Le statut d'autonomie modifié par la loi de moralisation de la vie politique


L'Assemblée a très largement voté en première lecture le 29 juillet les projets de loi pour la moralisation de la vie politique. (Photo : AFP).
PAPEETE, 31 juillet 2017 - Plusieurs articles du statut d'autonomie sont en passe d'être modifiés d'office pour permettre l'application en Polynésie française des dispositions des projets de loi sur la "moralisation de la vie politique". Fallait-il, "par principe", que les représentants polynésiens aient été consultés au préalable pour avis ?

Des courriers ont été adressés mercredi dernier par Marcel Tuihani aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, et à la ministre des Outre-mer, pour souligner ce manque de considération. Ils restent pour l’instant lettres mortes. Une telle consultation est prévue, en vertu de l’article 74 de la Constitution et par l’article 9 du statut d’autonomie, fait-il observer, afin que "le débat susceptible de naître de cette consultation puisse s’instaurer comme un élément utile à une saine réflexion sur l’action publique".

Il n'en fallait pas moins pour stimuler la mystérieuse antenne locale du mouvement macroniste : "S’opposer par principe à la moralisation de la vie publique en Polynésie ! Cela est possible et la démonstration en est faite par la Sénatrice Tapura Lana Tetuanui ainsi que par Marcel Tuihani président ex-Tahoeraa de l’Assemblée de la Polynésie française", interpelle dimanche soir une lettre signée Heimana Garbet et transmise à la presse par l’antenne locale du mouvement La République en Marche. "(…) On n’est pas ancien soutien de François Fillon et de Marine Le Pen par hasard ; En Polynésie on peut s’opposer aux principes de la moralisation de la vie publique, par principe…", conclut la missive.

La réaction de Marcel Tuihani ne s’est pas fait attendre. "Lana Tetuanui m’a fait part des amendements évoqués en commission des lois, en début de semaine dernière", explique le président de l'assemblée, lundi matin. "La question est celle des bonnes relations dans le fonctionnement réciproque des institutions. J’estime pour ma part que Paris aurait dû nous consulter avant d’introduire les dispositions qui étendent l’application de ce projet de loi à la Polynésie française". Aussi s’étonne-t-il lundi que "sa démarche, qui a pour seul objet de veiller au bon respect des procédures qui encadrent l’extension à la Polynésie française de dispositions nationales, soit interprétée comme une volonté de 's’émouvoir de cette moralisation qui ne lui convient pas'. Aucun des courriers que le président de l’Assemblée de la Polynésie française a envoyés à Paris n’autorise à déduire une telle conclusion", fait-il remarquer dans une communication diffusée en fin de matinée. "Quant au commentaire politique qui l’accompagne, il est totalement gratuit, nul et non avenu. Le communiqué de la 'République En Marche Polynésie' montre que la moralisation de la vie politique commence d’abord par ne pas faire dire aux autres ce qu’ils n’ont pas dit".

Mais la question de fond reste entière, derrière cette passe d’arme. Fallait-il ou non consulter l’assemblée de la Polynésie française ? La procédure accélérée mise en œuvre pour l’adoption de ces projets de loi et, surtout, l’introduction par amendement des mesures d’extension à la Polynésie française de certaines des dispositions du projet de loi organique pour la "moralisation de la vie politique", semblent permettre au processus législatif de s’affranchir d’une consultation pour avis de Tarahoi. Une particularité que déplorait déjà la semaine dernière la sénatrice Lana Tetuanui, en admettant que "sur le fonds, les nouvelles dispositions étendues à la Polynésie française dans son ensemble (…) s’inscrivent dans la logique des évolutions voulues par le gouvernement central en matière de transparence de la vie publique".

Sur la question de la régularité du volet organique de la procédure législative, en dernier ressort le Conseil constitutionnel sera saisi pour validation et ne manquera pas de retoquer les aspects jugés irréguliers.

En attendant, le projet de loi pour la moralisation de la vie politique est encore en cours d’étude au Parlement. Il a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, en fin de semaine dernière à Paris. Il est maintenant sur le bureau de la commission mixte paritaire. Si un consensus était obtenu dans les prochains jours devant l’instance, le texte serait présenté pour adoption définitive devant l’Assemblée nationale. Sinon, les éléments nouveaux éventuellement introduits dans la rédaction de ce projet de loi devraient encore être présentés devant l’Assemblée nationale et le Sénat. Il reste encore une place pour le débat, même s’il y a peu de chances pour que l’extension à la Polynésie de ces dispositions soit retoquée in fine par le Parlement.

Quels changements dans les habitudes locales ?

L'Assemblée a très largement voté en première lecture le 29 juillet les projets de loi pour la confiance dans la vie politique. Retour les principales mesures adoptées qui concerneront les élus de Polynésie française, si le texte est définitivement validé :

- Les articles 86, 129 du statut d’autonomie de la Polynésie française sont modifiés pour interdire au président de la Polynésie française, aux autres membres du gouvernement, ainsi qu’au président de l’assemblée de la Polynésie française, de compter parmi les membres de leur cabinet : 1° Leur conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin ; 2° Leurs parents ou les parents de leur conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin ; 3° Leurs enfants ou les enfants de leur conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin. En cas de manquement, les intéressés doivent en informer sans tarder la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Le non-respect de ces dispositions expose à une peine de trois ans d’emprisonnement et de 5,37 millions Fcfp d’amende (45 000 euros). Cette interdiction ne concerne pas les représentants de l'assemblée de la Polynésie française.

- Les articles 111 et 112 du statut d’autonomie sont complétés pour interdire aux représentants de l’assemblée d’exercer une activité de conseil "même non rémunérée", ou d’acquérir le contrôle d’une société, d’une entreprise ou d’un organisme dont l’activité consiste principalement dans la fourniture de prestations de conseils, "à compter du premier renouvellement de l’assemblée à laquelle il appartient suivant le 1er janvier 2019".

- Interdiction pour les parlementaires, les maires ou élus municipaux d’embaucher un membre de leur famille comme collaborateur.

- La réserve parlementaire est supprimée progressivement d'ici 2024. Elle permet aux parlementaire de disposer chaque année d'une enveloppe de 140 000 euros pour aider les association ou collectivités locales. Son emploi est rendu public.

- Transformation de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Jusqu'alors, les députés percevaient une enveloppe pour frais de mandat de 641 171 Fcfp net mensuels (5.373 euros), les sénateurs de 729 120 Fcfp (6.110 euros). Celle-ci est remplacée par une prise en charge directe, le remboursement se faisant sur présentation de justificatifs ou le versement d'une avance. Les modalités de contrôle seront déterminées par les bureaux de l’Assemblée et du Sénat.

- Instauration d’une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité en cas de crimes ou de manquements à la probité applicable à l’ensemble des élections.

- Création d’une "banque de la démocratie" pour faciliter l'accession au crédit des formations politiques ne disposant pas de trésorerie suffisante pour financer leurs campagnes électorales, et création d’un "médiateur du crédit" pour faciliter le dialogue entre banques, candidats et partis.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 31 Juillet 2017 à 13:32 | Lu 4388 fois