxes ou les compensations carbones ne sont jamais satisfaisantes. Pour un Pays dont le tourisme est "résolument tourné vers la mer" et qui vise la neutralité carbone, qui doit payer les taxes liées à la protection du milieu marin ? Le Blue Climate Summit a compensé deux fois son empreinte carbone, mais l'a fait via des programmes extérieurs au fenua, car il n'existe pas de programme de compensation carbone local. L'avenir du tourisme en Polynésie française n'est-il que celui d'un tourisme d'ultraluxe, qui peut se permettre de payer un droit à polluer ? Le tourisme durable peut-il être le même partout ? Deux jours intensifs de débats et de communications ne seront pas de trop pour répondre aux défis posés par cette volonté de développer une économie autour d'un tourisme plus respectueux de l'environnement.

Infos pratiques:

Pour plus d'informations sur les 12es journées scientifiques du tourisme durable, consultez la page de l'UPF

Le séminaire est retransmis en direct sur la chaîne youtube de l'UPF
 

Yann Rival, Maître de conférences en sciences de gestion et de management, co-organisateur du séminaire:
"On a tous les ingrédients en Polynésie pour développer un tourisme durable".

 
Le tourisme durable, Est-ce autre chose qu'un adjectif cosmétique accolé à l'activité touristique classique ?

"C'est un tourisme qui s'inscrit dans l'approche de développement durable, avec cette idée de préservation de l'environnement. Mais il ne faut pas oublier sa dimension sociale et économique, qui sont reliées. Concrètement, c'est un tourisme qui s'inscrit dans le respect des cultures d'accueil, dans le développement économique local à long terme, tout en préservant l'environnement hôte."
 
En Polynésie, le tourisme est un enjeu économique majeur, est-ce que ces deux idées ne sont pas contradictoires ?

"Ces journées scientifiques sont là pour réfléchir autour de ce débat. On a tous les ingrédients en Polynésie pour développer un tourisme durable, puisque le choix a été fait depuis un certain nombre d'années de s'orienter vers un tourisme de niche, pas du tout un tourisme de masse comme on peut avoir à Bali ou en Thailande. Le choix a été fait aussi de s'orienter vers un tourisme proposant une expérience culturelle propre à la Polynésie. Les pensions de famille sont vraiment une spécificité polynésienne dans ce cadre-là, c'est un outil incroyable de promotion de ce tourisme culturel et durable, c'est le cœur même de leur activité."
 
Qu'est-ce que la crise sanitaire a changé aux perceptions du tourisme durable ?

"Ce séminaire a été reporté deux fois à cause du Covid. Mais c'est peut-être un mal pour un bien. La crise sanitaire a complètement changé les choses, il y a un avant et un après Covid. C'est ce que dit en substance l'Organisation mondiale du tourisme : Le tourisme sera durable ou ne sera plus. On a vu pendant les confinements et les fermetures de frontières à quel point la nature se manifestait. Ça a marqué durablement les esprits des clients et des professionnels du tourisme."

Rédigé par Antoine Launey le Jeudi 2 Juin 2022 à 19:58 | Lu 1914 fois