Tahiti Infos

Les médecins d'Uturoa lancent la bataille pour sauver leur hôpital


Le docteur Philippe Dubois, membre du SPHPF
Le docteur Philippe Dubois, membre du SPHPF
C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase déjà trop plein des praticiens hospitaliers de l’hôpital d’Uturoa, à Raiatea (Iles sous le vent) : le licenciement par le ministre de la fonction publique, Pierre Frebault, du président de la Commission Médicale d'Etablissement, pour insubordination. La lettre de licenciement, signée par le ministre lui-même, fait état d’une attitude « méprisante et irrespectueuse » à l’égard de sa hiérarchie. « Il les a peut-être traités d’incompétents, à la limite », s’exclame Docteur Gilles Soubiran, l’ancien président du syndicat des praticiens hospitaliers de Polynésie française (SPHPF) qui vient de déposer un préavis de grève à la direction de la santé. «Nous demandons l’annulation immédiate de ce licenciement qui n’est même pas passé en conseil de discipline, et qui est donc illégal », explique le Dr Soubiran. Une demande « unanime » du personnel de l’hôpital d’Uturoa, affirme l’un de ses médecins, et membre du SPHPF, Philippe Dubois, de passage à Tahiti pour les négociations avec le ministre de la santé.

Ce médecin accepte de nous parler du malaise de son centre hospitalier, le deuxième de Polynésie française, après celui du Taaone. Un hôpital de proximité pour les 34 000 habitants des Iles Sous le Vent, qui dépend de la direction de la santé, et dont le fonctionnement est aujourd’hui menacé par le manque de moyens et d’effectifs. Depuis le début de l’année, le service de pédiatrie est fermé, suite au départ à la retraite de son seul médecin. Résultat, les enfants se retrouvent ballotés entre le service de médecine adulte, et l’obstétrique. Et à en croire le docteur Gilles Soubiran, ce fonctionnement subi, et inadapté, aurait déjà eu des conséquences graves. Des enfants « diagnostiqués et evasanés trop tard ». « Or il n’existe pas de fonds d’indemnisation pour les erreurs médicales en Polynésie » rappelle le docteur Soubiran. « Le médecin est donc doublement vulnérable car il est surchargé de travail, exposé au risque d’erreur médical, et il peut se retrouver poursuivi au pénal en cas d’accident. » Une situation qui décourage les rares candidats à ces postes : d’après le docteur Dubois, l’hôpital d’Uturoa n’arrive pas à recruter par manque de moyen, mais aussi parce que les conditions de travail sont rédhibitoires pour les médecins.

Face à ces difficultés, le SPHPF ne voit qu’une issue : le rattachement du centre hospitalier d’Uturoa au centre hospitalier du Taaone. Interview du docteur Philippe DUBOIS, membre du syndicat des praticiens hospitaliers.


Vous êtes à Tahiti pour négocier avec le ministère de la santé, suite au dépôt de votre préavis de grève. Quelles sont vos principales revendications ?

La première revendication, qui est celle de l’ensemble du personnel médical du centre hospitalier d’Uturoa, c’est la réintégration de notre confrère qui, à nos yeux, a été licencié injustement. Il apparaît dans sa lettre de licenciement que rien, absolument rien ne lui est reproché professionnellement. C’est un excellent biologiste. Malheureusement pour lui, il a mis le doigt sur des dysfonctionnements, et c’est ce qui lui est reproché.

Quels dysfonctionnements ?

Il avait noté de nombreux retards dans la fourniture de certains médicaments, et de matériel pour le laboratoire. Mais la problématique qui se pose surtout, c’est le manque de moyens financiers. Il nous faut absolument des moyens supplémentaires pour pouvoir fonctionner. Les départs à la retraite ne sont plus remplacés, ce qui engendre des dysfonctionnements majeurs. On a dû fermer notre service pédiatrie, car nous n’avons plus de pédiatre à l’hôpital. C’est un pédiatre de ville qui vient consulter les malades une fois par jour. Le reste de la surveillance est donc confiée à d’autres praticiens qui eux, ne sont pas des spécialistes de pédiatrie. On rencontre aussi des dysfonctionnements au niveau des urgences : on n’a que deux médecins pour faire les gardes 24 h/24, douze mois par an.

Comment font-ils pour travailler dans ces conditions ?

Ils font comme ils peuvent, mais ils sont épuisés. Normalement ils devraient être trois. On rencontre aussi le problème en gynécologie : le médecin est resté 16 mois seul à l’hôpital sans que sa collègue soit remplacée. Le problème du recrutement est de deux ordres. Il est financier, mais il est aussi dû aux conditions de travail. Quand on propose à un médecin de venir travailler à Uturoa, mais qu’il sait qu’il va être de garde 24H/24, ça rebute beaucoup de personnes.

Le cas s’est présenté récemment ?

Oui, en pédiatrie justement. Plusieurs médecins ont décliné la proposition. Ils refusent d’être le seul pédiatre dans un hôpital, mais la direction de la santé dit qu’elle n’a pas les moyens de créer un deuxième poste.

Cette situation va-t-elle en s’empirant ?

Ça fait quelques mois que la situation s’aggrave. Nous réclamons donc depuis 18 mois un projet d’établissement, et pour l’instant nos demandes sont restées lettre morte auprès de la direction de la santé. Qu’est-ce que le ministère veut faire de cet hôpital ? On a des propositions, mais nous ne sommes pas écoutés.

Quelles sont vos propositions ?

On veut que cet hôpital s’inscrive dans un schéma territorial de prise en charge de la santé, afin qu’il puisse jouer son rôle de centre hospitalier de proximité, en partenariat avec le CHPF (centre hospitalier de Polynésie française). Pour cela il nous semble important d’être intégré au sein du CHPF. Si on veut avoir une logique hospitalière, il faut que l’on fonctionne de la même manière.

Cette intégration réglerait-elle le problème des postes ?

Bien entendu. Le problème des postes ET des moyens. Aujourd’hui il n’y a pas de convention entre les hôpitaux, donc les médecins du CHPF ne peuvent pas venir faire des remplacements chez nous lorsque des postes sont vacants. Si on est dans la même maison, on pourra mettre en place un système de mobilité. C’était un peu la conclusion du rapport Bolliet, qui préconisait ce rapprochement des institutions hospitalières en Polynésie. Nous allons en discuter cet après-midi avec le ministre de la santé, espérons que nous serons entendus.

Le préavis du SPHPF expire mercredi à 7H30. Un rendez-vous est prévu ce lundi à 14H au ministère de la santé, à l'invitation du ministre.

le Lundi 18 Juillet 2011 à 12:53 | Lu 5922 fois