Les essences de bois précieux se raréfient


Les essences de bois précieux, vitales pour les sculpteures et artisans, se raréfient au Fenua. Crédit photo : Archives TI.
Tahiti, le 11 décembre 2024 – La raréfaction des bois précieux au Fenua a été abordée lors d'un séminaire dédié à la filière bois, fin novembre. Face à ce constat, le Pays appelle les acteurs privés à s'organiser afin de créer des filières pérennes pour assurer la production de ces ressources dans le temps. D'autant qu'avec les décennies nécessaires pour que le bois de rose ou encore le tou – bois les plus prisés par les sculpteurs – arrivent à maturité, il y a urgence pour la création de ces massifs.
 
En Polynésie, les essences de bois précieux, véritables joyaux de l'artisanat local, se raréfient et sont en passe de devenir un matériau rare. Le Miro, communément appelé bois de rose, et le Tou, prisés pour leur noblesse et leur texture, pourraient bientôt manquer à l'appel, mettant en péril tout un pan de l'économie locale. Cette potentielle pénurie soulève des questions cruciales sur la pérennité de l'artisanat et la gestion durable des ressources forestières du Fenua. Longtemps évoquée à demi-mot, la problématique de la raréfaction des bois précieux a enfin été mise en lumière lors d'un séminaire organisé le 28 novembre dernier. Cet événement, créé à l’initiative de la Direction de l'agriculture (DAG) pour les acteurs publics et privés de la filière bois, a permis de lever le voile sur une situation préoccupante.
 
Les pouvoirs publics au chevet
 
Yoann Moussu, responsable du pôle forêt à la DAG, a dressé pour Tahiti Infos, en marge du séminaire, un constat sans appel : “Les ressources sur les terrains privés commencent à se faire rares, même s’il est compliqué de les estimer. Les ressources coupées n'ont pas été replantées. Celles qui restent sont dans des vallées et des zones très difficiles d'accès.”
 
Jusqu'à présent, les artisans s'approvisionnaient principalement sur des domaines privés, parfois sans l'accord explicite des propriétaires. Cette pratique, bien qu'ancrée dans les usages, a conduit à une exploitation non maîtrisée des ressources. Désormais, les sculpteurs se tournent vers les pouvoirs publics pour obtenir la matière première indispensable à leur art. Cependant, cette transition ne se fait pas sans heurts. “On est très sollicités, mais on ne peut pas donner ce bois gratuitement. Nous devons le vendre car des investissements sont réalisés en amont”, explique le responsable.
 
Des essences longues à la maturation
 
La situation est d'autant plus critique que la demande ne cesse de croître. Un sculpteur consomme en moyenne 3 mètres cubes de bois par an pour ses œuvres. Avec environ 300 artisans actifs, ce sont “60 hectares de plantation” qui seraient nécessaires pour couvrir les besoins. Cyril Vignole, conseiller technique auprès du ministère de l'Agriculture, souligne une pression supplémentaire : “Les établissements d'enseignement, comme les CJA, nous demandent également d'importants volumes pour leurs cours de menuiserie et de sculpture.”
 
La problématique est exacerbée par le temps de croissance de ces essences précieuses. Un Tou ou un Miro a besoin de quarante à soixante ans pour atteindre sa maturité. “On coupe donc actuellement des bois qui ne sont pas encore à maturité pour répondre à la demande. On perd de la valorisation”, déplore Cyrile Vignole, appelant à une prise de conscience collective sur la nécessité de replanter les bois coupés.
 
Des solutions à long terme et un virage public-privé
 
Pour endiguer cette crise annoncée, le Pays envisage un plan ambitieux. L'objectif est de mettre en place, par l'intermédiaire d'acteurs privés, des plantations de feuillus précieux. “On ne pourra pas le faire à la DAG. On ne pourra pas aller entretenir des massifs au fin fond des Marquises pendant 40 ans”, explique Yoann Moussu, soulignant la nécessité d'une collaboration avec des partenaires privés.
 
Le gouvernement polynésien s'engage à accompagner les initiatives privées dans cette démarche. “On a du foncier public que les acteurs privés peuvent exploiter”, affirme Cyril Vignole. “On les aidera.” Les parcelles de plantations déjà ciblées par la DAG se situent notamment aux Tuamotu et aux Marquises. “Là où elles ont le moins de chance d'être détournées pour une autre utilisation”, explique-t-il. “Il est donc impératif que les privés ou que le monde associatif, par le biais de groupement d'artisans, s'organisent pour entretenir les massifs de ces bois précieux sur le long terme.”
 
Car oui, si la pénurie de ces essences ne frappe pas encore le Fenua, cela pourrait bien arriver dans un futur pas si éloigné. “On pourrait être obligé d'importer du bois pour nos sculpteurs, ça serait dommage.” À noter que le Pays possède des grandes réserves d'acajou, mais que ce bois est boudé par les sculpteurs : “Il fend facilement, et ils ont des mauvais retours de leurs clients”, explique Cyril Vergnole. Ainsi, comme pour la filière bois dans sa globalité, les plantations et l'exploitation de ces essences précieuses à vocation à passer dans les mains des acteurs privés pour s'établir sur le long terme.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Mercredi 11 Décembre 2024 à 16:09 | Lu 669 fois