Tahiti Infos

Les îles flottantes nous sauveront-elles de la montée des eaux ?


Vu d'artiste d'un module d'habitation d'une île flottante plus large, dont elle pourrait se détacher
Vu d'artiste d'un module d'habitation d'une île flottante plus large, dont elle pourrait se détacher
PUNAAUIA, le 16 mai 2017 - Les experts qui s'expriment aux conférences sur les îles flottantes organisées par Seasteading nous donnent une meilleure compréhension du projet et des problèmes qu'il espère résoudre. Entre le plan de secours face à la montée des eaux, l'expérience sociale et d'ingénierie avancée et les promesses de lendemains technologiques qui chantent, les spectateurs sont repartis avec beaucoup de sujets de réflexion.

Les présentations de la deuxième journée des "Conférences internationales sur les Îles flottantes" organisées à Punaauia par The Seasteading Institute (qui aimerait construire une île flottante dans l'archipel de la Société) sont entrées dans le vif du sujet. Les présentations les plus intéressantes sont résumées dans les encadrés ci-dessous, mais des experts de grande qualité ont aussi présenté les nouveaux matériaux qui sont développés avec les nano-technologies et qui pourront être utilisés pour le projet de Seasteading, les drones volants qui permettront un jour de se déplacer rapidement et à moindre coût sur nos îles, les leçons politiques à tirer de la biologie, ou comment la prochaine génération d'activistes pour l'océan pourra imposer le changement au niveau mondial…

La dernière journée de conférences aura lieu jeudi toute la journée à l'hôtel Le Méridien. Elles sont toutes gratuites, et elles sont enregistrées et disponibles sur la chaîne YouTube de Seasteading.



Le professeur Chien Ming Wang a présenté les gigantesques structures flottantes existant déjà
Le professeur Chien Ming Wang a présenté les gigantesques structures flottantes existant déjà
Pour les ingénieurs, construire l'île flottante est la partie la plus facile du projet
Egor Ryjikov est le vice-président ingénierie à Blue Frontiers (la société créée par Seasteading Institute) et fondateur de nombreuses start-up créant des robots, appareils médicaux et autres produits électroniques de pointe, a présenté la faisabilité technique du projet. Il assure que des structures flottantes sont nombreuses, incluant des ponts, des navires, des ports, des stations pétrolières… Et très anciennes, comme Venise. Les problèmes que nous rencontrons, électricité chère, difficulté de traiter nos déchets, dépendances ont importations, ont des solutions qui existent déjà, mais les îles ont peu de fonds disponibles ni les connections pour obtenir ces nouvelles technologies.

Parmi plusieurs solutions existantes pour exploiter les énergies renouvelables, il a présenté des fermes solaires flottantes. Refroidies dans l'eau elles sont 20 % plus efficaces, dans l'océan elles sont très ensoleillées, et elles produiraient selon lui une des électricités les moins chères au monde. Une énergie abondante venant d'espaces non utilisés (comme l'océan) ouvre d'immenses possibilités, comme une eau potable abondante, la possibilité de créer des fermes flottantes (qui pourraient être robotisées), de produire des matériaux de construction sur place (le processus demande beaucoup d'énergie)... L'économie circulaire et des changements de mode de vie plus respectueux de l'environnement nous permettent alors de nous passer de la plupart des importations. A écouter ce spécialiste à la pointe de l'ingénierie contemporaine, avec des technologies qui existent déjà et deviennent de plus en plus accessibles, plus un peu de bon sens écologique, nos îles deviendront une terre d'abondance.

L'ingénieur aussi présenté les concepts d'îles flottantes développées par Seasteading. Les plate-formes modulaires ont sa préférence. Elles devront être abordable, très fiables, connectées à Internet, belles, faciles à déplacer, 0 émissions et recyclables. Une vision très ambitieuse. Il se donne maintenant deux ans pour se plonger dans l'ingénierie de ce projet.

Une vision partagée par le professeur Chien Ming Wang, spécialiste des très larges structures flottantes. "Je rêve d'une île flottante depuis des décennies" assure cet enseignant-chercheur de l'université du Queensland. Il explique comment ces structures flottantes s'adaptent aux vagues en flottant avec elles via différentes solutions techniques (dont des "caissons dauphin"). Comment toutes les formes sont possibles, les temps de fabrication sont courts, ces structures respectent les courants et la qualité de l'eau, sont compatibles avec la haute mer (à un cout supplémentaire), peuvent être déplacés à un coût minime… Il a montré surtout quantité d'exemples prouvant que ça a déjà été fait de nombreuses fois ! Des aéroports entiers flottent déjà au bord des côtes américaines… Il a aussi abordé plus en détails les exemples existants de fermes solaires flottantes au Japon et en Angleterre, et les projets indiens et chinois.


Le sénateur hawaiien J. Kalani English nous a parlé des Mokulana, les îles flottantes dans la culture hawaiienne et polynésienne
Le sénateur hawaiien J. Kalani English nous a parlé des Mokulana, les îles flottantes dans la culture hawaiienne et polynésienne
Le sénateur J. Kalani English parle des îles flottantes dans la culture polynésienne
L'élu démocrate au sénat de Hawaii a parlé de l'histoire et des anciennes technologies polynésiennes, ainsi que des mythes hawaiiens, en particulier ceux concernant les îles flottantes, "mokulana" dans la langue de nos voisins du nord. Il a commencé par rappeler la conception du temps très particulière aux peuples de nos îles : le futur nous est invisible et est donc derrière nous. Le passé, que l'on peut voir dans ses souvenirs, est devant nous. Un événement neuf est du coup "mythique" car on ne l'a jamais vu et on n'a pas de repère pour l'identifier : il ne devient la réalité que la deuxième fois qu'il se produit.

De ce point de vue, nos cultures ont déjà de nombreux exemples, mythique ou réels, d'îles flottantes, d'îles qui apparaissent et disparaissent (Ana'a aux Tuamotu selon le sénateur), d'îles d'égalité et de paix ou d'îles d'abondance. "Les Polynésiens ont toujours réussi à s'emparer des nouveaux outils pour améliorer leurs anciennes techniques, nous nous adaptons. Dans le monde moderne, saviez-vous que les Tonga ont le plus grand nombre de doctorants par habitant au monde ? Ce petit royaume est peuplé de gens très intelligents. On s'adapte. Donc pour ces îles flottantes, il y en a déjà dans nos cultures. Nous les avons conçues comme des refuges en cas de guerre ou de famine. Et l'idée présentée par Randy (NDLR : Randolf Hencken, directeur de The Seasteading Institute) est exactement ça. Vous cherchez juste une île comme refuge, un endroit où il y aura la paix et l'égalité pour tous. Et ce sont des concepts très anciens pour nous."

Selon lui, nos populations peuvent accueillir ces prototypes d'îles flottantes à bras ouverts si elles s'intègrent à cette conception traditionnelle : que ces technologies de "mokulana" nous soient accessibles et deviennent un outil à notre disposition, un refuge où aller quand les eaux auront englouti nos atolls. Il conclut que les îles qui ont le plus besoin de ces technologies en Polynésie française sont les Tuamotu.


Serge Planes, directeur du Criobe, est alarmiste sur les conséquences du changement climatique sur nos coraux.
Serge Planes, directeur du Criobe, est alarmiste sur les conséquences du changement climatique sur nos coraux.
Selon nos chercheurs nous auront besoin d'une solution de repli face à la montée des eaux
Neil Davies, directeur de la Gump Station de Moorea opérée par l'université de Berkeley en Californie, et Serge Planes directeur du Criobe qui a également une station de recherche sur l'île-soeur, ont éclairé l'aspect écologique et scientifique du projet.

Neil Davies commence par rappeler l'étude poussée des écosystème de Moorea que mène sa station de recherche, et explique que la recherche contemporaine examine la Terre comme une gigantesque île, où tout est connecté. Les changements rapides que nous observons à l'échelle globale requièrent encore plus de recherches pour trouver rapidement des réponses aux problèmes qui émergent. Pour lui, un projet comme Seasteading permettra de tester in situ les solutions durables inventées par les scientifiques qui essaient de sauver notre environnement.

Serge Planes dirige lui-aussi un laboratoire de recherche, cette fois opéré par l'état français. Les chercheurs y étudient les écosystèmes coralliens avec passion : "les récifs coralliens représentent 0,2 % des océans, mais 30 % de leur biodiversité. Les sauver est une priorité". Il explique que les coraux abondent ou meurent selon un cycle naturel, et que il y a deux ans encore il était très optimiste sur leur vitalité. Mais les changements drastiques qui ont commencé à s'opérer lui ont fait perdre le sourire : "nous assistons à Moorea à deux ans de blanchiments intenses. A Rimatara, 95 % du corail a blanchi. 50 à 60 % des coraux de la Grande Barrière de Corail ont disparu en moins de deux ans ! J'aimerai que ceux qui nient le réchauffement climatique aille plonger là-bas." L'expérience éco-responsable de Seasteading lui semble donc intéressante, et les infrastructures du Seasteading lui seraient utiles pour poursuivre ces recherches sur nos systèmes coralliens et pour sensibiliser le public international à la réalité très immédiate des changements climatiques...


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 16 Mai 2017 à 17:00 | Lu 3166 fois