“Le sujet de ces élections, ce n'est pas l'autonomie ou l'indépendance”


Tahiti, le 24 avril 2023 – La tête de liste et la présidente en cas de victoire du A Here ia Porinetia, Nuihau Laurey et Nicole Sanquer, répondent aux questions de Tahiti Infos sur le programme du parti vert et blanc avant le second tour des élections territoriales. Réforme des institutions, fiscalité ou encore évolution statutaire au menu…
 
Avez-vous été ré-approchés pour participer à “l'union autonomiste” depuis la semaine dernière ?

Nicole Sanquer : “Non. Comme expliqué en début de semaine, nous avons eu cette rencontre avec Gaston Flosse et par respect nous sommes allés l’écouter. Et il s’agissait pour ce second tour d'une plateforme contre le Tavini et contre le Tapura. Le seul regret que nous avions, c’est que les discussions se sont orientées uniquement vers un partage du gâteau en cas de victoire, la liste à l’assemblée et le gouvernement et pas du tout sur un projet de société qu’on pouvait proposer aux Polynésiens. Donc nous n’avons pas donné suite. (…) Ensuite nous avons rencontré vendredi, à sa demande, Teva Rohfritsch accompagné de deux de ses colistiers pour parler, par contre, du projet A Here ia Porinetia. Parce que pendant ce premier tour, nous avons vu que les programmes de Ia Ora te Nuna'a et de A Here ia Porinetia ne sont pas identiques mais se rejoignent sur plusieurs points. Je sais qu’il doit rencontrer son conseil politique et peut-être prendre une décision finale.”
 
Vous n'allez donc pas faire “barrage aux autonomistes” ?

NS : “Dans ces élections on veut biaiser le débat. C'est-à-dire l'orienter vers un combat autonomiste-indépendantiste alors qu'aujourd'hui le sujet phare de ces élections c'est le quotidien des Polynésiens, l'inflation, le coût de la vie, les problèmes de l'emploi… Ce système qui est finalement très politisé, et que ressentent aujourd'hui les Polynésiens, crée des inégalités et des injustices. C'est cela le vrai sujet de ces élections et ce n'est pas l'autonomie ou l'indépendance. Quand on regarde bien, même les indépendantistes ont évolué sur ce point là et prônent une indépendance, on va dire préparée, voire dans une échéance de 15 à 20 ans avec un référendum qui sera proposé aux Polynésiens. Finalement, cette alliance est venue remontrer ce que la population rejette depuis quelque temps, des alliances d'opportunisme pour garder le pouvoir à tout prix. Et on en vient balayer les projets de société proposés par l'un ou par l'autre. Donc nous nous sommes contents aujourd'hui de continuer l'aventure seuls.”
 
Au Tavini, il est prévu qu'un poste ministériel soit confié à l'opposition. Est-ce que cela pourrait être vous, Nuihau Laurey ?

Nuihau Laurey : “J'ai déjà répondu à cette question sur plusieurs plateaux en disant que nous faisions campagne pour un programme avec des mesures qui sont claires et précises. En aucun cas, nous ne voyons de similitudes avec le programme du Tavini. J'ai répondu clairement à cette question. Ma réponse est non (...). Le programme du Tavini est quand même très flou sur beaucoup de choses et notamment sur la participation de l'État au fonctionnement de notre Pays. Ce sont 200 milliards chaque année qui sont versés et qui permettent de bénéficier de service éducatif de qualité, de la santé, des investissements des communes. Si on retire 200 milliards de cette équation, cela nous donne une chute économique sans précédent. Et sur ce point le Tavini a toujours été flou. (…)”
 
NS : “Certains disent aussi que voter vert, c'est voter Tavini. C'est juste de la désinformation. Nous avons un projet, nouveau et innovant pour les Polynésiens (...). On a l'impression que dans ce Pays, depuis les dernières élections, on entraîne la population à voter contre quelqu'un. Voter contre le Tapura pendant les législatives et aujourd'hui voter contre le Tavini et l'indépendance. Finalement, on occulte tous les problèmes qui intéressent les Polynésiens et surtout on perd sa capacité à voter librement. C’est ce genre de campagne qu’on voit sur les réseaux sociaux avec énormément de fake news que nous déplorons. Ce sont les élections territoriales les plus importantes, car c’est aujourd'hui que le changement doit se produire et il faut bien faire attention aux projets que chaque parti propose”.
 
La question géopolitique, avec la situation de la Polynésie dans un Pacifique sous tension, est absente de la campagne. Pourquoi selon vous ?

NL : “C'est vrai qu'à l'occasion de ces tensions entre la Chine et les États-Unis, on se rappelle que la France est la deuxième puissance maritime au monde grâce à la zone économique exclusive de la Polynésie. Sur ce point, on voit effectivement à quel point on serait minuscule si la France n'était pas à la manœuvre. (…) Nous disons que nous constituons un atout et une richesse pour la France. C'est pour cela que le sujet de notre développement doit être un sujet important pour la Métropole. On se pose aussi la question ce que veut l'État dans ses collectivités d'outre-mer ? Je pense que la France n'a plus de vision pour l'outre-mer et c'est là que l'autonomie doit être encore plus forte et qu'on doit affirmer autre chose que ce qu'Édouard Fritch nous propose aujourd'hui. Finalement, on continue comme avant. C'est-à-dire que dès qu’il y a un problème, on va mendier à Paris. (…) Il y a un vrai sujet du changement du modèle économique et surtout le changement de ces élus qui font perdurer ce système dans lequel il y a une partie de la population qui est maintenue dans l'assistanat parce qu'elle constitue un réservoir de voix pour les élections avec du clientélisme, de la distribution de faire OPH, de matériaux de construction, de CAE… C'est ce système qui ne marche plus.”
 
L'environnement est également le grand absent de cette campagne, malgré l'urgence climatique. Pourquoi ce n'est pas davantage inscrit dans l'agenda politique ?

NL : “Nous, on l'a fait. Certains n'ont pas bien compris la teneur de ces engagements que nous prenons. Notamment obliger, dans tous les actes législatifs et réglementaires, à ce que le Pays mette en place des mesures pour évaluer les impacts de tous les projets sur l'environnement, avec la mise en œuvre de mesures compensatoires. Ça change radicalement les choses qu'il y ait une nécessité de continuer dans la prévention, dans l'information pour que les personnes elles-mêmes changent leurs comportements. Il faut que la puissance publique s'astreigne à respecter ces restrictions environnementales. Après, il ne faut pas être hypocrite non plus dans ce domaine. Nous sommes éminemment petits. On peut même arrêter de produire de l'électricité et d'utiliser des voitures. Mais cela va peser 0,00% des dégagements à effet de serre… La vraie question sur ce sujet, c’est de savoir si la Chine et les États-Unis vont accepter de baisser leur dégagement de CO2 ? La COP21 qui était censée nous amener vers un futur resplendissant, finalement n'a pas aussi bien marché. Le Président Macron est souvent mis à défaut sur ce sujet, y compris dans ses déplacements à l'étranger. Donc il ne faut pas être hypocrite, mais ça ne doit pas non plus nous empêcher de poursuivre sur le plan énergétique. On est déjà à 40% de production électrique verte. Il faut dépasser les 50% et développer l'hydroélectricité et le solaire dans les îles. C'est sur ces points-là qu'on peut faire plus d'efforts.”
 
On a un objectif à 75% d'EnR en 2030 qui semble inatteignable. Est-ce possible d'avoir une transition énergétique rapide et qui avance ?

NL : “C’est tout à fait possible mais il ne faut pas se tromper (...). Il faut poursuivre les investissements hydroélectriques. Ça ne veut pas dire : installer des barrages dans toutes les vallées. Il n'y en a qu'une ou deux qu'on doit sélectionner pour nous permettre de dépasser les 50%. Et il faut continuer à développer le solaire. Car autant sur les entreprises il y a eu beaucoup d'investissements compte-tenu de la défiscalisation, autant peu de particuliers se sont équipés de ces systèmes malgré les subventions mises en place en 2014. C'est sur ces deux domaines qu’on peut améliorer les choses (...) et c'est tout à fait faisable.”
 
Il y a un vaste volet institutionnel dans votre programme avec la réduction du nombre d'élus, la limitation et l'incompatibilité des mandats, le recours au référendum ou la réduction des dépenses publiques. Ce sont des mesures populaires, mais est-ce qu'elles ne sont pas aussi un peu populistes ou démagogiques ?

NS : “Nous avons bien compris que pour changer ce Pays, il faut passer par le changement du système politique. Cela fait 30 à 40 ans qu'on a toujours les mêmes élus avec des engagements non tenus et avec le même système très politisé qui oublie finalement le quotidien des Polynésiens et qui instaure une certaine soumission de la population et des maires. C'est tout ce système qu'il faut changer, car sur le plan du développement économique on n'avance pas (...). Donc la limitation des mandats à deux, ce n'est pas un gadget. C'est vraiment pour oxygéner cette vie politique et faire comprendre que s'engager en politique, c'est s'engager pour sa population. On n'en fait pas un métier. On est tenu de rendre des comptes. On veut instaurer plus de transparence sur la gestion des deniers publics et cela passe par le changement du système politique.”
 
NL : “Pour la limitation des mandats, ça existe dans beaucoup de Pays au monde. Et dans certains Pays, c'est un mandat. Pour l'incompatibilité, elle existe au niveau de l'État depuis 2011. On ne peut exercer deux fonctions exécutives dans deux assemblées différentes et bénéficier des décisions qu'on prend dans l'une (...). Le référendum est utilisé dans beaucoup de Pays qui utilisent même ces dispositifs pour valider ou non des lois. Donc ce n'est pas du tout démagogique. C'est contraire à la politique menée dans ce Pays depuis 40 ans. Et c'est plus de démocratie participative. C'est réconcilier les électeurs avec leurs gouvernants, à travers des mesures qui disent une chose : Ce n'est pas parce qu'on a voté pour vous qu'on va valider tout ce que vous décidez pendant une mandature. C'est ce qui s'est passé avec le Tapura pour la non-exemplarité : le mariage, l'obligation vaccinale qu'ils n'ont pas respectée.”
 
Votre programme économique évoque plusieurs mesures fiscales, quelles sont-elles et quel est leur objectif ?

NL : “Le premier point, c'est sur la taxe sociale. Pour nous, c'est une taxe tout sauf sociale, car elle frappe davantage les revenus les plus modestes. En 2015, une étude sur la consommation des ménages à montré que pour les revenus les plus modestes l'alimentation représentait 40% du budget des familles. Aujourd'hui, avec l'inflation et l'augmentation des taxes, cela doit être à 60-70% du budget. Ce qui veut dire que, pour beaucoup de familles polynésiennes, le sujet c'est comment manger ? La première mesure que nous proposons, c'est la suppression de cette taxe sociale. Rappelons que le Tapura considérait que, sans cette taxe sociale, il n'y aurait plus de moni ru'au, plus d'allocations familiales, que le Pays allait s'effondrer. Finalement, le même président dit : je vais baisser la taxe sociale et à la fin de l'année je vais la remplacer par un autre impôt. Mais votez d'abord pour moi et après je vais vous dire lequel.”
 
Comment trouvez-vous les 8 à 9 milliards que génère cette taxe ?

NL : “Si je reprends la rhétorique du gouvernement, il y avait un déficit de 9 milliards. Et le gouvernement a dit que dès qu'on solderait ce déficit, on supprimerait la taxe sociale. Si on se réfère à la volonté initiale du gouvernement, c'est fait. Ensuite est-ce que vous pensez que c'est en créant une taxe qu'on résout les problèmes du déficit de l'assurance maladie ? Une taxe ne résout pas un problème. La résolution du déficit de l'assurance maladie, c'est le changement des pratiques, des comportements. Ça passe par une politique de sensibilisation, l'accompagnement thérapeutique, une gestion plus précise de toutes ces pathologies (...). Le deuxième volet, c'est la fiscalité pour les entreprises. Entreprendre ici, c'est très compliqué. Il faut passer dans “X” administrations et attendre des mois et des mois en fournissant des papiers et des papiers. Nous voulons changer ce système en digitalisant et en simplifiant. Sur le plan fiscal, nous souhaitons passer le seuil d'imposition des TPE de 5 millions à 50 millions. Et faire en sorte que pour plus de la moitié des TPE et PME, la fiscalité ne devienne plus un sujet. Suppression de la patente, suppression de la CST sur les non-salariés et suppression de l'impôt sur les transactions. Cela veut dire pour ce tissu économique majoritaire dans notre Pays : faites, investissez, créez des emplois, prenez des initiatives ! C'est cela, la mesure phare que nous proposons. Une deuxième mesure toute aussi importante est le changement radical de l'utilisation du système de défiscalisation. Moins d'impôts, c'est très bien. Mais dans un certain nombre de domaines. Il faut aussi accompagner l'agriculture et la pêche. Pas accompagner uniquement les grandes structures qui bénéficient déjà d'une domination économique qui les rend incontournables. (…)”
 
Y a-t-il dans votre programme une évolution statutaire globale à prévoir sur les relations entre la Polynésie et la métropole ?

NL : “Il y a une fâcheuse tendance, à chaque élection pour les partis politique, à dire qu'il faut passer par la réforme statutaire. Comme si cela allait résoudre tous les problèmes qui sont déjà de la compétence du Pays : la fiscalité, l’économie, la protection sociale, la santé… Tout cela, ce sont des compétences du Pays. Il faut les utiliser de manière différente. Nous proposons un ajustement sur la mandature. Bien sûr, il y a la réduction du nombre de représentants, la modification de la loi électorale pour limiter à deux mandats. Nous parlons aussi, comme d’autres, de la citoyenneté polynésienne. A titre individuel, c’est quand même une chance dans ce Pays d’être en même temps Polynésien et Français. C'est-à-dire d’avoir bénéficié du système éducatif et de santé d’un grand Pays et d’avoir un passeport européen. On a une triple appartenance et pour nous c’est un enrichissement individuel. Ce n’est pas une source de frustration. C’est pour cela que nous proposons une modification, pas seulement de la loi statutaire, mais de la loi constitutionnelle. Quand le train de mesures viendra pour la Calédonie notamment. Ceci pour dire, à l’instar de la Calédonie, ne faudrait-il pas une citoyenneté polynésienne pour clarifier les sujets de la protection de l’emploi local, de la protection du foncier, de notre développement et éventuellement de la mise en place, comme certains le pensent, d’un référendum dans 15-20 ans. Il faut avoir une relation apaisée avec l’État sur le sujet de l’évolution institutionnelle de la Polynésie. C’est ce que nous disons dans notre programme.”
 
La question du référendum devra donc être posée un jour selon-vous ?

NL : “C’est prématuré. Ce n’est pas le moment de la poser. Mais l'idée de poser cette question va se faire jour, dans les années qui viennent. Avant de poser cette question, il faut faire évoluer notre système économique et politique pour que cette question vaille le coup d’être posée. Aujourd’hui, franchement, la réponse est dans la question. Passer à l’indépendance maintenant, cela veut dire perdre la moitié de nos ressources et tomber dans une forme de misère dans certains domaines. Donc elle n’a pas à être posée. On doit préparer cette question d’ici un nombre d’années qui va dépendre de notre capacité à développer notre économie.”
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Lundi 24 Avril 2023 à 21:43 | Lu 3440 fois