Sylvain Petit est maître de conférences en sciences économiques à l'université de Polynésie française.
PAPEETE, le 20 juin 2018. Dans une tribune publiée sur un site internet s'adressant aux professionnels du tourisme, les maîtres de conférences en sciences économiques Sylvain Petit et Florent Venayre ont qualifié de "dangereux" pour le tourisme polynésien l'avis rendu par l'Autorité de la concurrence. "Quand on lit l'avis, on ne constate aucun souci. Il n'y a rien d'illégal", souligne Sylvain Petit. Le yield management est "une pratique non pas pour faire monter les prix mais pour optimiser la rentabilité des compagnies aériennes et des hôtels", souligne-t-il.
Sur le site internet lechotouristique.com, site d'actualité des professionnels du tourisme, Sylvain Petit et Florent Venayre, maîtres de conférences en sciences économiques à l'université de Polynésie française, ont écrit le 13 juin une tribune s'intitulant "Tahiti : le revers de la guerre des prix dans l’aérien". Mi-mai, l'Autorité polynésienne de la concurrence avait rendu un avis sur le transport aérien international. Dans cette tribune, les deux spécialistes avaient indiqué que cet avis est "potentiellement très dangereux pour (la) fragile reprise" de l’industrie touristique en Polynésie.
Pourquoi avez-vous qualifié de "dangereux" l'avis de l'Autorité de la concurrence pour la reprise du tourisme?
Sylvain Petit : "On a une reprise mais elle est très fragile. Evitons de ne pas être soudés et de taper inutilement. Quand on a regardé l'avis, on voit qu'il n'y a rien en substance alors que les conséquences sont énormes pour Air Tahiti Nui, Air France mais aussi, la destination Tahiti. Les touristes peuvent se dire 'on nous rançonne, on nous arnaque'. Non ce n'est pas vrai. Il y a un petit marché. Il y a deux opérateurs qui sont là, qui pratiquent tout ce que font les compagnies aériennes dans le monde, le yield management. Les hôtels le font aussi. On l'enseigne en licence. C'est une pratique non pas pour faire monter les prix mais pour optimiser la rentabilité des compagnies aériennes et des hôtels. Cela n'a rien de choquant."
Après l'annonce de l'arrivée de French Bee, Air Tahiti Nui et Air France ont baissé leurs prix. Dans votre tribune, vous écrivez : "Si, à court terme, la situation est sans doute attractive pour les touristes, l’équilibre n’est pas là et il faudra du temps pour stabiliser la situation et ajuster les prix". Vous pensez qu'à terme les prix vont inéluctablement augmenter de nouveau ?
"C'est fort probable. Peut-être pas au même niveau qu'avant l'arrivée de French Bee, mais il va y avoir une phase de tâtonnement. Sur le court terme, on est sur une phase très nette de baisse des prix mais on va avoir une phase de réajustement par la suite où cela remontera certainement. Donc, sur le long terme, les prix seront plus bas qu’il y a un an mais peut-être pas aussi bas que durant cette phase d’arrivée de French Bee que nous connaissons. Si on voit que la demande touristique baisse, pour une raison ou pour autre, les compagnies aériennes vont devoir continuer de faire baisser les prix pour attirer plus de demande. Si un opérateur s'avère être dans une phase difficile de rentabilité, il n'est pas garanti qu'on reste à quatre. Peut-être qu'on repassera à trois ou deux compagnies aériennes. Et là, les prix remonteront. French Bee a besoin de faire des prix très bas pour pénétrer le marché."
Quelle compagnie aérienne sera la plus susceptible de se retirer ?
"La compagnie Air Tahiti Nui a le soutien du Pays qui est important. Je la vois plutôt avoir une capacité de rester mais il est difficile de présager sur le long terme. La compagnie au tiare a beaucoup de chance car leurs Dreamliner arrivent en fin d'année. La compagnie aura un produit qui va bien se différencier. Sur ce marché, il n'y a pas que le prix qui compte. Si les produits sont identiques c'est celui qui aura le prix le plus bas qui remportera le marché. Mais si vous proposez des services différents, il n'y a pas que le prix qui compte dans les choix du consommateur. United va ainsi arriver avec une autre stratégie et avec un réseau que French Bee et qu'ATN n'ont pas et qu'Air France n'a pas au même niveau. Ils pourront avoir un produit qui sera très intéressant à observer.
A La Réunion, l'arrivée de French Bee il y a un an a eu un impact positif sur la fréquentation. En 2017, il y a eu plus de 550 000 visiteurs, une année record pour cette île avec une hausse de 9% par rapport à 2016. Pourquoi cela ne serait pas le cas ici ?
Oui, mais c'est récent encore. La Réunion, ce n'est pas la même masse de touristes. Il y a six compagnies. La concurrence est encore plus rude. Si on regarde la rentabilité des six compagnies, je ne serais pas étonné que l'une des compagnies déclare forfait bientôt.
Mais cette concurrence est saine, non ?
"Oui, bien sûr. C'est très sain pour tout le monde, pour les compagnies aériennes, pour la destination, les touristes… Ce qu'on veut dire c'est que si cette concurrence est saine, tout le monde doit être sur le même pied d'égalité.
La rentabilité d'ATN et d'Air France sur cette ligne est fragile. Cela va obliger ces compagnies en proposant des billets moins chers à réduire leurs coûts."
La publication de l'avis de l'Autorité de la concurrence a coïncidé avec l'arrivée du premier vol de French Bee. Dans cette tribune, vous parlez de "communication orchestrée". Qu'entendez-vous par là ?
"On ne pense pas qu'une autorité administrative indépendante doit rentrer dans une campagne de communication alors qu'elle a un travail très important à faire. On a eu l'impression que cela a plus été une campagne de communication de sa part qu'un travail de fond expliquant qu'il y avait un problème dans le secteur aérien. Quand on lit l'avis, on ne constate aucun souci il n'y a rien d'illégal sauf qu'à la fin il y a des accusés. Et la concurrence risque d’être faussée."
Les voyageurs ont pourtant l'impression qu'il y a une entente entre les compagnies aériennes car les prix sont souvent similaires ?
"C'est un effet de concurrence. Si vous en avez un qui fait des prix plus bas et qu’ils proposent un niveau de qualité similaire, il remportera tout le marché. Donc si un premier baisse les prix, les autres vont suivre. Cela ne veut pas dire qu'avant l’arrivée de French Bee ils faisaient des prix trop élevés, ils vont devoir innover pour chercher le même niveau de rentabilité alors qu'ils auront des recettes moyennes inférieures. Les prix dépendent des structures de marché. Les différences de prix entre les quatre compagnies ne seront pas importantes, vous verrez. Et ça ne veut pas dire qu’il y aura une entente entre les quatre.
Ce qui serait super c'est qu'il y ait une forme de produit touristique du Pacifique, proposé par une compagnie aérienne, qui se développe, où la Polynésie serait dedans. Je ne pense pas que la Polynésie soit en concurrence très forte avec les autres destinations du Pacifique. La Polynésie est plus en concurrence avec les Maldives, les Seychelles, les destinations de l'océan Indien. Il peut y avoir plus de complémentarité avec les destinations du Pacifique, ce qui induirait des économies d’échelle. Il faut que les pouvoirs publics donnent l'envie de se lancer mais ensuite c'est aux entreprises de se lancer."
Sur le site internet lechotouristique.com, site d'actualité des professionnels du tourisme, Sylvain Petit et Florent Venayre, maîtres de conférences en sciences économiques à l'université de Polynésie française, ont écrit le 13 juin une tribune s'intitulant "Tahiti : le revers de la guerre des prix dans l’aérien". Mi-mai, l'Autorité polynésienne de la concurrence avait rendu un avis sur le transport aérien international. Dans cette tribune, les deux spécialistes avaient indiqué que cet avis est "potentiellement très dangereux pour (la) fragile reprise" de l’industrie touristique en Polynésie.
Pourquoi avez-vous qualifié de "dangereux" l'avis de l'Autorité de la concurrence pour la reprise du tourisme?
Sylvain Petit : "On a une reprise mais elle est très fragile. Evitons de ne pas être soudés et de taper inutilement. Quand on a regardé l'avis, on voit qu'il n'y a rien en substance alors que les conséquences sont énormes pour Air Tahiti Nui, Air France mais aussi, la destination Tahiti. Les touristes peuvent se dire 'on nous rançonne, on nous arnaque'. Non ce n'est pas vrai. Il y a un petit marché. Il y a deux opérateurs qui sont là, qui pratiquent tout ce que font les compagnies aériennes dans le monde, le yield management. Les hôtels le font aussi. On l'enseigne en licence. C'est une pratique non pas pour faire monter les prix mais pour optimiser la rentabilité des compagnies aériennes et des hôtels. Cela n'a rien de choquant."
Après l'annonce de l'arrivée de French Bee, Air Tahiti Nui et Air France ont baissé leurs prix. Dans votre tribune, vous écrivez : "Si, à court terme, la situation est sans doute attractive pour les touristes, l’équilibre n’est pas là et il faudra du temps pour stabiliser la situation et ajuster les prix". Vous pensez qu'à terme les prix vont inéluctablement augmenter de nouveau ?
"C'est fort probable. Peut-être pas au même niveau qu'avant l'arrivée de French Bee, mais il va y avoir une phase de tâtonnement. Sur le court terme, on est sur une phase très nette de baisse des prix mais on va avoir une phase de réajustement par la suite où cela remontera certainement. Donc, sur le long terme, les prix seront plus bas qu’il y a un an mais peut-être pas aussi bas que durant cette phase d’arrivée de French Bee que nous connaissons. Si on voit que la demande touristique baisse, pour une raison ou pour autre, les compagnies aériennes vont devoir continuer de faire baisser les prix pour attirer plus de demande. Si un opérateur s'avère être dans une phase difficile de rentabilité, il n'est pas garanti qu'on reste à quatre. Peut-être qu'on repassera à trois ou deux compagnies aériennes. Et là, les prix remonteront. French Bee a besoin de faire des prix très bas pour pénétrer le marché."
Quelle compagnie aérienne sera la plus susceptible de se retirer ?
"La compagnie Air Tahiti Nui a le soutien du Pays qui est important. Je la vois plutôt avoir une capacité de rester mais il est difficile de présager sur le long terme. La compagnie au tiare a beaucoup de chance car leurs Dreamliner arrivent en fin d'année. La compagnie aura un produit qui va bien se différencier. Sur ce marché, il n'y a pas que le prix qui compte. Si les produits sont identiques c'est celui qui aura le prix le plus bas qui remportera le marché. Mais si vous proposez des services différents, il n'y a pas que le prix qui compte dans les choix du consommateur. United va ainsi arriver avec une autre stratégie et avec un réseau que French Bee et qu'ATN n'ont pas et qu'Air France n'a pas au même niveau. Ils pourront avoir un produit qui sera très intéressant à observer.
A La Réunion, l'arrivée de French Bee il y a un an a eu un impact positif sur la fréquentation. En 2017, il y a eu plus de 550 000 visiteurs, une année record pour cette île avec une hausse de 9% par rapport à 2016. Pourquoi cela ne serait pas le cas ici ?
Oui, mais c'est récent encore. La Réunion, ce n'est pas la même masse de touristes. Il y a six compagnies. La concurrence est encore plus rude. Si on regarde la rentabilité des six compagnies, je ne serais pas étonné que l'une des compagnies déclare forfait bientôt.
Mais cette concurrence est saine, non ?
"Oui, bien sûr. C'est très sain pour tout le monde, pour les compagnies aériennes, pour la destination, les touristes… Ce qu'on veut dire c'est que si cette concurrence est saine, tout le monde doit être sur le même pied d'égalité.
La rentabilité d'ATN et d'Air France sur cette ligne est fragile. Cela va obliger ces compagnies en proposant des billets moins chers à réduire leurs coûts."
La publication de l'avis de l'Autorité de la concurrence a coïncidé avec l'arrivée du premier vol de French Bee. Dans cette tribune, vous parlez de "communication orchestrée". Qu'entendez-vous par là ?
"On ne pense pas qu'une autorité administrative indépendante doit rentrer dans une campagne de communication alors qu'elle a un travail très important à faire. On a eu l'impression que cela a plus été une campagne de communication de sa part qu'un travail de fond expliquant qu'il y avait un problème dans le secteur aérien. Quand on lit l'avis, on ne constate aucun souci il n'y a rien d'illégal sauf qu'à la fin il y a des accusés. Et la concurrence risque d’être faussée."
Les voyageurs ont pourtant l'impression qu'il y a une entente entre les compagnies aériennes car les prix sont souvent similaires ?
"C'est un effet de concurrence. Si vous en avez un qui fait des prix plus bas et qu’ils proposent un niveau de qualité similaire, il remportera tout le marché. Donc si un premier baisse les prix, les autres vont suivre. Cela ne veut pas dire qu'avant l’arrivée de French Bee ils faisaient des prix trop élevés, ils vont devoir innover pour chercher le même niveau de rentabilité alors qu'ils auront des recettes moyennes inférieures. Les prix dépendent des structures de marché. Les différences de prix entre les quatre compagnies ne seront pas importantes, vous verrez. Et ça ne veut pas dire qu’il y aura une entente entre les quatre.
Ce qui serait super c'est qu'il y ait une forme de produit touristique du Pacifique, proposé par une compagnie aérienne, qui se développe, où la Polynésie serait dedans. Je ne pense pas que la Polynésie soit en concurrence très forte avec les autres destinations du Pacifique. La Polynésie est plus en concurrence avec les Maldives, les Seychelles, les destinations de l'océan Indien. Il peut y avoir plus de complémentarité avec les destinations du Pacifique, ce qui induirait des économies d’échelle. Il faut que les pouvoirs publics donnent l'envie de se lancer mais ensuite c'est aux entreprises de se lancer."