Le tourisme de luxe et de l'ultraluxe fait de la résistance


Tahiti, le 11 janvier 2021 - Destination refuge pour les consommateurs de tourisme de luxe, la Polynésie semble tirer son épingle du jeu sur ce segment-là. Une valeur sûre qui permet de limiter la casse selon le ministère du Tourisme, sans pour autant compenser l'impact global de la crise.

Paris Hilton, Kim Kardashian, Kanye West ou Jack Dorsey, le fondateur de Twitter. Alors que l'effondrement des taux d'occupation dans les palaces de l'Hexagone marque une année cauchemardesque pour le tourisme de luxe tricolore, la Polynésie semble résister sur ce segment-là, visiteurs de marque à l'appui. Des touristes immensément fortunés, qui ont très peu de contacts avec la population, et qui ne regardent pas à la dépense avec des retombées intéressantes à la clé (lire encadré). "Depuis la reprise de l’activité touristique, le 15 juillet dernier, nous remarquons la résilience du segment du luxe et ultra-luxe" souligne le ministère du Tourisme.

Meilleure destination de luxe pour la deuxième année consécutive aux Travvy Awards –équivalent de l'Academy awards pour l'industrie du voyage– la Polynésie enregistre 171 atterrissages d’aviation d'affaires en 2020 selon Aéroport de Tahiti (ADT), qui note également une prolongation de séjour, avec une "forte concentration" mi-juillet, contre 140 à 150 d'habitude. Une hausse certes timide, mais encourageante, à laquelle s'ajoute la visite remarquée cette année de nombreux superyachts. Si aujourd'hui une vingtaine de ces navires naviguent dans nos eaux, en 2020, près de 60 yachts ont défilé au port de Papeete, contre 40 à 50 en moyenne chaque année selon les chiffres du ministère.

Les États-Unis, premier marché émetteur de touristes de luxe

​C'est le cas de Anna, yacht personnel du milliardaire russe Dmitry Rybolovlev, mais aussi de l'Andromeda, mégayacht d'expédition, de Dragonfly, de Sense, ou plus récemment du Lonian de Lorenzo Fertitta, homme d’affaires américain. Des bateaux de luxe qui embarquent parfois des passagers arrivés en jet privé, avec une durée d’escale en légère augmentation. "Beaucoup de navires se sont dirigés vers la Polynésie à l’ouverture des frontières aériennes" abonde Hironui Johnston, en charge des transports internationaux au ministère du Tourisme. À cette époque la Polynésie peut encore se targuer d'être "Covid free", d'où l'affluence en juillet de visiteurs notamment américains –premier marché émetteur de touristes de luxe– fuyant alors le chaos de leur pays en proie à l'épidémie.

De quoi conforter les dernières tendances migratoires relevées par Tahiti tourisme, faisant état d'une certaine "lassitude de la part des propriétaires et clients charters pour les destinations traditionnelles telles que la Méditerranée et les Caraïbes qui connaissent une forte concentration de superyachts". La destination "Tahiti et ses îles" jouirait ainsi d'une réputation "hors des sentiers battus". Une tendance qui serait toujours d'actualité estime le ministère du Tourisme.

"Luxe de l’éloignement, de la tranquillité et du privé"

Car si les restrictions appliquées au littoral méditerranéen et aux ports caribéens ont fait de la place sur l'eau, elles laissent peu de marges de manœuvre aux navires de plaisance. "Beaucoup d'îles aux Caraïbes ou de pays méditerranéens ont complètement fermé, ils ne peuvent pas beaucoup circuler" rappelle Hironui Johnston. Si la Polynésie n'a toujours pas rouvert ses frontières maritimes, les yachts n'ont pas de difficulté à obtenir des dérogations, notamment parce qu'ils passent plus de temps en mer et qu'ils sont peu nombreux à bord. Ce qui leur ouvre ensuite les portes d'un terrain de jeu grand comme l'Europe.

"Au-delà du luxe lié au prestige, c’est également le luxe de l’éloignement, de la tranquillité et du privé" argumente le conseiller technique. De quoi "renforcer l’image d’une destination où la distanciation physique est facile à mettre en œuvre." Des atouts sur lesquels Tahiti Tourisme tente de capitaliser, à grand renfort de promotion du "Slow Tourism", ou de l'art de prendre son temps, et donc de rester plus longtemps. "La situation sanitaire mondiale poussera encore davantage la clientèle haut de gamme à rechercher un type de destination dite exclusive" indique le ministère qui table pour 2021 sur un maintien de cette clientèle.

Avec moins de 300 000 visiteurs fin 2019, la Polynésie veut donc se positionner comme une "destination refuge, préservée du tourisme de masse" par opposition à des destinations comme Hawaii, fait encore valoir le ministère.

"La résilience du segment du luxe permet, d'une certaine manière, de limiter les pertes subies par les opérateurs, cependant, il ne compensera pas l'impact global sur la fréquentation touristique de nos îles, pondère cependant Nicole Bouteau, ministre du Tourisme. Ce segment de luxe se concentre sur quelques îles (Tahiti, Moorea, Tetiaroa et Bora Bora) et sur un nombre d'opérateurs spécialisés. C'est la raison pour laquelle nous continuons de travailler sur la diversification de nos marchés/segments ainsi que celle de notre offre".

Une valeur sûre, mais pas forcément durable

Thierry Brovelli, co-président du conseil des professionnels de l'hôtellerie (CPH) rejoint le ministère sur ce point. "La Polynésie étant quand même réputée plus safe, il est fort possible au niveau du Brando, que nous ayons reçu plus de gens en jet privé en 2020 que sur les autres années." Pas de quoi influer sensiblement non plus sur les chiffres du CPH qui regroupe les 25 plus gros hôtels de Polynésie. En effet, les chiffres du ministère du Tourisme –en attente de consolidation– font état d'un taux d’occupation moyen des hôtels 5 étoiles "au-dessus de la moyenne des autres catégories d’hôtel."

Mais si la pandémie n'est pas favorable au tourisme populaire, "le tourisme de luxe n'est pas non plus une garantie d'une bonne santé de l'environnement" nuance Sylvain Petit, économiste spécialisé dans le tourisme. "C'est un secteur refuge, une valeur sûre qui permet de limiter la casse en temps de crise, il ne s'inscrit pas forcément dans un tourisme durable." Notamment parce qu'il a tendance à négliger les "retombées sociales".

Le ministère du Tourisme l'a bien compris et rappelle que "le développement du segment du luxe ou de l’hyper luxe n’est pas en opposition avec notre stratégie de développer les autres types d’hébergements proposés par la destination, tels que la petite hôtellerie familiale ou les meublés du tourisme, puisque ces derniers sont totalement complémentaires." Le ministère souligne également que cette clientèle consomme au passage des séjours en location saisonnière ou en charter nautique, "des secteurs dans lesquels nous pouvons retrouver des produits très hauts de gamme."

Des hôtels pur luxe bien représentés

Ils consomment généralement du 5 étoiles sur Bora Bora et chartérisent des jet privés : si les États-Unis sont le premier marché émetteur de touriste de luxe, "les riches viennent de tous les marchés" indique le ministère du Tourisme. Or, un hôtel de luxe 5 étoiles emploie en moyenne cinq personnes pour une chambre, avec des retombées économiques qui représentent 5 à 10 fois les dépenses moyennes d’un touriste lambda selon le ministère.

"C’est aussi au travers d’établissements de luxe à forte identité que la promotion, la notoriété et la reprise se font, car les marques hôtelières internationales veulent être présentes sur des destinations d’exception", argumente Hironui Johnston. Selon le cabinet de conseil en hôtellerie Hospitality ON, les marques Marriott International, Hilton Hotels & Resorts, InterContinental Hotels Groups ou encore AccorHotels, figurent dans le top 10 du classement mondial des groupes hôteliers en 2020.

Autant de marques présentes sur Tahiti, Moorea et Bora Bora, auxquelles s'ajoute la marque Relais & Châteaux à Taha’a. Ainsi la destination comptabilise huit 5 étoiles et neuf 4 étoiles. L’île de Bora Bora regroupant la crème du haut de gamme.
Mais la destination a également diversifié son offre d’hébergement de luxe avec les éco-resort comme le Brando à Tetiaroa et s'ouvre désormais aux villas de luxe. Nouvelle catégorie d'hébergement, ces "résidences privatives d’exception" s'adressent à une clientèle en quête de "vacances dans l'anonymat".

Enfin, de nouveaux porteurs ont récemment affiché leurs ambitions, à l'instar de Joël Allain et des trois projets hôteliers pour les îles de Bora Bora, Tahiti et Tahaa pour un total d'environ 200 clés. "La confiance des porteurs de projet et des investisseurs traduit le potentiel de développement de la destination dans ce segment, poursuit le conseiller technique. Nous en avons rencontré d'autres, comme Lindblad Expeditions qui s'est montré satisfait de la gestion de la crise. Les riches vont là où on les laisse tranquilles, et aujourd'hui, le protocole sanitaire de la Polynésie rassure. Il inspire d'ailleurs des voisins comme Hawaii et Fidji qui commencent à rouvrir leurs frontières".

La grande plaisance : 3,6 milliards de retombées annuelles

Si en termes d’effectif annuel, les navires de luxe n’ont généré en moyenne que 1 200 visiteurs, les retombées sont de l'ordre de 3 millions de Fcfp par visiteur, contre 270 000 Fcfp pour un touriste classique selon une étude sur la grande plaisance menée par Tahiti tourisme. Ainsi, les superyachts permettent d'injecter environ 3,6 milliards de francs par an dans l'économie.
Au premier poste de leurs dépenses hebdomadaires, on retrouve le transport aérien, suivi du carburant, du shopping, des denrées alimentaires, des dîners à terre, de l’approvisionnement pour les membres d’équipage, des transports terrestres ou encore de l’entretien du navire. Les résultats cumules de 2015 à 2018 s’élèvent à environ 15 milliards de Fcfp.

Rédigé par Esther Cunéo le Mardi 12 Janvier 2021 à 04:00 | Lu 5827 fois