Les moustiques mâles, petits soldats dans la lutte anti-vectorielle


Hervé Bossin, chercheur responsable du laboratoire d'entomologie médicale de Paea et Jérôme Marie, ingénieur de laboratoire à l'ILM.
PAEA, 29 janvier 2019 - Le laboratoire d’entomologie de l’Institut Louis Malardé compte devenir, dès 2020, un agent déterminant dans la lutte anti-vectorielle contre les moustiques responsables de la transmission des arbovirus en Polynésie française. Son atout : la technique de l’insecte incompatible.
 
Cette Technique de l’insecte incompatible (TII) vise au contrôle des populations de moustiques. Elle repose sur la production en grand nombre et le lâcher régulier, dans les zones infestées, de moustiques mâles porteurs d'une souche de bactérie Wolbachia. Cette bactérie est naturellement présente chez 60 % des insectes, mais pas chez le moustique ciblé.

Chez le moustique, seule la femelle pique. En s’accouplant, les mâles porteurs de wolbachia stérilisent les moustiques femelles sous l’effet des propriétés naturelles de la bactérie. Dans la nature, si les mâles incompatibles entrent en concurrence avec leurs homologues "sauvages", dans la course à la reproduction, lorsqu’ils s'accouplent ils contaminent la femelle. Celle-ci, ne se reproduisant qu’une seule fois dans son cycle de vie (5 à 9 jours), se trouve contaminée et ne pondra que des œufs stériles. Plus on lâche de moustiques mâles porteurs de la bactérie, plus la population de moustiques ciblée diminue.

Le principe de la Technique de l'insecte incompatible (Source ILM).
La technique de l’insecte incompatible est testée par le laboratoire d’entomologie médicale de l’Institut Louis Malardé depuis quelques années déjà sur deux sites hôteliers pilotes du fenua, à Tahaa depuis 2018 et au Brando de Tetiaroa jusqu’en 2016. Sur place ce mode opératoire très respectueux de l’environnement a permis une élimination durable des petits volatiles piqueurs. L’expérimentation s’est pour l’instant intéressée aux spécimens aedes polynesiensis, les moustiques impliqués dans la transmission de la filariose. Ces insectes sont très présents dans les fonds de vallée et les îles et sont forts dommageables au confort des touristes.

"Concernant l’aedes polynesiensis, l’histoire est écrite, explique le Dr Hervé Bossin, le responsable du laboratoire d'entomologie médicale de Paea : on a posé les bases de la mise en œuvre routinière ; on a une maîtrise totale, de bout en bout, du procédé ; on peut procéder à des traitements à grande échelle. Aujourd’hui, on traite environ 1,5 km carré entre les deux sites de Tahaa et Tetiaroa. Dans le monde c’est une des plus grandes opérations sur le long terme."

Fort de ce succès, l’Institut Louis Malardé projette dorénavant de s’intéresser à un autre spécimen de la grande famille des moustiques : l’aedes aegypti. Cet insecte non endémique s'est répandu en Polynésie depuis le début du XXe siècle. Il est aujourd'hui très présent dans l’environnement domestique. Il se manifeste principalement durant le jour, avec des pics de nuisance à l'aube et au crépuscule. Il est le principal vecteur de transmission dans la population des arbovirus tels que la dengue, le zika ou le chikungunya.

L’aedes aegypti se trouve donc en bonne place sur la liste des ennemis publics du point de vue des autorités sanitaires. L’élimination systématique des gîtes larvaires est aujourd’hui le principal moyen de contrôle de ce vecteur. Cependant, cette méthode de traitement est complexe et coûteuse en ressources humaines, compte tenu des nombreux gîtes larvaires cryptiques ou inaccessibles. D’un autre côté, le recours accru aux insecticides pour la lutte contre les épidémies de dengue cause des dégâts non maîtrisés sur l’environnement.

​Production industrielle en 2021

"Le moustique aedes aegypti et l’aedes polynesiensis représentent des nuisances et sont la cause de nombreuses maladies et d’inconfort, constate le Dr Bossin. L’institut Malardé est en train de développer un procédé contre ces deux espèces. Celui-ci va permettre de réduire de façon drastique à la fois les nuisances et le risque d’exposition aux maladies. Pour ce faire, et afin de gagner du temps, nous faisons appel à une expertise avec l’acquisition de souches de moustiques que l’on va ensuite introduire dans le patrimoine local de façon à faire des colonies incompatibles polynésiennes de ce moustique aedes aegypti. Ensuite, on procédera comme pour l’aedes polynésiensis. C’est la même routine : on amplifie ; on produit en masse ; on sépare les mâles des femelles ; on lâche les mâles sur le terrain et ils font leur travail. Avant que ces opérations sur le terrain n’aient lieu, on aura vérifié tous les paramètres de la colonie ainsi constituée, afin de s’assurer qu’elle fait bien ce qu’elle est censée faire : que les mâles sont bien incompatibles, que wolbachia se maintient de génération en génération, que ces moustiques s’amplifient facilement en laboratoire, etc. Ce processus prendra à peu près un an avant que l’on soit en mesure de donner le feu vert pour les opérations de terrain."

L’ILM a reçu la semaine dernière l'autorisation administrative d'importer des spécimens aedes aegypti wolbachia. Elle envisage de produire de manière industrielle ce moustique porteur de la précieuse souche bactérienne.

Un module de production dédié de 600 mètres carrés est en projet au laboratoire d’entomologie de Paea. Il sera doté d’équipements spécialisés et devrait voir le jour d’ici 2021, grâce à un investissement de 550 millions Fcfp financé avec le contrat de projets.

Une cartographie des sites sensibles doit être réalisée en attendant pour cibler les zones de traitement, à terme. Les premiers lâchers d'aedes aegypti dans la nature devraient avoir lieu fin 2019, courant 2020. La lutte anti-vectorielle sur la base de cette technique de l'insecte incompatible devrait ensuite prendre une ampleur à la mesure de la production du module industriel de Paea. 

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mardi 29 Janvier 2019 à 16:31 | Lu 1884 fois