Les 50 « derniers » pas du roi toujours d’actualité aux îles Marquises


Instaurés dans les outremer français par le surintendant de Louis XIV, Jean Baptiste Colbert au XVIIème siècle, les 50 pas du roi qui définissent les conditions particulières d'appartenance de parcelles au domaine public maritime artificiel, existent seulement aux Marquises ( henua ènana) en Polynésie. D'une largeur, à la base, de 81,20 mètres dans le système métrique, ces pas appelés « géométriques » ou « allemands », existent toujours et ont changé d’appellation et de taille, pour devenir les « 50 mètres géométriques ».

La zone en question est calculée à partir de la ligne des marées les plus hautes. Propriété du domaine public, elle est dite inaliénable. Cela veut dire que le Territoire (qui a en a reçu la rétrocession le 12 juillet 1977) ne peut pas, en principe, vendre une parcelle à des particuliers ou alors sous certaines conditions (applicables depuis 1996 dans « les espaces urbains et les secteurs occupés par une urbanisation », qui sont délimités par arrêté gouvernemental).
Elle est également imprescriptible. Contrairement à certains terrains dont une occupation trentenaire confère par reconnaissance notariale via des témoins un caractère « d’appartenance définitive » (ce que d’ailleurs les polynésiens appellent le « ‘aitau » ou la prescription acquisitive), les 50 pas du roi restent et resteront la propriété du Territoire.

A l’origine, la fameuse zone représentait 80,21 m puisque 1 pas est égal à 1,62 m. Quelques 300 ans après sa création, un décret promulgué le 31 mai 1902 a changé le terme « 50 pas du roi » en « 50 mètres à partir de la limite des marées les plus hautes ». Cela a changé la donne, réduisant de 30 mètres la zone occupée à l’origine.

Depuis la mise en place de la loi « des pas », les marquisiens ont toujours tenté de se réapproprier cette zone qui a, avant tout, une valeur symbolique à leurs yeux. Certains ont essayé de revendiquer quelques parcelles au nom de leur « kākīu » (ancêtres) et ce, dans toutes les îles, mais les textes eux aussi, sont restés immuables à ce niveau. Et c’est pareil dans toutes les îles des Marquises.

Bien que le « propriétaire » de la zone ait changé, les principes et la loi n’ont pas évolué. En clair, les textes règlementaires liés aux « 50 pas du roi » (qui sont en réalité de 50 m) resteront ces longues bandes côtières uniques en leur genre. Malgré tout, le littoral marquisien, contrairement à d’autres îles, a échappé aux constructions sauvages, préservant ainsi le caractère sauvage et grandiose d'une nature intacte qui donne aux Marquises ce caractère exceptionnel.

Bernard Chimine, administrateur territorial en charge des Marquises nous fait remarquer également que cette spécificité locale épargne la population de risques accrus lors de tsunami.

Les îles Marquises, seul archipel du fenua concerné

Taiohaè. Nous sommes à Nuku Hiva, au nord des îles Marquises. Ici, il fait toujours beau. Le rivage est dégagé. En observant la côte tout le long de la baie, on comprend mieux la signification du terme « 50 pas du roi » (c’est le terme qui est toujours utilisé par les natifs de ces îles). Aucune construction en vue. Ni maisons, ni cabanes, seulement une longue bande côtière d’où l’on aperçoit les deux îlots immuables que sont « Motu nui » et « Motu ùa », appelés ici «les sentinelles ». Ils se dressent là, fièrement tels des gardiens millénaires de cette baie aux reflets d’argent.

Conformément à la réglementation, les quelques structures d’utilité publique qui ont été construites sur cette zone sont le débarcadère des bonitiers, situé à l’extrémité ouest du village, le quai des paquebots, et à l’autre extrémité, un « haè vaka » (entrepôt de pirogues) aménagé au lieu dit « Paahatea ». Son aménagement a été accepté dans l’unique but d’y entreposer des pirogues de compétition. Les membres de l’association qui est en charge de l’occupation des lieux, n’y dorment jamais.

Mata se tient là, debout, interrogatif. Il vient de la vallée de Hatiheù (côte nord). Chez lui aussi, les 50 pas du roi ont gardé toute leur intégrité. Il ne comprend pas pourquoi les constructions sont interdites dans cette zone.

Hatiheù (côte nord de Nuku Hiva). Il faut deux heures de voiture pour s’y rendre. Après un détour par la baie magique de Taipīvai, la route serpente dans la montagne comme si elle se cachait de quelque chose. Puis, deux heures plus tard, comme une perle dans son écrin, Hatiheù se dévoile au sortir d’un virage…Mata me montre la zone géométrique. Ici, rien n’a changé. La baie est restée comme au temps de l’annexion : nette et sans aménagement. Melville et Robert Louis Stevenson ont admiré le même paysage, au même endroit. Magie de l’histoire.

Tahuata (Marquises sud). Mais la réalité ne laisse que très peu de temps au rêve. Autre preuve que la loi est intransigeante, même dans ces contrées lointaines, l’exemple de l’église protestante installée à Vaitāhu, village principal. Les responsables avaient déposé une demande de construction d’une salle paroissiale sur l’île. La direction des affaires foncières, après consultation des différentes instances concernées, a rendu un avis défavorable.

L’odeur du porc sauvage cuit à l’étouffé et cette nature généreuse ne m’empêche pas de penser qu’un jour peut-être, tout ceci pourrait changer. L’avenir nous dira si les décideurs de demain vont perpétuer cette « tradition ». Kaòha nui te henua ènana.
TP




Rédigé par TP le Vendredi 18 Janvier 2013 à 09:39 | Lu 5912 fois