Les Marquisiens et leur art : un inventaire inédit du patrimoine traditionnel


PAPEETE, le 27 septembre 2016 - L’exposition Mata Hoata s’est terminée au Musée du Quai Branly tandis que l’exposition Tiki vient de débuter au Musée de Tahiti et des îles, l’occasion de revenir sur l’exceptionnelle étude de l’ethnologue allemand Karl von den Steinen : Les Marquisiens et leur art, récemment réédité sous forme de coffret.

"C’est pourtant des îles polynésiennes que j’ai ramené les impressions les plus fortes et les plus vivantes, celles où l’homme et la nature s’accordent dans la beauté et la joie comme nulle part ailleurs dans le monde."

Le ton est donné depuis plusieurs mois : les cultures polynésiennes et marquisiennes, en particulier, sont mises à l’honneur et célébrées de toutes parts. De Paris (exposition Mata Hoata au musée du Quai Branly) à Punaauia (exposition Tiki au musée de Tahiti et des îles), en passant par Te Fenua Enata -la terre des Hommes, les Marquises- (Festival des Marquises), les différents prismes singuliers de cette culture traditionnelle ont été valorisés de maintes manières, faisant ainsi la part belle aux arts traditionnels (chants, danses, artisanat) et aux pièces rares : sculptures, gravures, tatouages, objets ornementaux, costumes, bijoux, etc. L’apport inestimable des œuvres de Karl von den Steinen apporte un complément d’informations inestimable pour qui s’intéresse à la civilisation marquisienne et la Polynésie orientale. Une œuvre qui allie la rigueur méthodologique à la rencontre véritable de la population et participe ainsi à la sauvegarde d’un volet remarquable de l’histoire des civilisations, dont le contenu n’a jusqu’à présent jamais été démenti.

Un triptyque de la sauvegarde d’une civilisation jadis menacée

En 1897, Karl von den Steinen, jeune médecin allemand, est chargé par le musée de Berlin de réaliser une mission ethnologique aux îles Marquises. L’état de sauvegarde de cette civilisation étant déjà menacé, la nature de sa tâche était non seulement indispensable, sinon urgente à effectuer. Pendant six mois, il réalisa un inventaire remarquable du patrimoine matériel, en photographiant, dessinant et décrivant plus de mille pièces. Au-delà de son séjour marquisien, Karl von den Steinen sillonna l’Europe et le monde à la recherche de pièces d’art marquisiennes, collectant toutes les informations possibles auprès de collectionneurs, galeristes et musées.

Rapidement intégré et accepté par la population marquisienne, il gardera un souvenir nostalgique de son séjour dans l’archipel, et témoignera : "(…) passant d’une vallée à l’autre par les crêtes des montagnes, tous les villages des six îles habitées, j’y ai perdu vingt kilos... J’ai noté les paroles des chants et des généalogies qui remontent à la nuit des temps ... Mon intérêt personnel me portait vers ces récits sacrés de la patrie d’origine, de la Polynésie centrale et d’autres îles éloignées."

Trois oeuvres, trois thématiques réunies dans un même coffret

Publiées en français pour la première fois en 2005, et indisponibles depuis de nombreuses années, les œuvres de Karl von den Steinen viennent de faire l’objet d’une réédition proposée par le musée de Tahiti et des îles et Au vent des îles, sous la direction attentive de Véronique Mu-Liepmann, ancienne conservatrice du musée et directrice de collection chez l’éditeur. Son expertise et sa connaissance accrue du sujet ont permis d’actualiser le contenu des trois volumes, reprenant quelques erreurs de traduction, rectifiant certaines légendes ou encore, en remettant dans le bon sens certaines photographies.

Si le premier volume introduit le sujet grâce à une étude ethnologique d’une rare précision, son apport inédit et conséquent révèle notamment un pan complet de l’art du tatouage exploré sous l’angle socio-culturel et artistique, dressant un inventaire minutieux de centaines de motifs et symboles, apportant si possible une légende ou une traduction. Les développements décrivent non seulement les figures ornementales mais tentent d’en comprendre l’origine et le sens et de déterminer des styles et leur évolution. L’apposition sur le corps, par âge et par sexe, apporte des précisions révélatrices à bien des niveaux.

L’auteur établit également des liens avec l’art du tiki analysé dans le deuxième volume, étudiant ces figures anthropomorphiques sous toutes leurs formes. L’étendue de l’inventaire et la finesse de l’analyse des styles en font le pendant du premier volume sur le tatouage. Pour compléter sa collecte sur un terrain "appauvri" par les pillages et destructions qui l’ont devancé, Karl von den Steinen l’assortit des différentes collections occidentales publiques ou privées et l’anime des informations recueillies sur place. L’ouvrage s’accompagne d’une abondante iconographie dont une partie est renvoyée au troisième volume.

Ce troisième volume, tel un catalogue, parachève les deux précédents en classant une grande partie de l’abondante iconographie rassemblée par l’auteur. En effet, lors de son étude, seules subsistaient sur l’archipel de rares pièces anciennes ayant échappé aux pillages ou destructions causés par les visiteurs et colonisateurs. Karl von den Steinen complète donc la collecte de terrain par les collections publiques et privées d’Europe et d’Amérique du Nord.



Rédigé par Au Vent des îles le Mardi 27 Septembre 2016 à 09:28 | Lu 6165 fois