Tahiti Infos

Les marchés publics de Tumara'a épinglés


Tahiti, le 25 octobre 2020 – Le dernier rapport de la chambre territoriale des comptes consacré à la gestion de la commune de Tumara'a dépeint une "situation financière sans risque" malgré un "pilotage budgétaire perfectible". Mais il s'attarde également sur les nombreuses et récurrentes irrégularités constatées dans le passage et l'attribution des marchés publics de la commune dirigée par Cyril Tetuanui.
 
Jeudi dernier, le conseil municipal de la commune de Tumara'a a étudié le rapport d'observations définitives de la chambre territoriale des comptes consacré à la gestion de la municipalité dirigée par Cyril Tetuanui. Un rapport de près de 70 pages que Tahiti Infos s'est procuré, et qui dépeint globalement une "situation financière sans risques" de la commune malgré un "pilotage budgétaire perfectible" (voir encadré). En revanche, deux longues parties du rapport s'attardent sur des irrégularités et invraisemblances manifestement nombreuses de la commune dans la passation des marchés publics… Ceci alors que le maire de la commune, Cyril Tetuanui, a déjà été condamné à deux reprises ces dernières années pour des atteintes à la probité relevant de sa gestion communale. Condamnations qui n'ont néanmoins pas empêché le tāvana d'être réélu aux dernières municipales et de conserver la confiance du Tapura d'Edouard Fritch qui l'a également reconduit dans ses fonctions de président du Syndicat pour la promotion des communes (SPC).
 
Deux projets emblématiques
 
La chambre détaille dans son rapport deux opérations d'investissement de la commune : la rénovation de l'école Vaiaau et le projet de développement du tourisme nautique à Tumara'a. Pour la première, le rapport précise que la rénovation, divisée en quatre phases distinctes, "s'est étalée sur une période de six ans pour une opération qui ne peut pas être qualifiée de complexe". Si le problème du dépassement des coûts est évoqué par la juridiction, le rapport s'interroge à plusieurs reprises sur des problèmes survenus dans la passation de marchés publics dans le cadre de cette rénovation. En effet, après avoir "découpé artificiellement" la rénovation de l'école en plusieurs opérations, la commune a dû lancer plusieurs procédures distinctes et parfois "sources de complexité". En 2015, par exemple, pour le choix d'un maître d'œuvre sur la seconde phase du projet, la commune a décidé de rendre sa consultation infructueuse "sans motivation" alors qu'une offre inférieure de 26% au montant estimatif "était conforme". Finalement, après une seconde procédure, le maître d'œuvre choisi pour la première phase sera aussi celui choisi pour la deuxième "par nécessité d'assurer la continuité des ouvrages, bien que son offre de prix soit plus élevée". Pour la troisième phase, le rapport de la chambre pointe encore des problèmes de procédure dans certains marchés. Des rapports d'analyse des offres "lacunaires" ou remis "après" la décision de déclarer les lots infructueux (!). De nouvelles décisions -sans "aucune motivation"- déclarant des marchés "sans suite" malgré des candidatures valables…
 
Pour le projet de développement du tourisme nautique, la chambre commence par relever qu'il ne s'agit pas d'une compétence de la commune. Le projet sera d'ailleurs par la suite jugé trop "complexe à mener pour les services techniques de la commune" et n'aboutira pas intégralement par crainte d'un lourd dépassement de budget. Et là encore, le rapport relève "une procédure de passation des marchés non maîtrisée". Un marché de fourniture de matériaux qui "aurait dû être déclaré infructueux en raison d'une offre non conforme" mais qui a finalement été attribué au candidat pratiquant les prix les plus élevés… Un autre marché dont l'acte d'engagement fait apparaître un montant plus élevé que celui prévu par la délibération autorisant le maire à signer… Et finalement, donc, un projet "dès l'origine sous-estimé" prévu pour 45 millions de Fcfp, mais stoppé à 41 millions de Fcfp en abandonnant la construction d'un deuxième quai pour un budget prévisionnel de 17,7 millions qui aurait fait exploser la facture.
 
Stocks et fournitures à encadrer
 
Même après le détail de ces deux opérations, le rapport s'attarde sur une série de "manquements dans la gestion des marchés de fourniture". Celui pour la fourniture d'agrégats pour la clôture de l'école qui "aurait dû être déclaré non conforme" car ne répondant pas au cahier des charges. Celui pour des matériaux de construction pour le CJA de Vaiaau qui, de la même façon, ne respectait pas le cahier des charges et "aurait dû être rejeté comme non conforme".
 
Le bétonnage des servitudes "mal évalué", passé de 47,7 millions de Fcfp à 105 millions de Fcfp (!) pour finalement être stoppé, pose lui aussi problème. Avec sur ce marché, un lot "ciment" dont le délai d'exécution a été doublé après passation et dont l'exécution sur le lieu de livraison ne correspondait même pas au cahier des charges de l'appel d'offres. Plus surprenant encore, sur le lot "agrégat", on retrouve des bons de livraison "contraires à l'offre du candidat", une "durée d'exécution triplée" ou encore "l'absence de preuve de livraison de l'intégralité des agrégats" et une "attestation d'achèvement des travaux signée alors que les travaux ne sont pas terminés"
 
En conclusion sur ce point, la chambre demande à la commune de Tumara'a de "renforcer les moyens" pour le pilotage des projets d'investissement. Notamment sur la "gestion des stocks de fournitures et de matériaux", où elle remarque que des stocks sont commandés mais pas utilisés "dans les délais prévus" ou que "des fournitures prévues pour une opération paraissent livrées mais sont utilisées pour une autre"… Une piste est évoquée par la juridiction : généraliser les marchés à bons de commande pour "commander les fournitures en fonction de la survenance du besoin" et pour "limiter les stocks". Un exemple récent à la subdivision de l'Equipement de Moorea a pourtant montré qu'il ne s'agissait pas non plus d'un système infaillible…
 

Situation financière "sans risque"

  • Malgré ses problèmes de procédure sur les marchés publics, la chambre territoriale des comptes estime que la situation financière de Tumara'a "ne présente pas de risque" Les dépenses de personnel ont certes progressé entre 2014 et 2020, mais les recettes ont également augmenté. En revanche, petit bémol sur le pilotage budgétaire des opérations jugé "perfectible". Celui-ci conduit "à un niveau de trésorerie excessif". En effet, avec de faibles taux d'exécution des dépenses d'investissements, la commune est invitée à "améliorer la sincérité de ses prévisions budgétaires".
 
  • Enfin, notons que le rapport examine également la gestion des services publics de l'eau et de l'assainissement. Et sur le premier point, si la potabilité est proche de 100% sur la commune, le taux de perte du réseau "s'est dégradé" et "est désormais supérieur à 50%". Un taux de perte qui nécessite des investissements importants pour la rénovation du réseau alors que celui-ci n'est pas encore amorti et nécessite encore des versements de subvention du budget principal vers le budget annexe dédié. Sur l'assainissement, la chambre relève que la commune de Tumara'a n'a pas encore de schéma directeur.

Rédigé par Antoine Samoyeau le Dimanche 25 Octobre 2020 à 18:18 | Lu 5680 fois