Les ministres se régalent de nourriture refusée par les supermarchés


NAIROBI, 19 fév 2013 (AFP) - Une centaine de ministres et personnalités du monde entier ont dégusté mardi à Nairobi un repas de chef à base de nourriture refusée par des supermarchés européens pour raisons esthétiques, une façon de dénoncer "le scandale" de ce gaspillage massif.

Le repas a été servi aux invités de la réunion annuelle au sommet du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), à partir de 1.600 kilos de légumes et fruits kényans rejetés par ces chaînes de distribution.

"Aucune raison économique, environnementale ou éthique ne peut justifier un gaspillage de nourriture de cette ampleur", a déclaré le directeur du PNUE, Achim Steiner, aux convives réunis au siège de son organisation à Nairobi.

Cette organisation des Nations Unies mène campagne pour réduire la quantité de nourriture perdue ou jetée, soit 1,3 milliard de tonnes dans le monde chaque année, afin de réduire l'impact de ce phénomène sur "un système mondial de production alimentaire déjà poussé à ses limites".

Les ministres de l'Environnement et leurs délégations s'en seraient difficilement rendu compte si on ne le leur avait pas dit, mais le menu végétarien servi mardi soir était composé exclusivement de légumes et fruits à l'aspect jugé insatisfaisant par les chaînes de distribution alimentaires européennes.

Au menu figuraient cinq plats dont des chaussons de maïs grillé, un "dal" (sorte de purée) indien de lentilles jaunes au tamarin, et en dessert un "mangomisu", un tiramisu à base de pulpe de mangue.

Ces produits jugés indésirables en Europe avaient été cultivés au Kenya, un important exportateur de fruits et légumes vers l'Europe et en particulier vers la Grande-Bretagne.

Mais des exemples similaires du "pouvoir disproportionné des supermarchés" sur les producteurs agricoles travaillant à l'exportation se retrouvent à foison dans le monde entier, affirme Tristram Stuart, un militant anti gaspillage qui a collecté la nourriture utilisée pour le repas de VIP de Nairobi.

Plus d'un tiers de la production alimentaire mondiale est aujourd'hui inutilisée, ce qui nourrit l'inflation et contribue au réchauffement planétaire, alors même que près d'un milliard de personnes ne mangent pas à leur faim, selon l'association "Feeding the 5.000" (version anglaise du "miracle de la multiplication des pains") qu'anime M. Stuart.

Cette association mène des actions pour alerter l'opinion publique sur ce gaspillage. Un curry gratuit pour 5.000 personnes avait ainsi été organisé en octobre dernier sur le parvis de l'Hôtel de Ville à Paris.

haricots jugés pas assez verts

"C'est un énorme scandale, mais c'est aussi une énorme chance" de changer cette situation, a déclaré à la presse M. Stuart, qui s'est dit "vraiment choqué" de la quantité de nourriture parfaitement saine jetée au Kenya après avoir été refusée par les supermarchés.

Le militant écologiste ne décolère pas contre "les pratiques particulièrement pernicieuses" qui poussent la grande distribution à refuser par exemple des haricots jugés trop longs ou pas assez verts.

Les agriculteurs kényans n'ont souvent pas le droit contractuel de vendre localement, ni même de donner à des organisations caritatives, cette production rejetée, et ils ne peuvent alors l'utiliser que comme nourriture pour leur bétail, selon M. Stuart.

"Si cela arrive au Kenya, c'est que cela arrive ailleurs en Afrique, en Asie et en Amérique latine," a déclaré le porte-parole du PNUE, Nick Nuttall. "Cela pourrait bien n'être que la partie émergée de l'iceberg".

Un fermier kényan sous contrat avec une chaîne de supermarchés britanniques a déclaré se voir refuser jusqu'à 40 tonnes de légumes chaque semaine, soit 40% de sa production, selon Tristram Stuart.

De plus, une partie de cette production est destinée à un marché occidental, comme le maïs miniature, et elle s'écoule par conséquence difficilement sur les marchés locaux.

Tristram Stuart dit être ressorti atterré de sa quête des légumes et fruits refusés au Kenya.

"Il n'y a pas de différence notable (entre production acceptée et refusée), c'est incroyable car en ce qui me concerne, je ne parviens pas à distinguer (entre les deux)". "Les supermarchés n'ont pas besoin d'imposer des normes esthétiques aussi strictes", estime-t-il.

Rédigé par Par Peter MARTELL le Mardi 19 Février 2013 à 06:38 | Lu 365 fois