Les essais littéraires de Moruroa


Andréas Pfersmann a présenté son livre "La Littérature irradiée" mardi matin à l'UPF.
Tahiti, le 22 juin 2021 - Andréas Pfersmann a présenté mardi son ouvrage intitulé La Littérature irradiée. À travers ce livre, il confronte trois corpus de textes inspirés du Centre d’expérimentation du Pacifique et des essais nucléaires : des romans d’espionnage, deux romans néo-zélandais et des textes d’écrivains autochtones de Polynésie française.

Comment la littérature a-t-elle appréhendé le Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) et les essais nucléaires de Moruroa et Fangataufa ? C'est la question à laquelle répond le professeur de littérature générale et comparée à l'UPF et membre du laboratoire EASTCO (équipe d'accueil sociétés traditionnelles et contemporaines en Océanie) Andréas Pfersmann dans son ouvrage intitulé La littérature irradié présenté mardi matin devant la bibliothèque universitaire de l'UPF. Accompagné de la vice-présidente de la commission de la recherche à l'assemblée de Polynésie française, Nabila Gaertner-Mazouni et du directeur de la maison des sciences de l'homme à l'UPF, Éric Conte, il a détaillé la structure de son livre, composé de l'étude de trois corpus de textes : les romans d'espionnage, les romans néo-zélandais et les textes locaux.

Lors de la conférence de presse, Andréas Pfersmann a tenu à rappeler que son ouvrage ne concernait pas les essais nucléaires eux-mêmes, mais bien les textes qui s'en sont inspirés. Ce livre s'inscrit dans un programme de recherche sur l'histoire et la mémoire des essais nucléaires en Polynésie française porté par la maison des sciences de l'homme du Pacifique. “Dans ce programme, Andréas était en charge de la thématique concernant la littérature liée aux essais nucléaires. Il a tellement écrit qu'il en a fait un livre”, commente Éric Conte.

Les romans favorables puis hostiles

Le premier corpus de textes confronté par Andréas Pfersmann concerne les romans d'espionnage, qui s'emparent très tôt du CEP, avant même la première bombe. “Il y en cinq ou six qui sont tout à fait imprégnés de l'idéologie de la dissuasion”, explique l'auteur. Des textes qui sont dans un premier temps favorables au CEP comme Nuages atomiques sur Tahiti de Pierre Nord (1966) et Destinations Pacifique et Menace sur Mururoa de Jean-Michel Charlier (1969). “Ce qui est intéressant, c'est qu'une deuxième série de romans d'espionnage se montrera hostile au CEP en dénonçant notamment les effets nocifs des essais”, comme dans La Vierge et le taureau de Jean Meckert (1971) et Tiuraï de Patrick Pécherot (1996).  

Le militantisme néo-zélandais

Andréas Pfersmann a ensuite analysé deux romans néo-zélandais : Danger Zone de Maurice Shadebolt (1975) et Manava Toa de Cathie Dunsford (2000). Les deux livres concernent les flottilles néo-zélandaises qui ont tenté de perturber les essais. “L'auteur de Danger Zone a été lui-même sur un des bateaux qui a essayé de perturber les essais. Mais d'un point de vue de la contestation, son roman est extrêmement décevant”. 25 ans plus tard, l'auteure maohi Cathie Dunsford mettra en avant un groupe féminin qui se considère comme une avant-garde de la lutte contre les essais et qui va s'embarquer elle aussi dans un bateau pour les interrompre. “Une version allemande de cet ouvrage a été enrichie par des chapitres à forte tonalité écologiste où les animaux marins vont commenter les dangers des essais nucléaires”, complète le professeur de littérature.

Les classiques locaux

Le troisième et dernier corpus étudié est composé de deux œuvres majeures que sont L'île des rêves écrasés de Chantal Spitz (1991) et Mutismes de Titaua Peu (2002). “Le regard que portent les militants néo-zélandais est certes un regard océanien, mais il reste extérieur”. Selon Andréas Pfersmann, l'intérêt du livre de Chantal Spitz, premier roman autochtone de Polynésie française, se trouve dans ce qu'elle définit comme une déchirure. “La déchirure provoquée par le lien avec la terre souillée”. Dans Mutismes, l'accent est davantage mis sur le conflit très dur qui va finalement déboucher sur les émeutes autour de l'aéroport de Faa'a. “Titaua Peu montre bien que cette violence est la conséquence d'une autre violence qui s'est exercée sur les déshérités”, indique Andréas Pfersmann.

Pour l'auteur de La littérature irradiée, l'intérêt de son ouvrage est de “montrer à quel point cette question des essais nucléaires a fasciné les écrivains mais aussi suscité leur colère et produit des fictions militantes”. Andréas Pfersmann ajoute que l'enseignement du fait nucléaire est un sujet qui préoccupe les autorités. “Mon espoir modeste, c'est que mon petit livre puisse être un outil pédagogique qui permettra de discuter en classe de ces textes”. Pour Nabila Gaertner-Mazouni, “ce livre insiste sur le fait que les essais nucléaires ont fait et font toujours polémique. Je pense que la nécessité de partager cette mémoire est essentielle”.

Rédigé par Etienne Dorin le Mardi 22 Juin 2021 à 18:38 | Lu 1352 fois