Les Marquises revoient leur projet d'AMP pour inclure la pêche industrielle


L'AMP des Marquises réserverait toutes les eaux côtières jusqu'à 50 milles marins du rivage à la pêche artisanale.
PAPEETE, le 19 juin 2018 - Dans un document de 20 pages publié lundi, les élus des Marquises et les associations de protection de l'environnement ont présenté la version finale de leur projet d'aire marine protégée, "Te Tai Nui a Hau". Cette immense réserve couvrirait selon ce plan plus de la moitié des eaux marquisiennes, dont les zones de reproduction des thons obèses. Un plan qui veut faire cohabiter harmonieusement la pêche industrielle, la pêche artisanale et la préservation de la ressource pour les générations à venir.

Après 6 ans de travail, des recherches scientifiques, des enquêtes auprès de la population marquisienne et un grand débat dans l'archipel réunissant le Pays, les élus, la société civile et l'État, le projet "Te Tai Nui a Hau" est enfin dévoilé au complet. S'il se réalise, il créera une immense aire marine protégée (AMP) de 430 000 km², couvrant plus de 60% des eaux de l'archipel des Marquises.

Ce projet a été dévoilé lundi par la Communauté des Îles Marquises (Codim), la fédération des associations de protection de l'environnement (Fape) et la fondation Pew qui milite pour ces AMP depuis son arrivée en Polynésie en 2013. Issu d'un compromis global, Te Tai Nui a Hau ménage désormais à la fois les revendications environnementalistes des associations, et le développement de la pêche industrielle par des investisseurs privés, voulu par la Codim et le gouvernement.

LA PÊCHE À L'OUEST, LA PRÉSERVATION À L'EST

Comme le montre la nouvelle carte publiée lundi, le projet Te Tai Nui a Hau prévoit désormais de diviser les eaux marquisiennes en trois grandes zones :

Le projet d'aire marine protégée Te Tai Nui a Hau protégerait 430 000 km² dans les eaux Marquisiennes, tout en préservant la pêche artisanale dans les zones côtières.
- Une zone de pêche artisanale de 120 000 km², s'étendant jusqu’à 50 milles marins des côtes (17% de la ZEE des Marquises). Elle serait réservée aux embarcations de moins de 12 mètres, de type poti marara et bonitiers. La pêche palangrière y serait interdite. Cette zone pourrait héberger des territoires mieux protégés "comme par exemple des projets de protection de certains sites côtiers, des sites classés du code de l’environnement, des Zones de Pêche Réglementée côtières ou des kahui/ahu" résume le document.

- Une zone de protection stricte de 310 000 km², entre 50 milles et 200 milles marins au sud-est de l’archipel (44% de la ZEE des Marquises). Elle inclut la zone de reproduction du thon obèse (une espèce menacée dans tout le Pacifique sauf aux Marquises). Toute pêche ou autres extractions y seraient interdites pour permettre la reproduction de ces espèces pélagiques. Le transit des bateaux resterait autorisé.

- Une zone d’activité maritime durable qui couvrirait les 270 000 km² restant à l'Ouest (39% de la ZEE des Marquises). Cette zone, la plus riche en espèces pélagiques comme le thon, serait ouverte à la pêche palangrière. Elle serait régie par la réglementation de l'aire marine gérée que le gouvernement a mise en place sur toute la ZEE polynésienne, et resterait donc interdite à la pêche au chalut et aux navires étrangers. Cette aire marine gérée, nommée Tai Nui Atea, a été officiellement créée le 3 avril 2018, mais ne prévoit aucune zone de protection stricte comme celles demandée par les Marquisiens et les habitants des Australes (qui défendent leur propre projet d'AMP).

On voit que le projet est désormais plus modeste, comparé aux 700 000 km² de ZEE Marquisienne qui auraient pu être protégés dans le projet original. Mais le développement du Marquesas Fisheries Project (incluant à terme une soixantaine de thoniers, dont deux bateaux-usines, basés aux Marquises) a changé la donne depuis l'année dernière.

Ce projet participe également à la démarche visant à inscrire 9 sites des îles Marquises au patrimoine mondial de l'Unesco, dans le même esprit que la multiplication des aires marines éducatives dans la Terre des Hommes. "Un des principaux atouts de l’archipel des Marquises est l’authenticité de sa nature, de sa culture et du peuple marquisien. L’éco-tourisme a un grand potentiel de croissance dans nos îles ; il reste d’ailleurs le premier axe de notre plan de développement" assure Félix Barsinas, président de la Codim, en introduction de la présentation.

Les études scientifiques réalisées depuis 2011 à l'initiative de l'Agence française de la Biodiversité pointent aussi la richesse incroyable de l'écosystème marquisien : "Ils ont recensé un trésor de biodiversité : 144 espèces d’algues, 35 espèces de coraux, 627 espèces de mollusques et 411 espèces de crustacées. La diversité en poissons côtiers des Marquises est particulièrement remarquable, avec 558 espèces cataloguées. L’isolement géographique de l’archipel a généré un endémisme exceptionnel pour un grand nombre d’espèces marines (12% pour les poissons, 10% pour les mollusques, 9% pour les crustacées), positionnant les Marquises comme le troisième site d’endémisme du Pacifique après Hawaii et l’île de Pâques." L'archipel compte aussi 19 espèces de requins et 7 espèces de raies, dont 2 espèces de raies Manta. Tout un patrimoine que Te Tai Nui a Hau aiderait à préserver.

LA BALLE EST DANS LE CAMP DU GOUVERNEMENT

La présentation du projet Te Tai Nui a Hau inclut également une rapide analyse juridique : "Une Zone de Pêche Réglementée, administrée par la Direction des Ressources Marines et Minières, pourrait être créée dans un premier temps (...). Un classement de l’AMP selon le code de l’environnement, administré par la Direction de l’Environnement, pourrait être envisagé par la suite. Selon le code de l’aménagement, il est également possible de mettre en place un Plan de Gestion de l’Environnement Marin (PGEM) qui servirait à gérer les zones côtières (12 milles marins) autour des îles."

Mais rien de tout cela ne peut être décidé par les élus ou les citoyens des Marquises. La Codim avoue donc qu'elle "s’en remet au gouvernement de la Polynésie française pour l'établissement de l’AMP car seul le Pays bénéficie de cette compétence". La Codim espère aussi que si Te Tai Nui a Hau est mise en place, la gestion de l'AMP ne sera pas faite depuis Papeete mais principalement depuis les Marquises, par les élus et la société civile de l'archipel.

Elle donne "toute confiance au gouvernement pour réaliser" ce projet que l'archipel pousse depuis 2013 avec, à l'origine, le soutien de l'exécutif. Sauf que le ton a changé depuis. Ainsi, en 2016, Heremoana Maamaatuaiahutapu, déjà ministre de l'Environnement, opposait une fin de non recevoir à tous les projets d'AMP. Mais cette nouvelle version du projet, conciliant protection de la ressource et développement industriel, finira peut-être par convaincre le gouvernement Fritch.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 19 Juin 2018 à 14:11 | Lu 4255 fois