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Les militaires polynésiens blessés en attente de considération


Le Forum des blessés militaires a permis aux aidants de se faire entendre auprès des institutions locales et nationales.
Le Forum des blessés militaires a permis aux aidants de se faire entendre auprès des institutions locales et nationales.
Tahiti, le 24 avril 2025 - Ce jeudi, au Cercle mixte interarmées de Tahiti, s'est tenue la deuxième édition du Forum des blessés militaires. L'occasion pour ces rescapés de guerre et leurs familles, embourbés dans les différents processus administratifs, de se faire entendre des institutions locales et nationales, dont les interactions semblent limitées et insuffisantes. En effet, si des dispositifs d'aide existent en Métropole, ces derniers ne sont pas nécessairement appliqués sur le territoire. 
 
“Les armées ont à cœur de maintenir le lien avec leurs blessés, de le renforcer”, assure Léopoldine Debray, directrice adjointe du service de santé des armées en Polynésie et membre de l'organisation du deuxième forum des blessés militaires, organisé ce jeudi au Cercle mixte interarmées. “Depuis l'année dernière, nous avons souhaité mettre en place un forum au profit des blessés, avec comme cible prioritaire les anciens blessés militaires revenus au Fenua, qui ont un petit peu plus de difficultés à être suivis.” Un forum qui, cette année, soulignait non seulement la dure réalité des blessés militaires, mais également celle de leurs aidants, dont notamment leurs familles. À cet effet, diverses interventions ont été prévues : “Nous avons également mis en place des tables rondes pour les blessés et leurs familles. On a souhaité que chacun puisse un peu prendre sa place, exprimer ses besoins et parler de son quotidien. Le but était vraiment d'identifier ce qui a déjà marché et, à l'inverse, ce qui manque.”
 
Car des manques, il y en a. Julie, 32 ans, est mariée à un militaire polynésien victime de stress post-traumatique. Un périple qu'elle raconte : “Ce qui a été difficile, ce sont les démarches administratives. Max – son mari – était souvent fatigué, il avait du mal, donc on faisait ces démarches tard le soir. Et puis surtout, il y a cet isolement. Même si, aujourd'hui, il y a des améliorations, on ne prend pas encore en compte toute la cellule familiale. Ces situations sont délicates et se répercutent sur tout le monde autour de la victime. Il faut intégrer la famille au processus d'accompagnement, aux différents rendez-vous avec les professionnels, lui faire part des résultats ou du diagnostic de la victime pour qu'elle sache comment agir et réagir. C'est important. Cela n'a pas été mon cas, ou plutôt ça a mis énormément de temps et ce n'était vraiment pas évident.”
 
Des dispositifs mais un manque de coordination institutionnelle
 
Pourtant, en Hexagone, des dispositifs existent. Et à ce titre, Marie-Alem Oukaci, cheffe du pôle accompagnement social des blessés et familles endeuillées au sein du Service de l'action sociale des armées, est longuement intervenue auprès de ce public venu en nombre : “Je suis venue de Paris afin de délivrer une information sur les droits et les dispositifs, avec leurs récentes évolutions, pour que ce qui est décidé au plus haut arrive au bon endroit et directement aux personnes qui peuvent en bénéficier. (...) Nous sommes ici pour nous assurer que l'information, toute l'information, est transmise et pour voir comment est-ce que les dispositifs décidés en Hexagone peuvent s'adapter ou s'articuler avec les dispositifs locaux et l'organisation des structures institutionnelles du Pays.”
 
Actuellement, en métropole, deux types de dispositifs sont à distinguer : les dispositifs de droit commun et les dispositifs qui interviennent dans le cadre du plan d'action ministériel “Blessés”. Parmi ces mesures récentes ayant le plus d'impact, Marie-Alem Oukaci détaille : “Aujourd'hui, nous avons par exemple la prise en charge du soutien psychologique qui a été élargie. Elle existe depuis 2015 mais elle a connu des évolutions en 2020 et 2024. Dorénavant, on prend en charge plus de séances psychologiques pour les familles de militaires blessés, et l'on a accepté la prise en charge du tiers payant. Du coup, on évite aux familles d'avancer les frais. C'est une des avancées très significatives et très concrètes.” Pour autant, afin de bénéficier de ce type d'aide, encore faut-il identifier et poser les diagnostics qui conviennent et ce le plus rapidement possible. Or, dans les faits, il peut se passer des années avant que les mots “stress post-traumatique” soient reconnus et acceptés par les victimes, leurs familles, ainsi que les professionnels de santé. Du côté des militaires blessés, un même son de cloche : “Avec toute cette lenteur administrative, on se dit qu'on aurait mieux fait de revenir au pays dans une boîte ! Mort, ça aurait été moins compliqué !” C'est dire !
 

Alex Tite, 42 ans, militaire polynésien blessé
“Toute la partie gauche de mon corps a été touchée par des éclats de métal”
 
“Ça s'est passé le 14 juillet 2014, au Mali. On était dans un village, vers le nord, et malheureusement, on a rencontré un véhicule kamikaze qui s'est fait sauter à côté de nous. Nous étions une dizaine de blessés, dont sept graves et un chef qui est décédé. Moi, j'ai fait partie des blessés graves. Toute la partie gauche de mon corps a été touchée par des éclats de métal. J'ai perdu l'usage d'un œil, d'une oreille, et j'ai des séquelles au niveau des membres supérieurs et inférieurs. Aujourd'hui, j'ai plusieurs pathologies en plus du stress post-traumatique. Il y a des choses que l'on a vues et qui reviennent... Des choses qu'il faut essayer de surpasser et vivre avec, c'est dur. On n'a pas le choix, c'est à vie. Mes enfants m'ont vu partir en uniforme, bien comme il faut, et revenir avec plein de pansements partout. Ils se sont posé beaucoup de questions et ça a été beaucoup de discussions afin qu'ils comprennent ce qui s'est passé et la réalité de la vie d'un militaire.”
 
"Concernant les dispositifs d'aide, il faut trouver des solutions plus rapides. Aujourd'hui, il y a clairement un moment de latence entre la France et la Polynésie. L'administration est lente et en attendant, nous, on subit, nos familles subissent. On fait ce qu'on peut et on essaie de garder la tête sur les épaules malgré tout. Parfois, on flanche aussi, ça fatigue, c'est lent. Aujourd'hui, ce forum concerne aussi et surtout les aidants, mais moi, je n'en ai pas. Du coup, je dois gérer mes enfants, ma blessure, et le suivi, la rééducation. Je fais tout seul. En métropole, je sais que j'aurais été suivi différemment. Nous sommes rentrés et nous avons subi le système. Maintenant, nous voulons que ceux qui rentreront à l'avenir ne subissent rien. Il faut que les autorités comprennent.”  

Rédigé par Wendy Cowan le Jeudi 24 Avril 2025 à 16:54 | Lu 2063 fois