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Le trafic de drogue s'invite sur Facebook


Dans le cadre de l'opération Mataī Rorofa'i, 20 individus liés au trafic de drogue sur internet ont été mis en cause et trois pages Facebook ont été fermées. Crédit photo : Gendarmerie de Polynésie française.
Dans le cadre de l'opération Mataī Rorofa'i, 20 individus liés au trafic de drogue sur internet ont été mis en cause et trois pages Facebook ont été fermées. Crédit photo : Gendarmerie de Polynésie française.
Tahiti, le 17 février 2025 – Le jeu du chat et de la souris entre dealers et forces de l'ordre s’étend désormais au terrain numérique. Face à l’essor du trafic de drogue en ligne, notamment sur Facebook, la gendarmerie traque les revendeurs à travers des enquêtes sous pseudonyme et le repérage des adresses IP. Depuis le 1er février, sous l’impulsion de sa brigade de cybercriminalité, trois pages Facebook dédiées à la revente de stupéfiants, rassemblant plus de 4 000 membres, ont été fermées.
 
“On voit toute une partie du trafic de stupéfiants se déporter de l'espace physique à l'espace numérique (...) c'est un nouvel usage qui tend à se développer sur le territoire”, alerte le colonel Grégoire Demezon, commandant de la gendarmerie pour la Polynésie française. Un phénomène que les forces de l'ordre ont constaté de plein fouet lors de l'opération antistupéfiants “Mataī Rorofa'i”, menée du 1er au 15 février.
 
Le bilan est conséquent, avec la fermeture de trois pages Facebook, qui comptaient au total plus de 4 000 membres. Un chiffre qui en dit long sur l'ampleur du trafic en ligne, lequel semble progressivement supplanter les traditionnels points de vente physiques. Là où les revendeurs hélaient les clients à grand renfort de “stick mille, boîte cinq mille”, aujourd'hui, un simple clic suffit.
 
Marketplace, nouvel eldorado du deal
 
“C'est principalement sur Facebook, via Marketplace, que la vente s'organise. On y trouve majoritairement du cannabis, mais aussi, plus rarement, de l'ice et de l'ecstasy”, explique le colonel Demezon pour Tahiti Infos. Cette migration vers le numérique s'explique par un facteur essentiel : l'anonymat. “Les acheteurs s'exposent moins qu'en se rendant sur un point de deal physique, où ils doivent se montrer et s'afficher. Sur internet, ils peuvent régler leur consommation de manière quasiment anonyme”, souligne-t-il.
 
Autre avantage pour les dealers : la capacité de ces pages à regrouper un grand nombre de clients potentiels tout en “agrégeant les dealers”. Ces espaces virtuels fonctionnent comme des places de marché clandestines, où l'offre et la demande se croisent en toute discrétion.
 

Le colonel Grégoire Demezon, commandant de la gendarmerie en Polynésie française. Crédit photo : Thibault Segalard.
Le colonel Grégoire Demezon, commandant de la gendarmerie en Polynésie française. Crédit photo : Thibault Segalard.
La gendarmerie traque les dealers du web
 
Face à cette digitalisation du trafic, la riposte s'organise. À ce jour, la gendarmerie polynésienne dispose de 40 officiers de police judiciaire formés à la cybercriminalité, dont deux enquêteurs spécialisés constituant une unité dédiée. “Ils détectent les sites où s'effectuent les transactions et mènent des enquêtes sous pseudo, encadrées par le code de procédure pénale”, détaille le commandant de la gendarmerie. Une fois les réseaux identifiés et le trafic avéré, l'étape suivante consiste à traquer les administrateurs des pages et les plus gros revendeurs, notamment via leur adresse IP.
 
Contrairement aux craintes d'un vaste réseau mafieux organisé, la réalité semble plus fragmentée. “La plupart du temps, il ne s'agit pas de gros réseaux, mais d'une multitude de petits revendeurs. Cependant, on constate que le trafic de cannabis alimente souvent celui de l'ice. Le cannabis sert de tremplin, de marchepied vers une activité plus lucrative et rentable”, précise le colonel Demezon. Si tous les petits dealers ne se lancent pas dans la vente de d'ice, la “porosité” entre ces deux trafics reste un enjeu majeur pour la gendarmerie.
 
20 interpellations et trois pages fermées
 
Dans le cadre de l'opération Mataī Rorofa'i, 20 individus liés au trafic de drogue sur internet ont été mis en cause et trois pages Facebook ont été fermées. Une fois les suspects interpellés, la gendarmerie procède aux auditions afin de les confronter aux preuves collectées. Les dossiers sont ensuite transmis à la justice. C'est le parquet qui décidera des poursuites à engager, en fonction de l'ampleur des infractions constatées.
 
La fermeture des pages illicites, elle, passe par la plateforme Pharos, gérée par la direction centrale de la police judiciaire. Cette interface permet aux forces de l'ordre de signaler directement à Facebook les contenus illégaux, afin de demander leur suppression. Une procédure qui, si elle permet d'éradiquer les pages les plus visibles, n'empêche pas de nouvelles plateformes de se créer. “On harcèle les points de deal internet comme nous le faisons pour ceux de la rue. Car quand on ferme un point de deal, un autre rouvre trois rues plus loin. C'est pareil sur internet. Alors il faut taper tout le temps et rentrer dans une logique de harcèlement.”
 
Face à cette mutation du trafic de drogue, les forces de l'ordre doivent donc s'adapter. La cyberbrigade de la gendarmerie polynésienne pourrait ainsi voir ses effectifs augmenter. “On aura besoin, à terme, de plus d'enquêteurs si le contentieux se déplace autant sur internet”, anticipe le colonel Demezon.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Lundi 17 Février 2025 à 19:30 | Lu 4720 fois