Les chats sauvages menacent la faune polynésienne


TAHITI, le 30 septembre 2020 - Pauline Palmas étudie la population de chats sauvages – les chats harets – en Polynésie. Sur Ua Huka et Tahuata aux Marquises ainsi qu’à Tahiti et Moorea, la conclusion est sans appel. Ils se nourrissent d’insectes, reptiles et oiseaux endémiques. Ils sont un vrai danger.

"La menace est silencieuse, sournoise. On ne la voit pas, on ne l’entend pas", indique Pauline Palmas, docteur en Biologie des populations et écologie. "Mais elle existe." La chercheuse en a aujourd’hui les preuves.

Tout a commencé en 2018 (lire aussi cet article). À l’époque, la présence de chats harets, des chats domestiques retournés à l'état sauvage ou semi-sauvage, était supposée en Polynésie française. Il n’y avait aucun travail solide sur le sujet, seulement une grosse étude à Niau et une petite à Moorea.

Pauline Palmas a démarré son étude à Tahiti et Moorea puis est allée à Tahuata et Ua Huka. L’objectif était alors de vérifier la présence des chats harets, d’évaluer leur abondance, de connaître leur régime alimentaire.

Elle mène son projet au sein de l’unité de recherche UMR EIO (Écosystèmes insulaires océaniens) de l’université de la Polynésie française (UPF), en partenariat avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et grâce au co-financement de la délégation polynésienne à la recherche et de l’Office français pour la biodiversité (OFB).

Sur place, elle évolue toujours avec des volontaires "sans qui rien ne serait possible", insiste-t-elle. "On ne travaille jamais seul en recherche."

De précieux renseignements

Ses travaux se déclinent en deux volets. D’une part, elle récolte les fèces des animaux. Elle arpente les vallées, s’enfonce dans les forêts, grimpe aux sommets.

"Les chats empruntent souvent les mêmes sentiers, ils ont un territoire délimité, je trouve facilement leurs fèces en bord de chemin."

Les excréments révèlent de précieux renseignements. En laboratoire, avec une loupe binoculaire, Pauline Palmas identifie à l’intérieur les plumes, les griffes, les petits os pour savoir ce que mangent les chats et en quelle quantité.

Sur les quatre îles, la chercheuse a récolté 385 échantillons. Lesquels ont montré que les chats se nourrissaient de rats, de reptiles (lézards), d’insectes, parfois même de crustacés comme le Bernard l’hermite ou le crabe côtier. "C’est une information insolite", indique Pauline Palmas.

"Je n’avais jamais entendu parler de consommation de ces crustacés par des chats harets ! Ce sont des proies assez difficiles à saisir, à décortiquer…" Les échantillons ont aussi prouvé la prédation d’oiseaux. Les chats harets se régalent de 19 espèces d’oiseaux différents. Sur ces 19 espèces, 13 sont indigènes ou endémiques.

D’autre part, Pauline Palmas pose des caméras sur des sites choisis. Une vingtaine, installées 15 jours, deux fois dans l’année. Les images enregistrées montrent une abondance élevée de chats harets.

En particulier à Ua Huka. L’association Vaiku’a, en partenariat avec la chercheuse et dans le cadre d’un grand projet de protection contre les espèces envahissantes sur l’île, entend préciser l’impact des chats harets sur la faune sur cette petite île des Marquises. Un transfert de connaissances est en cours.

Pauline Palmas va poursuivre ses travaux ailleurs, aux Australes espère-t-elle, à Rimatara et à Tubuai ou à Rurutu. Ils ont pris du retard en raison de la crise.

Des oiseaux marins aux chats harets polynésiens

Pauline Palmas est originaire de métropole. Elle a effectué une licence de biologie des populations à Montpellier. Sa passion ? "Mesurer un problème et trouver des solutions, comprendre comment fonctionne un écosystème, savoir pourquoi il dysfonctionne et réfléchir aux moyens de retrouver un équilibre ou tout au moins d’agir sur les dysfonctionnements."

Son premier stage au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) au CNRS à Montpellier a eu lieu en partie en laboratoire et en partie sur l’île sicilienne de Linosa. Un petit bout de terre émergée de 5 km2.

"J’y suis restée trois semaines et je me suis intéressée au comportement des oiseaux marins", se rappelle Pauline Palmas. Elle a cherché à savoir comment les oiseaux choisissaient leur partenaire et comment ils retrouvaient leur nid.

L’année suivante, elle a poursuivi ses études à Orsay, à l’université Paris Sud 11. L’une de ses enseignantes-chercheuses, passionnante, travaillait sur les chats harets, les rats et les oiseaux marins, cherchant à savoir "comment tout ce petit monde interagissait". Pauline Palmas a absolument tenu à se joindre à l’équipe. "Elle avait déjà deux étudiants en stage, j’ai dû un peu insister car sa charge de travail était déjà lourde cette année", admet la jeune femme.

Sa professeure a fini par accepter, voyant la motivation et la détermination de l’étudiante. C’est elle qui, l’année suivante, a tenu à faire revenir Pauline Palmas dans son laboratoire. "On a tissé une relation de confiance professionnelle." Il a été question, alors, de développer un outil de biologie moléculaire.

Ensuite Pauline Palmas a effectuée sa thèse en Nouvelle-Calédonie sur la prédation des chats harets et la menace sur la biodiversité calédonienne. Elle était à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) de Nouméa avec un directeur de recherche déjà sur place et déterminé à en savoir plus.

En 2017, elle a participé aux Doctoriales en Nouvelle-Calédonie. Elle a remporté une première place qui lui a permis de participer aux Doctoriales en Polynésie française. C’est à l’occasion de ce séjour qu’elle a monté le projet de recherche sur les chats harets en Polynésie française.


Le chat haret, espèce férale

Le chat domestique (Felis catus) est présent partout dans le monde. Les chats harets sont des chats redevenus sauvages. De nombreuses populations férales se sont installées sur l’ensemble du globe.
Une espèce férale est une espèce qui s’échappe d’un espace où elle était cantonnée, pour s’établir dans un autre espace où elle prolifère. Les populations de chats harets, indépendantes de l’homme sur le plan alimentaire, jouent souvent le rôle de super-prédateurs au sein des écosystèmes insulaires. Ils consomment des oiseaux, des reptiles.

26% des extinctions récentes

Les chats harets sont responsables de 26 % des extinctions modernes (depuis 200 ans) de vertébrés, dans le monde. Ils sont une menace partout, mais en particulier dans les îles où les écosystèmes sont fragiles, et les espèces endémiques très naïves. Aujourd’hui, dans les îles du monde, le chat haret pourrait entraîner l'extinction d'au moins 367 espèces de vertébrés menacés (classés vulnérables, en danger et en danger critique d’extinction dans la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Les espèces d’oiseaux prisées

Les chats harets se nourrissent d'au moins 19 espèces d’oiseaux différentes dont 13 espèces indigènes ou endémiques. Il y a notamment : le Ptilope de la Société (Ptilinopus purpuratus), le Pétrel de Tahiti, (Pseudobulweria rostrat), le Ptilope de Dupetit Thouars (Ptilinopus dupetithouarsii), le Monarque iphis (Pomarea iphis) ou bien encore le Lori ultramarin (Vini ultramarina).

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 30 Septembre 2020 à 14:31 | Lu 27222 fois