Les femmes polynésiennes plus libres que leurs voisines du Pacifique


7 des 8 femmes de la délégation polynésienne partie à Fidji début octobre
PAPEETE, le 17 octobre 2017 - Une délégation de huit Polynésiennes a représenté le fenua à la 13ème Conférence régionale des femmes du Pacifique. Le thème de cette année était "l'émancipation économique des femmes", un sujet où la Polynésie a beaucoup d'avance sur ses voisins du Pacifique. Elles ont invité la presse ce matin pour faire le point sur leur expérience.

Début octobre, plus de 200 femmes venues de 22 pays de la région se sont réunies à Suja, aux Fidji, à l'occasion de la 13ème conférence régionale des femmes du Pacifique. Cet évènement est organisé tous les trois ans par la Communauté du Pacifique (CPS).

Parmi ces femmes issues de la vie politique, institutionnelle et associative de la région, huit Polynésiennes étaient là pour échanger avec leurs consœurs. Parmi elles, la représentante à l'Assemblée de la Polynésie Armelle Merceron, qui a noté l'intérêt "d'être plongées quelques jours dans un environnement océanien, avec des femmes qui nous ressemblent mais qui sont dans des situations différentes. Ça nous permet d'apprécier les progrès que nous avons accomplis, mais aussi les retards à combler. Et aussi de voir à quel point nous sommes isolés du monde anglophone. Là-bas on nous considère comme un pays riche, et on est à peine cités dans les documents régionaux..."

"EN POLYNÉSIE, LES FEMMES ONT DE LA CHANCE DE NE PAS AVOIR LE POIDS DE TELLES COUTUMES"

Les quatre jours de conférence ont ouvert de nouvelles perspectives à toutes les participantes
Mais ce qui a vraiment frappé les Polynésiennes, comme notre déléguée à la famille et à la condition féminine Heimata Tang, c'est que "dans beaucoup de pays de la région, ils ne veulent pas modifier la tradition, ils continuent de respecter exactement la coutume. On l'a vu au village artisanal, nos mamas avaient des produits plus originaux, plus modernes, tandis que les Fidjiennes faisaient toutes les mêmes modèles. Mais c'est aussi le cas pour l'émancipation des femmes. Tant que le chef de la tribu ne veut pas de changement, il ne se passera rien, les femmes n'auront pas le droit de même avoir leurs propres revenus. On voit que pour apporter du changement, il faut savoir s'adapter à la tradition."

Mickaella Folituu, vice-présidente, du conseil des Femmes, confirme que "les femmes du Pacifique sont souvent dans une tradition, dans leur tribu, et elles ne peuvent pas s'exprimer librement. Seules celles qui vivent dans un environnement libéral osent parler, dénoncer les violences, prendre leur indépendance économique. Donc on voit qu'en Polynésie les femmes ont de la chance de ne pas avoir le poids de telles coutumes. Concernant l'émancipation économique, le thème de la conférence, j'ai été choquée d'apprendre qu'une étude de l'ONU montrait qu'une femme qui commence à gagner de l'argent et à ramener des revenus dans sa famille peut devenir encore plus susceptible d'être victime de violences, de la part de leurs conjoins ou même de leur famille proche, pour qu'elles ramènent plus d'argent. Elles cumulent deux journées de travail et sont encore plus fragilisées… Donc l'émancipation économique n'est pas suffisante."

Mata Simpson, secrétaire générale du conseil des femmes, explique que "certaines associations de défense des droits des femmes étaient étonnées d'entendre qu'en Polynésie il y a des structures d'accueil pour les femmes en difficulté, que les femmes victimes de violence osent porter plainte et sont accompagnées… On est très en avance sur ce point. Dans beaucoup de pays du Pacifique, même les associations essaient de réconcilier les femmes avec leur mari violent au lieu de les inciter à porter plainte."

Heimata Tang affirme que le fait que nous soyons un territoire français joue beaucoup : "Pour nous, Polynésiennes, il y a des choses évidentes que l'on prend pour acquis. Dans certains pays, les représentantes expliquaient 'nous avons enfin un cadre législatif pour favoriser l'égalité homme-femme, lutter contre les violences'. Et c'est vrai qu'avant de prendre des mesures pour aider les femmes à avoir un revenu, ou même leur permettre de porter plainte, il faut que des lois soient en place !"

Tumata Helme, représentante du ministère de la Santé, confirme que "si la Polynésie est en avance, c'est aussi grâce à ces femmes qui se sont levées avant nous et qui nous ont ouvert la voie. Il a fallu faire la parité pour que les femmes représentent au moins la moitié de l'Assemblée. Il a fallu que nos ainées se battent."

LEÇONS DE SUVA

La délégation Polynésienne s'est fait de nombreux ami et a invité les participants à organiser la 14ème conférence à Tahiti dans trois ans
On a vu que l'exemple des Polynésiennes a beaucoup intéressé ces femmes engagées. Mais l'échange était loin d'être à sens unique. Plusieurs enseignements importants ont été ramenés de Suva, comme l'explique Armelle Merceron : "D'abord nous manquons de chiffres. En préparant mon intervention, je me suis rendue compte que toute analyse des progrès qu'il reste à faire en Polynésie se heurte à l'absence de données chiffrées, ni locale ni régionale puisque nous ne sommes presque pas dans les rapports de la CPS sur la région. Même dans un domaine évident, comme l'égalité salariale dans la fonction publique, on ne sait pas quelle est la situation, donc c'est impossible de mettre en place des politiques publiques efficaces. Nous allons demander au gouvernement la création d'un observatoire pour voir où en sont les inégalités. Un autre problème, lié à notre statut de territoire francophone dans un océan anglophone, c'est que nous n'utilisons pas assez l'expertise de la CPS dans le domaine de l'égalité homme-femme, alors que nous travaillons beaucoup avec elle sur la pêche par exemple."

Le dernier point important concerne la préparation de nos voisins aux changements climatiques : "j'ai découvert une autre façon de voir le changement climatique. Nous dépensons des milliards dans la construction d'abris cycloniques, mais pas grand-chose d'autre. Dans beaucoup de pays, ils ont une approche plus constructive, basée sur la résilience des communautés. C'est leur capacité à s'adapter aux événements climatiques. Par exemple concernant les ressources des femmes, il faut leur donner les outils pour passer la pénurie après un cyclone. Si elles ont une activité de subsistance en faisant pousser des légumes dans leur jardin, ce sera très insuffisant. Mais si elles ont des plantes qui résistent au cyclone comme le taro, des réserves de nourriture, des économies qu'elle a pu réaliser avec de l'artisanat, sa famille traversera mieux ces phénomènes qui vont devenir récurrents."

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 17 Octobre 2017 à 16:18 | Lu 3274 fois