Lectures et littératures d'Outre-mer , interview de Christine Lara par Alex. URI, rédacteur en chef à la direction de l’information régionale à France Télévisions.


« Il faut faire évoluer le statut de la littérature d’Outre-mer à l’école »

Alex J. URI -Quel intérêt pédagogique pour un professeur de lettres d'étudier avec ses élèves un roman ou un recueil de poèmes écrit par un auteur de leur région?

Christine LARA- Les enseignants sont unanimes sur ce point. Enseigner la littérature d'outre mer aux élèves des archipels et des îles est important à plusieurs niveaux. D’abord psychologiquement car ils sont valorisés par le fait d'étudier des auteurs de chez eux puis pédagogiquement car les problématiques, les thèmes, les valeurs et les lieux sont ceux qu'ils connaissent et reconnaissent. Cette proximité les dispose favorablement à l'apprentissage.
Alex J. URI -Comment sont établis les programmes?
Christine LARA .C'est le ministre de l'éducation qui établit un cadrage qu'il remet au directeur général de l'enseignement scolaire (la DGESCO) qui suivra le projet. Ensuite il y a un groupe d'experts dirigé par un inspecteur général ou un universitaire qui élabore les textes qui doivent, en principe, être présentés aux associations de parents d'élèves, aux enseignants. Le Conseil Supérieur de l'éducation donne un avis consultatif et le ministre arrête le contenu du programme qui paraitra au journal officiel.

Alex J. URI- Peut-on dire que l'enseignement de la littérature reprend en général les grands classiques ? Y a-t-il eu une évolution et depuis quand?

Christine LARA .En 1792, on enseigne le français dans l’école élémentaire créée par la Convention. Trois ans plus tard, on professe le latin et la littérature dans les lycées pour les jeunes de onze ans. La littérature a souvent dépendu de la mission sociale ou politique de l’école : rejetée à cause des implications idéologiques des Lumières, remise au goût du jour après la guerre de 1870, où il est besoin d’encourager une forme de patriotisme. Les auteurs classiques sont alors les seuls étudiés. L’exercice canonique du discours latin centré sur la grammaire, les humanités, la rhétorique et la poésie laisse place à la composition française et à l’explication de textes français. Les textes officiels imposent une liste d’auteurs et de textes. Victor Duruy crée, par la loi du 21 juin 1865, l’enseignement spécial qui a pour but de préparer aux métiers du commerce et de l’industrie par l’enseignement de diverses disciplines dont la littérature. Il choisit un enseignement des lettres modernes se déroulant sur quatre années. La Littérature en langue française était donc à ses débuts. L’explication de textes mettait en valeur les auteurs sacralisés par les « plans d’étude », les bulletins administratifs et les textes officiels. Il y a donc eu une évolution sur plus d'un siècle et demi. Ensuite, il faut noter un changement des mentalités qui ouvre la porte à des ouvrages d'auteurs plus récents. On peut dès lors s'interroger sur la définition d'une œuvre classique. Est-ce celle que l'on étudie en classe ou celle qui appartient à un auteur reconnu? Depuis une dizaine d'années environ, de nombreux auteurs non classiques font partie des programmes de lettres du collège et du lycée. Sans doute depuis que la littérature de jeunesse a pris de l'importance dans l'enseignement des lettres. Il faut tout de même reconnaitre que les auteurs intégrés ont connu ou connaissent la notoriété, ont remporté des prix littéraires.


« Ce sont les enseignants de la Polynésie qui utilisent le plus d’auteurs de leur région »

Alex J. URI- Quels sont les enseignements que l'on peut tirer de l'étude que vous avez réalisée portant sur l'insertion dans les programmes scolaires de romans écrits par des originaires d'Outre-mer?

Christine Lara.-Dans mon ouvrage intitulé Pour une réception communo-cuturelle de la lecture, figure une enquête réalisée auprès d'enseignants de lettres des collectivités. J'ai constaté que si les enseignants d’outre-mer n’ont pas étudié d’œuvres des collectivités d’outre mer, lors de leur propre formation scolaire et universitaire, ils ont plus de réticences à enseigner cette littérature. Et si, de plus, ils n’ont pas rencontré de textes d’outre-mer lors de leur passage en IUFM, alors ils seront encore moins motivés par l’enseignement de ces textes. Mais j'ai noté que c’est encore dans les départements et territoires d’outre mer, que l’on enseigne le plus cette littérature ultra-marine : à l’école, au collège, au lycée, à l’université et à l’IUFM.
Quand on demande aux enseignants, quel pourcentage d’auteurs d’outre-mer ils utilisent avec leurs élèves, on remarque que ce n’est qu’un faible taux. : 15 % des enseignants déclarent utiliser 0% de textes d’outre mer ; 38 % entre 0% et 2% de textes d’outre-mer ; 35% des enseignants entre 2% et 5% ; 9% entre 5% et 10 % de textes d’outre-mer et 3% entre 10 et 25%. Les enseignants justifient ce peu d’intérêt pour les auteurs des collectivités en affirmant que le choix de textes est peu varié, que l’examen est la priorité, qu’ils ne savent pas si cette littérature est reconnue par les textes officiels. Ce sont les enseignants de la Polynésie qui utilisent le plus d’auteurs de leur région, sans doute parce qu’ils jouissent d’une liberté pédagogique accordée statutairement. Enfin, c’est aussi parce que toutes les œuvres d’outre-mer ne sont pas forcément adaptées à l’enseignement de la littérature en classe. Mais c’est aussi le cas de plusieurs œuvres d’auteurs métropolitains ou d’ailleurs. Pour toutes ces rasions, cette littérature fortement marquée par sa culture ultramarine est reléguée au quatrième plan, après la littérature classique, la littérature reconnue, la littérature étrangère. Que faudrait-il faire ? Ceux qui détiennent le pouvoir de faire évoluer le statut de la littérature d’outre-mer sont les concepteurs des programmes. Il n’est pas question de privilégier la littérature ultramarine par rapport à celle déjà établie, à celle classique, mais, comme cela commence à se faire, ajouter quelques ouvrages à la liste des œuvres conseillées et à celles données par les programmes, aux côtés des auteurs français, ceci officialisera cet enseignement qui met mal à l’aise de nombreux enseignants. Mais la littérature d’outre mer ne s’arrête pas à Césaire et Senghor, il y a des auteurs d’autres régions, dont la qualité d’écriture mérite une place dans la littérature contemporaine. Les écrivains de la Réunion, de la Polynésie, de la Nouvelle Calédonie, ne sont même pas conseillés dans les listes officielles. D’autre part, si aucun texte d’outre-mer ne tombe au baccalauréat, pourquoi les enseignements de première, risqueraient-ils de ne pas avoir le temps de voir et revoir les ouvrages et les auteurs réguliers des EAF ?
Ainsi, il faudrait que de temps en temps, au sein du corpus, on trouve au moins un texte ultramarin, sélectionné pour sa grande qualité et son apport culturel.

« Nous n’avons pas tous, été formés à enseigner la littérature d’outre mer »


Alex J. URI - Tout professeur peut-il enseigner la littérature d'outre-mer?

Christine LARA- Je n'en suis pas persuadée. Contrairement à ce que disent certains enseignants, certains textes, nous ne sommes pas formés à enseigner tous les textes puisque nous n’avons pas tous, été formés à enseigner la littérature d’outre mer, qui peut présenter des spécificités qu’il faut connaitre. Il faut être modeste, nous ne savons pas tout. Chaque littérature à ses spécificités et c’est aussi cela que l’on doit enseigner à nos élèves, l’originalité, la singularité de chaque œuvre. Enseigner un extrait d’un ouvrage de Chantal Spitz, n’est pas enseigner un extrait d’une œuvre d’Aimé Césaire. Chaque ouvrage répond à un environnement historique, culturel, socio-politique et intime. Ainsi, les enseignants devraient être formés à la littérature d’outre mer qui est fortement connotée, fortement culturelle. Cette préparation est à deux niveaux : un niveau culturel, connaissances des œuvres, qu’ils obtiendront dans le cadre d’études universitaires ou de la formations continue, mais aussi et surtout une formation pédagogique sur une méthodologie de l’enseignement de la littérature d’outre mer, qu’ils devraient trouver dans les IUFM, lors de la formation initiale mais aussi, en formation continue, surtout pour les enseignants de la métropole ou d’ailleurs, qui souhaitent faire cet effort. Une grande majorité d’enseignants réclament des stages de littérature d’outre mer, certes, il existe des facultés de lettres dans les collectivités où l’accent est mis sur cet aspect de la littérature, en métropole certaines universités proposent de la littérature d’outre mer et des écoles doctorales travaillent sur certains auteurs d’outre mer. Les stages de littérature sont proposés aux enseignants au sein des académies. Mais, en dépit de tout cela, la littérature d’outre mer reste marginale. Pourquoi ?

« C’est encore dans les départements et territoires d’outre-mer, que l’on enseigne le plus cette littérature ultra-marine »

Alex J. URI Comment garantir la qualité des œuvres choisies quand il s'agit de jeunes écrivains?
Christine LARA - C'est une question difficile. S'il s'agit de la qualité d'une œuvre que l'on veut utiliser en classe, d'autres critères seront exigés en plus de l'intérêt et de l'originalité du récit, du texte. Ces œuvres doivent présenter des spécificités remarquables et surtout être rédigées dans une syntaxe correcte permettant l'étude de la langue et du style de l'écrivain, présentant les caractéristiques d'un mouvement littéraire...enfin un œuvre permettant de préparer les élèves aux épreuves du bac. Mais il n'empêche que certains enseignants "osent" étudier des œuvres d'auteurs moins connus avec leurs élèves quand il ne s'agit pas de classe d'examen (classes de seconde, classes de collèges). Ainsi ils échappent aux contraintes des programmes. Pour garantir la qualité des œuvres, il y a un programme d'accompagnement, des listes établies par le ministère. Dans les collectivités d'outre mer, certains inspecteurs se sont engagés dans le long et fastidieux travail d'étude des ouvrages ultramarins afin d'établir une liste d'auteurs d'outre-mer que l'on peut étudier en classe car correspondant aux attentes de l'enseignement des lettres et des orientations officielles. Je sais qu'un travail de la sorte a été mené en Nouvelle-Calédonie, à la Guadeloupe et que des stages d'étude de la littérature d'outre mer sont mis en place à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Guyane pour ne citer que ces régions. En aval, il est important que les documents d’accompagnement ajoutent les œuvres de qualité de la littérature, de chaque collectivité, à leur liste, non limitative, et les autres étapes se mettront en place avec les chercheurs et les enseignants

Alex J. Uri -Que pouvez-vous souhaiter à cette littérature?

Christine LARA-Que cette littérature ne soit pas enfermée dans sa collectivité d’origine. Qu'elle figure dans les manuels scolaires, qu’elle soit enseignée en métropole, et dans les autres collectivités. Enfin, qu' elle se mêle à la littérature connue et reconnue, et pourquoi ne pas, avoir à son tour, des auteurs classiques, incontournables? Que le texte soit de sa région ou d’ailleurs, l’élève-lecteur se l’approprie. Pour Cogez, « la lecture est envisagée comme un déclencheur, un embrayeur d'attitudes, de comportements, d'idées, d'affects, etc.» et, le lecteur peut, «s'il le désire, y greffer son histoire ».


-Christine LARA écrit depuis l’âge de huit ans. «Petits poèmes d’enfant» comme elle se plaît à dire. Elle a remporté divers prix littéraires pour ses poèmes, à Nice, à la Guadeloupe, aux États-Unis, à Paris.
Christine Lara a enseigné le théâtre et la danse pendant plusieurs années. Docteur en sciences de l’éducation et chercheur en littérature et didactique, elle enseigne en lycée, à Bordeaux.
Christine LARA a publié trois manuels de français (co-auteur) chez Hachette Paris et un recueil de poèmes «Ames Océanes» disponibles chez les libraires et sur Internet. Elle écrit aussi bien des romans que des essais, du théâtre ou de la poésie. Issue d’une famille d’auteurs, elle se plie à son héritage avec bonheur.


-Alex J. URI est rédacteur en chef à la direction de l’information régionale à France Télévisions.

http://www.radioo.fr/​actualites/​il-faut-faire-evoluer-le-st​atut-de-la-litterature-dou​tre-mer-a-lecole_89015.htm​l

Rédigé par Alex Uri le Jeudi 15 Mars 2012 à 21:59 | Lu 2205 fois