Le subtil poker menteur de l'UPLD à l’Assemblée


L’UPLD tire le meilleur profit de la division des autonomistes à l’Assemblée de la Polynésie française.
PAPEETE, 3 juillet 2015 – La dernière séance de la session administrative semble porter les ferments d’une redoutable instabilité, à quelques semaines de l’ouverture de la session budgétaire, à l’Assemblée de la Polynésie française. A moins qu'il ne s'agisse d'une démonstration de l'habileté de l'UPLD à tirer profit de l'actuelle division du camp autonomiste.

Jeudi, le gouvernement s’est fait prendre de court quand le Tahoeraa, immédiatement appuyé par l’UPLD, a demandé, avec 33 voix contre 24, le report de l’étude du texte sur la convention avec la CRE. Surprise d’autant plus grande que ce texte était a priori anodin puisqu’il s’inscrit dans le cadre de la recherche de la modification de la formule tarifaire, avec l'objectif de faire baisser le prix de l’électricité : un objectif partagé par tous les groupes.

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Alors que l’UPLD s’était gardé jusque là, en s’abstenant, de jouer l’arbitre entre les groupes Tahoera’a et Tapura, jeudi, sur ce cas particulier, le groupe souverainiste est venu soutenir la position du Tahoera’a. Cela pose question au sujet d’une possible convergence de vue. Sur ce point, Antony Géros, le président du groupe UPLD, réfute : "Il ne faut pas exagérer dans la façon de raisonner sur ce genre de choses : on s'entend très bien avec les jaunes, comme avec les orange de la chorale de gauche ou de droite. De là à aller penser que, parce qu'on nous a vu marcher ensemble, l'on est en train de comploter quelque chose… On est dans l'opposition : on garde notre liberté".

Mais, vendredi : rebelote. A l’ordre du jour, la délibération portant délégation à la Commission permanente. Cette délégation fixe les textes que devront examiner les 21 élus qui assurent la veille législative, à Tarahoi, pendant l’intersession en attendant septembre prochain et l’ouverture de la session budgétaire. Le vote de cette délibération aura demandé 4 heures de difficiles tractations.

En commission législative, il y a une quinzaine de jours lors de la préparation de la sixième et dernière séance de la session administrative, le gouvernement avait déposé un amendement pour modifier la liste des textes à déléguer à la Commission permanente, en incluant un nombre important de dossiers nouveaux, mais pas encore transmis à l’Assemblée. La démarche est habituelle : dans les deux mois et demi qui viennent, l’exécutif va devoir transmettre des projets de délibération qui ont un caractère d’urgence. Devant l’importance des nouveaux textes à inscrire, le Tahoera’a avait alors demandé à ce que l’amendement soit étudié en conférence des présidents afin que tous les groupes de l’APF se concertent pour établir une liste consensuelle. L’UPLD s’était alors rangé à cet avis. Mais vendredi 26 juin, lors de la réunion de la conférence des présidents qui devait fixer l’ordre du jour de cette dernière séance, le Tahoera’a et l’UPLD ont estimé que cette concertation était superflue et que cela pourrait se jouer en séance plénière. Nouvelle convergence de vues ?

Poker menteur

Le fait est que ce vendredi, en séance plénière, le groupe Tahoera’a avait préparé un amendement, pour soumettre à l’avis de la Commission permanente la création d’une commission d’enquête chargée entre autres de surveiller la réforme de la fiscalité communale et de celle de la PSG, deux thèmes actuellement à l’étude... L’UPLD s’est d'abord joint à ce projet d’amendement avant de se rétracter dans l'après midi. "On a eu connaissance, à la mi-journée, que le groupe Tahoera’a avait l’intention de déposer un amendement et on s’y est joint pour proposer l’inscription d’un projet de résolution pour soutenir la demande d’inscription de Taputapuatea à l’Unesco. Il y avait une fenêtre de tir. Nous sommes dans l’opposition. On en a profité", justifie simplement Antony Géros.

D’évidence pourtant, l’UPLD avait connaissance de la teneur de l’amendement initial du Tahoera’a, avant de demander l’addition de son texte. Il y a donc une convergence de moyens, même si le projet n’était signé que par Alice Tinorua (Tahoera'a), alors que, s’agissant d’un amendement commun, il aurait dû l’être par les deux groupes.
Mais, l’UPLD aurait aussi pu présenter son propre amendement sans crainte, concernant Taputatuatea, puisque cette démarche est également soutenue par Thomas Moutame, le représentant-maire Tahoera'a de la commune où est édifié ce site archéologique à Raiatea, et qu'elle a fait l’objet d’un accord de principe du président Fritch.

La question se pose alors de savoir pourquoi l’UPLD envisageait initialement de soutenir l’amendement global du Tahoera’a, dont la création de la fameuse commission d’enquête, qu’il ne pouvait ignorer. Pourquoi, si ce n’est à la demande du Tahoera’a ? Car dans le subtil bras de fer (finies les déclarations tapageuses) qui s’organise dorénavant entre pro-Flosse – pour ne pas dire Gaston Flosse – et pro-Fritch, que peut faire une commission chargée d’enquêter sur des réformes qui sont encore à l’étude, si ce n’est, par un habile renversement fonctionnel, forcer la teneur de celles-ci en s’appuyant sur la compétence législative de l’Assemblée ?

Face à la menace, pour trouver un terrain d'entente les groupes Tapura et A Tia Porinetia ont demandé à rencontrer l’UPLD, lors d'une suspension de séance vendredi après midi. A l’issue de cette réunion, l’UPLD n’avait pas encore pris de position ferme, au sujet de la commission d’enquête. Antony Géros a demandé à se concerter avec le président du Tavini, absent de l'Assemblée. Mais pourquoi se concerter avec Oscar Temaru à propos d’un texte soutenu par le Tahoera’a et dont l’UPLD prétend n’avoir eu connaissance qu’au dernier moment ?

L’UPLD s’est, en fin de comptes, désolidarisé. Compte tenu de la situation, on peut penser que finalement Oscar Temaru est resté sur une ligne médiane. Le soutien du projet de création d’une commission d’enquête aurait mis en lumière une nouvelle convergence de vue et finalement un peu trop servi les intérêts de Gaston Flosse. L’UPLD a donc accepté de reporter l’étude de ce texte à une séance plénière à venir, le temps de profiter encore un peu des avantages de la division du camp autonomiste, à l’Assemblée. Et peut-être de faire grimper les enchères vis-à-vis du Vieux Lion.

Et on voit bien au fond qu’Oscar Temaru est prêt à utiliser Gaston Flosse qui croit lui-même pouvoir manipuler Oscar Temaru pour parvenir à ses fins. C’est comme au poker : celui qui bluffe le mieux, gagne. Oscar a déjà démontré son art dans ce jeu-là.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Vendredi 3 Juillet 2015 à 21:55 | Lu 4708 fois