Lina VANEGAS / AFP
Arara, Colombie | AFP | jeudi 16/11/2022 - "J'ai perdu mon fils, le seul que j'avais", se lamente Ivan Angarita. Arara, village perdu dans la forêt de l'Amazonie colombienne, est sinistré par une vague de suicides ces dernières années touchant plus particulièrement les jeunes.
Début septembre, une jeune femme et un chaman se sont suicidés au sein de cette communauté indigène tikuna, comptant un peu plus d'un millier d'âmes.
Alors quand les chamans du village "ont décidé de faire un traitement pour tout le monde, j'ai accepté", explique Ivan Angarita, 40 ans, dont le beau-frère s'est lui aussi donné la mort.
Ces mêmes chamans ont imposé une quarantaine sans alcool, football ou musique pour tenter d'endiguer le phénomène. Pendant vingt jours, les distractions "occidentales" ont été restreintes. Et un rituel s'est tenu une nuit entière pour "chasser les mauvais esprits", dans un nuage de tabac brûlé et d'incantations.
Pendu à une branche
Assis parmi d'autres anciens et chamans du village à l'ombre de la "maloca" --maison communautaire en bois et au toit de chaume, où se rassemblent à longueur de journée les Tikunas--, Ivan Angarita raconte que son fils était un adolescent comme les autres parmi les jeunes du village. Il est mort à 18 ans.
"Un dimanche, il a rencontré les mauvais esprits. Le lendemain, ils l'ont trouvé là, pendu à une branche", se souvient son père.
En Amazonie colombienne, où la majorité des habitants sont indigènes (58%), le taux de suicide en 2021 était de 9,87 pour 100.000 habitants, alors que la moyenne nationale était de 5,71, selon des chiffres officiels.
Des études scientifiques ont montré un phénomène similaire dans d'autres pays comme le Brésil, le Pérou et la Guyane française.
La perte des traditions, la discrimination dans les villes, le manque d'opportunités et un environnement violent plongent les jeunes dans la dépression, selon les experts.
"Les jeunes nous quittent (...) Ils se pendent, se tirent dessus, s'empoisonnent et meurent ainsi parce qu'ils ne trouvent pas d'issue", se navre Loida Angel Ruiz, une enseignante tikuna de San Martin de Amacayacu, autre ville de l'Amazonie colombienne touchée par les suicides.
Entre deux mondes
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), un décès sur cent dans le monde est un suicide.
Abel Santos, ethnolinguiste à l'Université nationale de Leticia, capitale de l'Amazonie colombienne, rappelle que, "bien que sporadiques", les premiers suicides à Arara "se sont produits il y a plus ou moins dix ans".
Après la pandémie de Covid-19, les suicides ont explosé chez les "gens de l'eau", comme se nomment les indigènes locaux, ajoute l'universitaire, lui-même d'origine tikuna.
Ils oscillent entre leur culture ancestrale et le monde moderne sans se fondre ni dans l'un, ni dans l'autre. Ce dont témoigne leur habillement sur leur peau cuivrée et cheveux de jais: banals bermudas, T-shirt, maillot de foot et vieilles casquettes.
"Les enfants ne se voient ni ici ni là, et cela commence à créer beaucoup de frustrations", analyse Tania Martinez, psychologue et professeure à l'Université de Leticia.
Selon elle, la première rupture se produit lorsque les enfants des communautés éloignées migrent vers les villes pour étudier et intègrent des internats.
Ils y subissent le rejet, les discriminations. Beaucoup restent pour chercher du travail, sans succès, et retournent ensuite dans leur communauté mais ils ne savent ni pêcher ni cultiver. Ils refusent souvent également les mariages entre clans imposés par la tradition.
"Il y a une fracture non seulement dans le lien filial (...) mais aussi dans la communauté, alors que c'est dans la famille et dans la communauté que se trouve le réseau de soutien", estime Mme Martinez.
Effet miroir
Pour aller d'Arara à Leticia, il faut parcourir 25 kilomètres en voiture puis marcher plus d'une heure à travers une jungle dense.
Dans la "maloca", un groupe de chamans fait la démonstration du rituel de purification contre les suicides. L'un d'eux inhale une bouffée de tabac, avale une gorgée d'eau florale, frotte ses mains l'une contre l'autre et, en transe, prononce diagnostics et remèdes à ses patients.
Les chefs spirituels désignent l'alcoolisme, la toxicomanie et les "malédictions extérieures" comme causes de cette vague de suicides.
A San Martin de Amacayacu, Loida Angel Ruiz ajoute à cette liste la violence du narcotrafic dans les champs de coca qui abondent du côté péruvien de la frontière.
Un suicide est aussi, souvent, suivi d'autres dans le voisinage immédiat en raison de l'effet dit "miroir".
"Beaucoup de ces suicides sont également liés à des abus sexuels, à la violence domestique et à l'homosexualité, qu'ils ne veulent pas manifester parce qu'ils ont peur ou honte", souligne la psychologue Tania Martinez.
Début septembre, une jeune femme et un chaman se sont suicidés au sein de cette communauté indigène tikuna, comptant un peu plus d'un millier d'âmes.
Alors quand les chamans du village "ont décidé de faire un traitement pour tout le monde, j'ai accepté", explique Ivan Angarita, 40 ans, dont le beau-frère s'est lui aussi donné la mort.
Ces mêmes chamans ont imposé une quarantaine sans alcool, football ou musique pour tenter d'endiguer le phénomène. Pendant vingt jours, les distractions "occidentales" ont été restreintes. Et un rituel s'est tenu une nuit entière pour "chasser les mauvais esprits", dans un nuage de tabac brûlé et d'incantations.
Pendu à une branche
Assis parmi d'autres anciens et chamans du village à l'ombre de la "maloca" --maison communautaire en bois et au toit de chaume, où se rassemblent à longueur de journée les Tikunas--, Ivan Angarita raconte que son fils était un adolescent comme les autres parmi les jeunes du village. Il est mort à 18 ans.
"Un dimanche, il a rencontré les mauvais esprits. Le lendemain, ils l'ont trouvé là, pendu à une branche", se souvient son père.
En Amazonie colombienne, où la majorité des habitants sont indigènes (58%), le taux de suicide en 2021 était de 9,87 pour 100.000 habitants, alors que la moyenne nationale était de 5,71, selon des chiffres officiels.
Des études scientifiques ont montré un phénomène similaire dans d'autres pays comme le Brésil, le Pérou et la Guyane française.
La perte des traditions, la discrimination dans les villes, le manque d'opportunités et un environnement violent plongent les jeunes dans la dépression, selon les experts.
"Les jeunes nous quittent (...) Ils se pendent, se tirent dessus, s'empoisonnent et meurent ainsi parce qu'ils ne trouvent pas d'issue", se navre Loida Angel Ruiz, une enseignante tikuna de San Martin de Amacayacu, autre ville de l'Amazonie colombienne touchée par les suicides.
Entre deux mondes
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), un décès sur cent dans le monde est un suicide.
Abel Santos, ethnolinguiste à l'Université nationale de Leticia, capitale de l'Amazonie colombienne, rappelle que, "bien que sporadiques", les premiers suicides à Arara "se sont produits il y a plus ou moins dix ans".
Après la pandémie de Covid-19, les suicides ont explosé chez les "gens de l'eau", comme se nomment les indigènes locaux, ajoute l'universitaire, lui-même d'origine tikuna.
Ils oscillent entre leur culture ancestrale et le monde moderne sans se fondre ni dans l'un, ni dans l'autre. Ce dont témoigne leur habillement sur leur peau cuivrée et cheveux de jais: banals bermudas, T-shirt, maillot de foot et vieilles casquettes.
"Les enfants ne se voient ni ici ni là, et cela commence à créer beaucoup de frustrations", analyse Tania Martinez, psychologue et professeure à l'Université de Leticia.
Selon elle, la première rupture se produit lorsque les enfants des communautés éloignées migrent vers les villes pour étudier et intègrent des internats.
Ils y subissent le rejet, les discriminations. Beaucoup restent pour chercher du travail, sans succès, et retournent ensuite dans leur communauté mais ils ne savent ni pêcher ni cultiver. Ils refusent souvent également les mariages entre clans imposés par la tradition.
"Il y a une fracture non seulement dans le lien filial (...) mais aussi dans la communauté, alors que c'est dans la famille et dans la communauté que se trouve le réseau de soutien", estime Mme Martinez.
Effet miroir
Pour aller d'Arara à Leticia, il faut parcourir 25 kilomètres en voiture puis marcher plus d'une heure à travers une jungle dense.
Dans la "maloca", un groupe de chamans fait la démonstration du rituel de purification contre les suicides. L'un d'eux inhale une bouffée de tabac, avale une gorgée d'eau florale, frotte ses mains l'une contre l'autre et, en transe, prononce diagnostics et remèdes à ses patients.
Les chefs spirituels désignent l'alcoolisme, la toxicomanie et les "malédictions extérieures" comme causes de cette vague de suicides.
A San Martin de Amacayacu, Loida Angel Ruiz ajoute à cette liste la violence du narcotrafic dans les champs de coca qui abondent du côté péruvien de la frontière.
Un suicide est aussi, souvent, suivi d'autres dans le voisinage immédiat en raison de l'effet dit "miroir".
"Beaucoup de ces suicides sont également liés à des abus sexuels, à la violence domestique et à l'homosexualité, qu'ils ne veulent pas manifester parce qu'ils ont peur ou honte", souligne la psychologue Tania Martinez.