Les associations taclent la "mascarade" du Civen


Tahiti, le 22 juillet 2020 - Les associations Moruroa e Tatou et 193, de défense des victimes des essais nucléaires français dans le Pacifique ont critiqué mardi le dernier rapport d’activité du Civen. Des chiffres "arbitraires" pour le père Auguste que Philippe Neuffer, à Moruroa e Tatou, regarde comme une "mascarade".
 
On pouvait s’y attendre. Les réactions pleuvent après la publication par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) de son rapport d’activité 2019. Et elles sont très critiques. Le document rendu public lundi tend à confirmer, chiffres à l’appui, l'accélération des procédures d'indemnisation ces deux dernières années, sous l'impulsion de son nouveau président Alain Chrisnacht.

Comme en 2018, c'est sur le nombre des décisions d'indemnisation depuis la nouvelle méthodologie du "1 mSv" que le Civen communique très largement cette année. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Alors que seules 31 décisions favorables ont été rendues par le Civen entre 2010 et 2017, l’indemnisation a été validée pour 145 demandes en 2018 et 126 en 2019.

Mais du côté des associations polynésiennes de défense des victimes, on a du mal à s’associer à ce bilan d’activité plutôt flatteur pour l’actuel président du Comité. On ne voit là que chiffres biaisés, procédures arbitraires d’examen des demandes, inefficacité patente du système d’indemnisation de la loi Morin… avec le sentiment global que la publication s’apparente plus à une opération de communication qu’à un rapport d’activité objectif.

"Il faut supprimer cette autorité qui se gausse ouvertement de déformer la réalité et affirme chaque année que tout va bien, s’emporte Philippe Neuffer pour Moruroa e Tatou. Franchement, tout ça c’est de la littérature. Ceux qui souffrent réellement savent que l’indemnisation ne fonctionne pas. Et quand bien même, rien n’est prévu pour les ayants droit. Il faut abroger cette loi Morin et adopter une vraie loi d’indemnisation des victimes du nucléaire comme c’est le cas pour l’amiante, avec une reconnaissance du préjudice des ayants droit. En attendant, tout ça n’est qu’une mascarade."

Pour l’association 193, le processus d’indemnisation des victimes des essais nucléaires n’est pas compatible avec le verrou de l’exposition négligeable. L’occasion de tacler l’amendement porté par la sénatrice Lana Tetuanui fin 2018. Près de 2 ans après la suppression de la notion de risque négligeable dans la rédaction de la loi Morin, cet amendement avait en effet inscrit le principe d’une "dose efficace" d’exposition annuelle de 1 mSv aux rayonnements dus aux essais nucléaires. En-deçà, la présomption de causalité reconnue par la loi d’indemnisation peut être renversée. "Pour nous, insiste le père Auguste Uebe-Carlson, il est nécessaire de revenir à une présomption de causalité. Une réparation doit pouvoir se faire en faveur des victimes qui remplissent les conditions de lieu, de temps et de maladie prévues par la loi Morin. Cela suppose aujourd’hui la suppression de toute forme de risque négligeable ou de dose négligeable d’exposition. Il faut supprimer l’amendement Lana de la loi. "

"Je ne sais pas où ils sont allés chercher ces chiffres"

Le père Auguste Uebe-Carlson, président de l’association 193.
 
Quelle lecture faites-vous des chiffres du rapport d’activité 2019 du Civen ?
Ils sont décalés. L’article de Tahiti Infos précise d’ailleurs bien qu’ils ne concernent pas beaucoup de nouveaux dossiers. Le problème avec ces tableaux c’est que l’on a l’impression que ce sont des chiffres à l’instant T. Or, il s’agit de beaucoup de dossiers traités dans le cadre de réexamens. On veut nous faire croire aujourd’hui que l’augmentation du nombre d’indemnisation serait le fruit de l’année 2019. Mais ce n’est pas le cas.
Ces chiffres sont dans la droite ligne de tout ce que fait le Civen. Faut-il rappeler les liens de ce comité avec l’armée ? Comment sont nommés ses membres ? Ce rapport, c’est de la communication pour défendre la position de l’Etat dans ce dossier des indemnisations des victimes du nucléaire.
 
On y constate tout de même une nette augmentation des décisions d’indemnisation depuis 2018.
En 2017, la disparition du risque négligeable a changé la donne. Quant à 2018, les bons chiffres sont la conséquence de cette suppression dans la loi Morin et de l’obligation faite au Civen de réexaminer les dossiers rejetés. Avec l’amendement Tetuanui, fin 2018, tout a été remis en cause.
 
Pourtant le rapport d’activité constate 126 décisions d’indemnisation en 2019. 
L’amendement Tetuanui a été adopté le 28 décembre 2018. Moins d’une semaine après nous avons eu 25 dossiers acceptés par le Civen, sans même passer d’audition. Ils sont dans les chiffres de 2019… Peu avant le passage d’Alain Chrisnacht en Polynésie, l’année dernière le Civen a rendu, comme ça, 15 avis favorables toujours sans audition. On a l’impression que ces décisions sont arbitraires, à seule fin de prouver que le processus d’indemnisation fonctionne bien.
Ce qui nous interpelle en 2019, c’est surtout les 92 dossiers rejetés sur le fondement de l’amendement Tetuanui.
Quant au total de 1,3 milliard de Fcfp d’indemnisations accordées l’année dernière, je ne sais pas où ils sont allés chercher ces chiffres. Ils annoncent une indemnité moyenne de 70 000 euros. La moyenne que nous constatons dans l’association 193 est au moins deux fois inférieure.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 22 Juillet 2020 à 10:06 | Lu 6174 fois