Les médias se mobilisent pour soutenir Charlie Hebdo, de nouveau menacé


Paris, France | AFP | mercredi 23/09/2020 - Journaux, magazines, chaînes de télévision et radios: près d'une centaine de médias publient mercredi une lettre ouverte appelant les Français à se mobiliser en faveur de la liberté d'expression, en soutien à Charlie Hebdo, objet de nouvelles menaces.

L'hebdomadaire satirique a décidé de republier les caricatures de Mahomet, qui en avaient fait une cible des jihadistes, à la veille de l'ouverture du procès de l'attentat qui avait décimé sa rédaction en janvier 2015.

Une réédition saluée par certains, qui lui a aussi valu de nouvelles menaces notamment de la part de l'organisation jihadiste Al-Qaïda et la condamnation de quelques pays musulmans.

Après la republication des caricatures le 2 septembre, "Charlie Hebdo est à nouveau menacé par des organisations terroristes. Des menaces qui constituent une véritable provocation en plein procès des attentats de janvier 2015. Des menaces qui vont bien au-delà de Charlie puisqu’elles visent aussi tous les médias et même le Président de la République", déplore Riss, le directeur de Charlie Hebdo, dans une déclaration à l'AFP.

"Il nous a semblé nécessaire de proposer aux médias de réfléchir à la réponse collective qui méritait d’être donnée à cette situation", explique-t-il.

Cette mobilisation s'est traduite par une lettre ouverte, qui fait la une de l'hebdo satirique ce mercredi et paraît dans les pages et sur les sites internet des médias signataires, parmi lesquels la presse nationale et régionale, les principales chaînes de télévision, des hebdomadaires et des radios.

"Grâce à une mobilisation historique des médias français, en publiant tous ensemble cette lettre à nos concitoyens aujourd’hui, nous souhaitons envoyer un message puissant pour défendre notre conception de la liberté d’expression mais, bien au-delà, de la liberté de tous les citoyens français", indique Riss, invitant "tous les médias qui le souhaiteraient à publier cette lettre".

"Réunir nos forces"

"Aujourd'hui, en 2020, certains d'entre vous sont menacés de mort sur les réseaux sociaux quand ils exposent des opinions singulières. Des médias sont ouvertement désignés comme cibles par des organisations terroristes internationales. Des États exercent des pressions sur des journalistes français +coupables+ d'avoir publié des articles critiques", peut-on lire dans ce texte intitulé "Ensemble, défendons la Liberté".

Le texte déplore que "c’est tout l’édifice juridique élaboré pendant plus de deux siècles pour protéger votre liberté d’expression qui est attaqué, comme jamais depuis 75 ans" et défend "la liberté de blasphémer".

"Ce texte dit parfaitement que nous devons être tous conscients et mobilisés pour défendre cette liberté, a réagi le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer sur Twitter, où le sujet était l'un des plus discutés en France mercredi.

"Menacé de mort et grossièrement calomnié, je défends sans condition la liberté de la presse, le refus absolu de la violence et le châtiment de ceux qui pratiquent ou incitent à la violence", a twitté le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, accusé par Charlie d'entretenir un climat de défiance envers l'hebdo.

L'AFP n'a pour sa part pas souhaité s'associer à ce texte, afin de ne pas mettre ses équipes en danger dans des pays où le droit au blasphème est considéré comme une provocation, selon le directeur de l'information Phil Chetwynd. "Nous avons des journalistes partout sur le terrain, notamment dans des zones très sensibles" sur ces questions, a-t-il insisté.

Le syndicat SNJ de l'agence a déploré cette décision, faisant part de sa "consternation", tout comme la Société des journalistes (SDJ), qui "regrette l'absence de débat sur ce sujet" et s'est associée de son côté à la lettre ouverte.

Les douze dessins reproduits par Charlie avaient été publiés initialement par le quotidien danois Jyllands-Posten le 30 septembre 2005, puis repris par l'hebdo satirique en 2006. Ils montrent notamment le prophète portant une bombe au lieu d'un turban, ou en personnage armé d'un couteau flanqué de deux femmes voilées de noir.

Alors que se tient jusqu'au 10 novembre le procès de l'attentat qui avait fait 12 morts le 7 janvier 2015, la directrice des ressources humaines de Charlie Hebdo, Marika Bret, a assuré en début de semaine qu'elle avait dû être exfiltrée de son domicile en raison de menaces jugées sérieuses, à la suite desquelles le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a dit avoir demandé à ce "qu'on puisse réévaluer les menaces qui pèsent sur les journalistes et les collaborateurs de Charlie Hebdo".

Lettre ouverte à nos concitoyens : Ensemble, défendons la liberté

Il n’est jamais arrivé que des médias, qui défendent souvent des points de vue divergents et dont le manifeste n’est pas la forme usuelle d’expression, décident ensemble de s’adresser à leurs publics et à leurs concitoyens d’une manière aussi solennelle.

Si nous le faisons, c’est parce qu’il nous a paru crucial de vous alerter au sujet d’une des valeurs les plus fondamentales de notre démocratie : votre liberté d’expression.

Aujourd’hui, en 2020, certains d’entre vous sont menacés de mort sur les réseaux sociaux quand ils exposent des opinions singulières. Des médias sont ouvertement désignés comme cibles par des organisations terroristes internationales. Des États exercent des pressions sur des journalistes français « coupables » d’avoir publié des articles critiques.

La violence des mots s’est peu à peu transformée en violence physique.

Ces cinq dernières années, des femmes et des hommes de notre pays ont été assassinés par des fanatiques, en raison de leurs origines ou de leurs opinions. Des journalistes et des dessinateurs ont été exécutés pour qu’ils cessent à tout jamais d’écrire et de dessiner librement.

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi », proclame l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, intégrée à notre Constitution. Cet article est immédiatement complété par le suivant : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Pourtant, c’est tout l’édifice juridique élaboré pendant plus de deux siècles pour protéger votre liberté d’expression qui est attaqué, comme jamais depuis soixante-quinze ans. Et cette fois par des idéologies totalitaires nouvelles, prétendant parfois s’inspirer de textes religieux.

Bien sûr, nous attendons des pouvoirs publics qu’ils déploient les moyens policiers nécessaires pour assurer la défense de ces libertés et qu’ils condamnent fermement les États qui violent les traités garants de vos droits. Mais nous redoutons que la crainte légitime de la mort n’étende son emprise et n’étouffe inexorablement les derniers esprits libres.

Que restera-t-il alors de ce dont les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 avaient rêvé ? Ces libertés nous sont tellement naturelles qu’il nous arrive d’oublier le privilège et le confort qu’elles constituent pour chacun d’entre nous. Elles sont comme l’air que l’on respire, et cet air se raréfie. Pour être dignes de nos ancêtres qui les ont arrachées et de ce qu’ils nous ont transmis, nous devons prendre la résolution de ne plus rien céder à ces idéologies mortifères.

Les lois de notre pays offrent à chacun d’entre vous un cadre qui vous autorise à parler, écrire et dessiner comme dans peu d’autres endroits dans le monde. Il n’appartient qu’à vous de vous en emparer. Oui, vous avez le droit d’exprimer vos opinions et de critiquer celles des autres, qu’elles soient politiques, philosophiques ou religieuses, pourvu que cela reste dans les limites fixées par la loi. Rappelons ici, en solidarité avec Charlie Hebdo, qui a payé sa liberté du sang de ses collaborateurs, qu’en France le délit de blasphème n’existe pas. Certains d’entre nous sont croyants et peuvent naturellement être choqués par le blasphème. Pour autant, ils s’associent sans réserve à notre démarche. Parce qu’en défendant la liberté de blasphémer, ce n’est pas le blasphème que nous défendons mais la liberté.

Nous avons besoin de vous. De votre mobilisation. Du rempart de vos consciences. Il faut que les ennemis de la liberté comprennent que nous sommes tous ensemble leurs adversaires résolus, quelles que soient par ailleurs nos différences d’opinions ou de croyances. Citoyens, élus locaux, responsables politiques, journalistes, militants de tous les partis et de toutes les associations, plus que jamais dans cette époque incertaine, nous devons réunir nos forces pour chasser la peur et faire triompher notre amour indestructible de la Liberté. •

#DéfendonsLaLiberté

SIGNATAIRES :
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Retrouvez la lettre originale sur le site de Charlie Hebdo.

le Mercredi 23 Septembre 2020 à 07:00 | Lu 478 fois