Les effets inquiétants des pesticides sur la mémoire des poissons


Jeune poisson chirurgien bagnard ©C. Berthe
PAPEETE, le 24 juillet 2018. Les chercheurs du Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l'Environnement ont démontré la perte de la mémoire des larves de poissons dans un récif corallien pollué par des pesticides. Cette perte de la mémoire expose davantage les larves de poissons aux prédateurs.

« Avoir une mémoire de poisson rouge », tout le monde connait cette expression qui signifie avoir peu de mémoire. En 2003, les studios Pixar ont créé Dory, un poisson chirurgien devenu célèbre pour ses « troubles de la mémoire immédiate », une défaillance de la mémoire à retenir des informations nouvelles, qui mènent souvent Dory dans des situations problématiques. Dans la réalité, qu’en est-il de la mémoire des poissons ? Des chercheurs du Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l'Environnement (Criobe) ont testé la mémoire de larves de poissons chirurgiens bagnard Acanthurus triostegus, qu’on retrouve en large bancs dans les lagons des îles tropicales. Les scientifiques ont voulu tester la capacité des jeunes individus (stade larve) à retenir une situation de danger, en particulier face aux attaques d’un prédateur, le poisson baliste Picasso, Rhinecanthus aculeatus.

Ainsi, des larves du poisson-chirurgien ont été conditionnées pour apprendre à reconnaître le prédateur par l’odeur. Ces larves ont ensuite été mises en situation réelle de prédation, pour tester leur comportement de fuite, et cela après différentes périodes de temps afin d’évaluer la durée de leur mémoire. Les résultats ont montré que les larves mises en contact avec un prédateur, se souviennent de son odeur pendant deux à quatre jours. Cela signifie qu’une larve exposée à cette odeur garde un comportement de fuite quatre jours après la première rencontre. Ce souvenir permet donc d’avoir de meilleures chances de survie.

La mémoire des larves effacée
Alors que l’on parle beaucoup des perturbateurs endocriniens (en particulier présents dans les pesticides), ces éléments qui dérèglent notre développement et affectent particulièrement les enfants en pleine croissance (capacités cognitives et neurologiques diminuées), qu’en est-il pour les habitants de nos océans, touchés eux aussi par ces perturbateurs (via les apports terrigènes lors de fortes pluies par exemple) ? Les chercheurs du Criobe ont souhaité approfondir l’étude sur la mémoire de « Dory » et connaître l’impact du chlorpyrifos, un pesticide largement utilisé dans l’agriculture en régions tropicales, sur la mémoire des larves de poissons chirurgiens. Sont-ils toujours capables d’utiliser leurs expériences passées pour échapper aux prédateurs ? Le résultat de l’étude est inquiétant : la mémoire des larves est complétement effacée dans un récif pollué par les pesticides et ces larves ne se rappellent plus l’odeur du prédateur, ce qui entraîne une diminution de leur comportement de fuite.

Les poissons vivant dans les récifs coralliens ont généralement un cycle de vie complexe avec une phase larvaire océanique de quelques jours à quelques mois, suivie d’une phase récifale relativement sédentaire pour les juvéniles et les adultes. Dans les heures qui suivent ce retour dans les récifs, les larves se métamorphosent et doivent rechercher un nouvel habitat adapté au stade juvénile de l’organisme (phase de recrutement). Il est aujourd’hui largement admis que la taille des populations de poissons adultes est déterminée principalement par le succès de cette phase de recrutement. Ce succès se caractérise par la recherche d’un habitat de vie favorable et par la fuite en présence de prédateurs. Ainsi, selon les espèces, le taux de survie des larves pendant cette phase (qui peut durer 4-6 jours) varie de 10 à 40%. Cependant, ce succès du recrutement, donc le taux élevé de survie des larves, peut fortement diminuer selon l’état de dégradation des habitats coralliens et la pollution soit par des pesticides soit par des microplastiques pouvant affecter les capacités cognitives des jeunes poissons. L'étude du Criobe a démontré la perte de la mémoire des larves de poissons dans un récif corallien pollué par des pesticides. Cette perte de la mémoire expose davantage les larves de poissons aux différents prédateurs présents dans les récifs, augmentant le taux de mortalité des larves lors du recrutement. Si moins de larves sont capables de recruter dans les récifs, alors l’homme aura moins de poissons adultes à pêcher pour sa subsistance.

En conclusion, alors que la perte de mémoire de Dory a fait rire des millions de spectateurs dans les salles de cinéma, dans la réalité, une telle perte de mémoire est en train de se produire dans les récifs coralliens du monde entier et pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les stocks de poissons. L’homme ne peut pas vivre sans mémoire. Et de plus en plus d’études démontrent que c’est le cas de plusieurs animaux sur la planète (abeilles, oiseaux, etc.), dont dépend la survie de l’espèce humaine. Souvenez-vous-en…

RÉFÉRENCE
Bertucci F., Jacob H., Mignucci A., Gache C., Roux N., Besson M., Berthe M., Metian M., Lecchini D., 2018. Decreased retention of olfactory predator recognition in juvenile surgeon fish exposed to pesticide. Chemosphere, vol. 208: 469-475

Rédigé par Communiqué du Criobe le Mardi 24 Juillet 2018 à 17:12 | Lu 2070 fois