Les experts du Muséum font parler les têtes maories avant leur restitution


PARIS, 21 janvier 2012 (AFP) - Chargés de regrouper et d'authentifier les têtes maories conservées par la France avant leur restitution officielle à la Nouvelle-Zélande lundi à Paris, les experts du Muséum national d'Histoire naturelle ont fait parler ces crânes tatoués vieux de près de deux siècles.

La majorité des sociétés océaniennes conservaient religieusement les crânes séchés de leurs ancêtres, coupant également parfois la tête de leurs ennemis prestigieux en guise de trophées. Mais "les Maoris ont perfectionné à l'extrême cette technique", a souligné Christian Coiffier, ethnologue spécialiste du Pacifique Sud, lors d'un colloque scientifique organisé au Muséum.


C'est cette "habileté incomparable" et surtout les tatouages uniques ornant ces visages momifiés qui ont suscité le vif intérêt des explorateurs et marins européens ayant abordé en Nouvelle-Zélande à partir de la fin du XVIIIe siècle, estime-t-il.

En 1769, le Britannique James Cook est le premier occidental à débarquer chez les Maoris et le botaniste de son expédition aurait échangé l'une de ces fascinantes têtes contre un vieux caleçon.

Très vite, l'engouement et la curiosité suscités par ces reliques donnent lieu au développement d'un véritable commerce avec les Maoris, qui voient là l'occasion d'obtenir des armes à feu.

"L'impact des nouveaux produits européens a perverti la coutume", résume M. Coiffier.

Encouragés par leurs acheteurs, les Maoris organisent des raids chez leurs ennemis pour se procurer des têtes, capturent des esclaves pour les décapiter et tatouer leurs têtes post-mortem...

Dès 1824, un naturaliste accompagnant l'explorateur français Dumont d'Urville écrit que ces crânes sont devenus un "objet de commerce", raison pour laquelle elles sont selon lui désormais "si mal préparées" en comparaison du soin accordé par les Maoris aux têtes de leurs ancêtres.

sinistre négoce interdit en 1831

Le gouvernement britannique aura beau interdire ce sinistre négoce en 1831, le trafic se poursuivra illégalement bien au-delà de cette date, disséminant des centaines de têtes coupées dans différents pays d'Europe.

Comment alors s'assurer que les sept têtes conservées au musée du Quai Branly et les quatre autres issues des collections du Muséum sont authentiquement maories ?

Anthropologues, généticiens et biologistes ont déployé tout leur savoir-faire pour en apporter la preuve, récoltant au passage des données scientifiques précieuses sur l'histoire des migrations dans le Pacifique et la généalogie des Maoris.

L'ADN nucléaire, hérité de la lignée paternelle, a prouvé de manière "quasi certaine" que ces têtes sont bien celles d'ancêtres maoris. Et elles constituent même vraisemblablement les plus anciennes "séquences génétiques" de ce peuple connues à ce jour, indique Régis Debruyne, spécialiste de l'ADN ancien.

Mieux encore, ces analyses éclairent aussi sur l'histoire du peuplement des Iles du Pacifique par un peuple parti voici plusieurs millénaires de Taiwan, colonisant par étape toute la Polynésie pour arriver sur les côtes néozélandaises entre les XIe et XIIIe siècles.

Dernier hommage rendu aux morts avant leur retour musée national de Nouvelle-Zélande Te Papa Tongarewa, le médecin légiste Philippe Charlier a même été en mesure de déterminer le sexe et l'âge approximatif des victimes à l'aide de techniques "non invasives", respectueuses des traditions maories, a relevé le président du Muséum, Gilles Boeuf.

Les têtes restituées par la France seront rendues par la Nouvelle-Zélande aux représentants du peuple maori pour qu'elles puissent être inhumées selon les rites de leur tribu d'origine, à condition que celle-ci puisse être identifiée.

ban/jca/phc

Rédigé par Par Laurent BANGUET le Samedi 21 Janvier 2012 à 06:49 | Lu 1414 fois