Les Nouvelles de Tahiti : Chronique d'une mort annoncée


PAPEETE, le 21 mai 2014 - Le plus vieux journal de Tahiti pourrait fermer vendredi. Une Assemblée Générale Extraordinaire se réunit jeudi matin pour déterminer l’avenir du quotidien. Trois solutions seront proposées aux actionnaires des Nouvelles pour l’avenir du titre : une augmentation de capital, la cession du journal ou le dépôt de bilan. Seule promesse annoncée, les salariés seront reclassés.

Ce jeudi 22 mai a lieu une Assemblée Générale Extraordinaire (AGE) du quotidien Les Nouvelles pour décider de l’avenir du plus vieux journal de Polynésie. Les actionnaires et la direction seront rassemblés au siège de la SOC La Dépêche pour examiner les différentes possibilités.

C’est en pratique l’avenir de la SELN, pour Société d’Exploitation Les Nouvelles, qui sera discuté. Selon la lettre de convocation envoyée aux actionnaires de la SELN que nous avons pu nous procurer, trois pistes seront proposées :

- Une recapitalisation à la hauteur des pertes cumulées par la société. Elles représentaient 158 millions de Fcfp au 31 décembre 2013, et il faudra y ajouter les pertes subies depuis le début de l’année 2014.

- Une vente des deux titres de la société. Une estimation de leur valeur par le cabinet Audit Pacifique devrait être révélée lors de l’AGE.

- Si aucune de ces propositions ne permet de renflouer suffisamment les comptes, un dépôt de bilan sera soumis au vote.

La SELN appartient à 90,4% à Média Polynésie, mais il existe un autre actionnaire qui possède un peu moins de 10% de la société, l’homme d’affaires Albert Moux. Ce dernier a confirmé être prêt à mettre sa part, 16 millions de francs cfp, sur la table pour recapitaliser – et sauver – le titre, soit 10% de l’augmentation de capital prévue. Mais il n’est pas sûr qu’il soit suivi par ses partenaires. Dominique Auroy, co-gérant de Média Polynésie, n’a pas voulu préciser la position de sa société, se contentant de promettre que « tous les employés des Nouvelles seront reclassés ».


Un CE en forme d’adieu

Mais ce mercredi 21 mai, à la veille de l’Assemblée Générale, un Comité d’Entreprise rassemblant salariés et direction a été tenu. Les gérants auraient déclaré aux salariés que la seule porte de sortie pour sauver le journal était l’arrivée d’un chevalier blanc prêt à investir 300 millions Fcfp dans la société, sans que l’on ait réussi à savoir ce que ce chiffre impressionnant incluait. Selon nos informations, la direction n’aurait pas hésité à évoquer Albert Moux, alors que ce dernier n’est même pas en Polynésie, étant à Fidji pour un voyage d’affaires.

Rappelons qu’Albert Moux avait été candidat au rachat du groupe gérant la Dépêche et les Nouvelles en 2012, mais que la vente lui avait échappé au profit de Paul Chi-chong, Richard Bailey et la SCP Chin-Foo. De plus, la SELN devrait encore des sommes très importantes à la société Pacific News, propriétaire du nom « Les Nouvelles de Tahiti » dans un conflit qui revient le 13 juin au prochain devant le tribunal de Papeete (voir encadré). Pierre Marchesini, l’autre co-gérant de Média Polynésie, conteste de son côté : « Pacific News depuis deux ans n’a plus d’organe de direction puisqu’elle est détenue à 50% par SOC Dépêche et à 50% par M. Albert Moux. » Mais il assure que malgré les problèmes, Média Polynésie « paiera tous les fournisseurs de la SELN, quels qu’ils soient » .

Les gérants de Média Polynésie auraient tout de même affirmé ce matin aux représentants des salariés que le journal de vendredi serait le dernier de l’histoire du quotidien. Face à autant de précipitation qui apparaît sur de nombreux points du dossier, on a l’impression que Les Nouvelles sont victimes d’une exécution sommaire et pour le moins bâclée.


Une Assemblée Générale très peu sereine

Dans les différentes affaires judiciaires qui entourent Média Polynésie, on constate une récurrence des convocations d’AG jugées irrégulières par le tribunal. Cette dernière convocation ne semble pas y échapper : selon l’avocat d’Albert Moux, Me François Quinquis, elle est organisée dans « une précipitation contraire à une gestion sereine des affaires de la société. » Ainsi les convocations qui devraient, de par la loi, être envoyées aux actionnaires deux semaines à l’avance, n’ont été expédiées que 6 jours avant et elles n’incluaient ni les comptes de la société, ni le rapport de gérance, ni un éventuel plan de restructuration des Nouvelles. Me Quinquis note dans le courrier envoyé en réponse à la convocation que « ses termes ne sont pas sérieux. » Mais il confirme que, malgré tout, Albert Moux « souhaite… accompagner l’effort de rétablissement des comptes sociaux… à hauteur de son taux de participation actuel. » Pierre Marchesini affirme de son côté avoir été « très scrupuleux » dans la convocation des actionnaires et avoir respecté les statuts et les dates.

Qui possède Les Nouvelles ?

Les statuts de la SELN précisent bien l’actionnariat de l’entreprise qui publie le journal et emploie ses journalistes : le capital appartient à 90,4% à Média Polynésie (qui possède également La Dépêche à 100%), et à 9,6% à Albert Moux.
Par contre, la SELN loue le nom « Les Nouvelles » à la société Pacific News, possédée à parts égales par Albert Moux et la SOC La Dépêche. La location du nom fait l’objet d’un contrat de location-gérance datant de 1989 qui prévoit le versement de 12,5 millions de Fcfp par an par la SELN au profit de Pacific News (soit plus de 312.5 millions de Fcfp depuis 1989). Seule une petite partie de ces sommes aurait été été versée. Une enquête a été ouverte et une procédure est en cours pour résoudre ces litiges.

Et Tiki Mag dans tout ça ?

Le magazine Tiki Mag fait partie de la même filiale que Les Nouvelles (SELN), leurs sorts sont donc au moins partiellement liés. Mais Pierre Marchesini affirme que le magazine a de bonnes chances : « Je veux sauver tout ce qui peux être sauvé… Je pense que Tiki Mag peut survivre. »

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mercredi 21 Mai 2014 à 17:05 | Lu 6326 fois