Le souffle vital de O Tahiti E a enchanté To'atā


PAPEETE, le 18 juillet 2019 - Pari réussi pour la troupe de Marguerite Lai qui repart avec le grand prix de Madeleine Mou'a. Tere'ori de Taina Tinirauarii remporte le prix Gille Hollande et Tamarii Mataiea est le grand vainqueur du Tumu Ra'i Fenua. Retour sur cette édition avec son lot de surprises, mais aussi de déceptions.

Il est près de 22h30, mercredi, quand les derniers résultats tombent. Il y a des heureux, il y a des déçus, mais tous sont heureux d'être montés sur la scène de To'atā cette année.

Après, deux semaines de concours, c'est finalement O Tahiti E qui est le grand vainqueur en hura tau. Il devance ainsi les troupes Hitireva et Tamari'i Mataiea. Cette année, pour l'écriture de son thème, la troupe de Marguerite Lai a fait appel aux connaissances de Jean-Claude Teriierooiterai, et c'est tant mieux, puisqu'il repart avec le prix du meilleur auteur. Pour ce spectacle, Jean-Claude a décidé de mettre en avant "le grand souffle de la vie transmis grâce au 'aepau". "Le aho nūnui, le grand souffle de la vie légué par l’ancêtre, transmis sans interruption, est ainsi enrichi à chaque génération."

Dès le début du spectacle de O Tahiti E, les spectateurs sont plongés dans l'ambiance. Le silence est demandé, et le souffle des danseurs se fait alors entendre : magique ! Pas un bruit pendant près de dix minutes. Le silence règne sur To'atā, les danseurs s'approprient la scène et offrent au public et aux membres du jury un numéro qui nous emporte.

Pas de chichis, les danseuses sont très légèrement maquillées. Les visages sont fermés et la gestuelle fait partie intégrante de cette première partie du spectacle. Vient ensuite le temps de la gaieté, de l'amour… À travers ce spectacle, on comprend que ce rituel ne peut être pris à la légère, c'est un don que l'on remet à une personne de confiance, qui arrivera à perpétuer cette tradition.

Autre partie qui séduit les cœurs, le 'aparima 'āmui, dans lequel la jeune héritière Terita rencontre l'amour de sa vie. Un 'aparima qui a été composé par Tenania Temataua, superbe mélodie qui vient englober le végétal porté par les danseurs et danseuses.

O Tahiti E a tapé fort cette année, la troupe a remporté en tout cinq prix.

Hitireva se hisse à la seconde place en hura tau, avec quatre autres titres en poche. Malgré la beauté de son spectacle, Kehaulani Chanquy finit deuxième. Cette année, la troupe a mis en avant Tupaia, navigateur polynésien qui transmet son savoir à son neveu, Taiata. Plusieurs tableaux, tous aussi dynamiques les uns que les autres, ont ainsi été préparés. Ce qui était vraiment impressionnant lors du passage de Hitireva, c'est le nombre de danseurs présents sur la scène, une centaine de filles et autant pour les garçons, ce qui a permis de faire plusieurs petits groupes par tableau. Du travail de pro, certes, mais cela n'a pas suffi pour remporter les faveurs du jury.

À la troisième place, Tamari'i Mataiea. Après les critiques reçues au sujet de son thème, quelques jours plus tôt, la troupe des Teva a plu au jury. Une belle revanche pour essuyer toutes les critiques.

En hura ava tau, Tere'ori cartonne

Pour une première, Tere'ori obtient le fameux sésame qui lui permet d'accéder à la catégorie supérieure pour les prochaines éditions du Heiva i Tahiti. Ses hīmene ont fait la différence et ont touché les cœurs des membres du jury.

Pour son thème, Tere'ori s'est rapproché de Mike Teissier, expert en chants traditionnels. Celui-ci a raconté l'histoire de Hoturoa, un 'aito de Papara.

Le groupe de Moorea, Heihere arrive à la seconde place avec son thème relatant les valeurs du fara (pandanus). L'arc-en-ciel de Hura Mai arrive en troisième position.

Cette année, les spectacles présentés par les groupes en hura ava tau sont diverses, mais à notre niveau, aucun ne nous a vraiment emporté. Sûrement dû aux nombreux costumes tombés parterre… Quoi qu'il en soit, le trio gagnant mérite sa place et, par cette victoire, Tere'ori vient ainsi casser les codes en présentant un spectacle sans choristes, seules les voix des musiciens et des chanteurs ont résonné le 11 juillet sur la scène de To'atā. Autre élément nouveau, les hīmene qui ont pris possession de leur spectacle : juste magnifique et agréable à entendre. Pari réussi pour l'auteur qui nous disait dans l'interview qu'il nous avait accordé la semaine dernière : "Si les danseurs ne viennent pas au chant, eh bien, c'est à nous à aller vers eux". C'est tout à fait cela Mike Teissier. Votre recette a eu l'effet attendu, et cela vous a conduit sur la plus haute marche du podium. Un exemple qui, nous en sommes sûrs, portera ses fruits dans les années à venir.

Le meilleur danseur, un sacré phénomène

Il se prénomme Pai Amo et il nous vient de Moorea. Élu meilleur danseur du Heiva i Tahiti 2019, le jeune homme a conquis le cœur du jury et du public, le 13 juillet. Son entrée à fait sensation, son pā'oti nu'u tīfene a juste émerveillé le public. Sa prestance, en général, était quasi-parfaite et ce qui était remarquable également, c'était son sourire qui ne l'a jamais quitté du début à la fin. Il donnait l'impression d'exécuter sa prestation avec légèreté et sans encombres.

Le titre de la meilleure danseuse revient à Matatini Mou, de Hitireva. Une danseuse professionnelle avec un fa'arapu sensationnel.

De beaux costumes cette année encore

Comme chaque année, le public ou plutôt les amateurs de "mode" attendent avec impatience de découvrir les créations de chaque groupe. Et pour cette nouvelle édition, le niveau était intéressant. Toahiva, par exemple, a présenté un costume rouge et noir original. Mais le titre est revenu au groupe Pupu Tuha'a Pae. Le professionnalisme de Vetea Toatiti n'est plus à démontrer. La finesse de son travail est à nouveau récompensé, puisqu'il obtient le prix du meilleur costume Hura Nui 
(en more).

Pour le costume végétal, c'est celui de Heihere qui a remporté les faveurs du jury. Fait avec les feuilles de pandanus blanches et vertes et son fruit, ce costume en forme de cœur était tout simplement bien pensé.

En orchestre, la troupe de Toahiva repart avec le premier prix en "orchestre création". Un prix bien mérité et on se rappelle encore de la prestation de ces musiciens qui ont chanté avec leurs tripes, en présentant également une chorégraphie. Un régal.

Pour l'orchestre patrimoine, Heihere a reçu les faveurs du jury.

Tamarii Mataiea, magistrale en chant

Et de deux pour Tamarii Mataiea ! Ce groupe de chant remporte le grand prix Tumu Ra'i Fenua, pour la deuxième année consécutive.

Avec quatre prix en poche, Tamarii Mataiea a récolté le plus grand nombre de points. Il a notamment remporté les deux premiers prix en 'ūtē, puis le second prix en tārava tahiti. Une prestation qui mérite d'être saluée. Cette année, la troupe a mis en avant le tiurai d'antan et ses festivités. Un point d'honneur est d'ailleurs donné à son 'ūtē paripari, qui nous a fait frissonner.

Autres groupes, habitués des premiers prix, O Faa'a, qui est le grand gagnant en tārava raromata'i devant Tamarii Mahina et Natiara. Tamanui Apato'a no Papara repart, lui, avec le premier prix en tārava tuha'a pae, devant Pupu Tuha'a Pae et Tamari'i Tuha'a Pae no Mahina. Grande surprise, par contre, en tārava tahiti, avec la victoire de Tamari'i Pane Ora de Papara. Pour une première participation, Tiarenui Conroy a porté son groupe sur la plus haute marche du podium, avec son hommage à sa mère Morohi Vahine.

Le plus beau rū'au est celui de Tamanui Apato'a no Papara, qui vantait la beauté du raufara, feuilles de pandanus qui font vivre plusieurs familles de Rimatara.

Le prix du meilleur auteur a été décerné à Te Noha no Rotui.

Une belle édition, mais…

Cette année, 28 groupes étaient en lice, dont 15 en chant et 13 en danse. Tous ont présenté de beaux spectacles, même si quelques erreurs et maladresses ont été perçues, avec des grimaces par-ci parce que les gestes n'étaient pas bien appris, ou encore ces fleurs, par-là, qui laissent apparaître le soutien-gorge, ou encore ces tenues végétales qui lâchent, petit à petit... dévoilant quelques paires de fesses.

Durant nos tournées avec les groupes, alors que nous faisions leur portrait et que nous présentions leur thème, nous avons été troublés par leur interprétation des couleurs... En effet, comment une couleur peut représenter autant de chose et certains chorégraphes ont eu des idées assez étonnantes... comme "le rouge, avec le 'ōpuhi, pour représenter la pluie", ou encore "le blanc pour le ciel". Et cette année, la couleur jaune en a pris pour son grade. Si pour certains le jaune représente la sagesse, eh bien pour d'autres, cette couleur représente l'orgueil, etc. Ce serait bien que la maison de la Culture, organisateur de l'événement, mette en place un code couleur unique qui servira à tous les groupes, afin que tout le monde aille dans le même sens.

Teva i Tai repart bredouille

Enfin, s'il y a bien un groupe qui nous avait séduits et qui est reparti finalement bredouille, c'est Teva i Tai. Malgré la dynamique de leur spectacle, leur bonne étoile ne les a pas aidés. Pourtant, le thème était intéressant, avec cette urgence à ramener notre jeunesse sur le droit chemin, pour éviter que notre culture ne se perde.

Un message fort et qui revient, chaque année, mais la particularité du spectacle de Teva i Tai est cet espoir que la troupe lance, à la fin, à travers son Matarii i ni'a, période d'abondance, où tout est en fleurs.

Un spectacle qui peut nous laisser croire que rien n'est perdu et que si chacun y mettait du sien, notre culture demeurera à jamais.
Chaque année, il y a des gagnants et tout le reste, parce qu'au final, il n'y a jamais de perdants au Heiva i Tahiti. Il n'y a que des personnes qui sont passionnées par ce qu'elles font. Des personnes qui font vivre notre culture et, où la langue prend toute sa place. Merci à tous ces artistes, merci pour ce temps donné à notre patrimoine. Comme le disait Marguerite Lai, mercredi soir : "Nous sommes prêts à évoluer, mais attention à l'évolution."

Nō reira, tē hina'aro nei au e ha'apōpou maita'i ia 'outou te mau ti'a ato'a tei ha'a nō te Heiva i Tahiti i te mau matahiti ato'a. 'Aua'e 'outou i ruperupe ai tō tatou hīro'a. 'Ia heiva te Heiva.

La parole aux membres du jury

Mama Iopa
Présidente du jury

"Chacun a mis son expérience au service de notre culture"


"Je suis heureuse parce qu'au sein du jury, il y avait ce respect entre chaque individu. Quand un donne son avis, les autres écoutent. Ensuite, les autres donnent leurs avis pour construire et non pour détruire. Au final, tout le monde est d'accord. C'était vraiment une équipe qui travaillait ensemble, chacun a mis son expérience au service de notre culture. Je remercie vraiment mes collègues.
Certes, la tâche n'a pas été de tout repos pour décerner tel prix à untel, c'est comme cela dans tous les concours. Mais lorsque nous avons un jury qui échange et partage son savoir pour aider ou faire avancer, ça ne peut être que positif. L'année prochaine, le ministre voudrait que je reste au sein du jury. Donc, on verra bien d'ici là."



Victor Teriitahi
Expert en danse

"L'année prochaine, je reviendrai sur le devant de la scène"


"Je voudrai encourager les groupes à revenir sur la scène, parce que c'est notre patrimoine. Il ne faut pas que cela disparaisse. L'année prochaine, je reviendrai sur le devant de la scène."


Mirose Paia
Experte en écriture

"Les membres du jury ont pris leur décision collégialement"


"Je voudrai remercier tous les groupes, tous les auteurs, les compositeurs, les orchestres, les 'ōrero… tous ceux qui ont œuvré pour ce heiva. Tout le monde s'est donné à fond et je voudrai vraiment les remercier.

Concernant l'écriture des thèmes, je suis émue. On peut dire que notre langue est toujours présente et on voit dans les textes qu'il y a cette âme que je souligne souvent. J'ai été touchée par ce que j'ai pu voir cette année.

Nous avons fait notre devoir en ce qui concerne la vérification de l'origine des thèmes qui nous ont été proposés. Les membres du jury ont pris leur décision collégialement."


Edwin Teheiura
Expert en chant

"J'ai beaucoup appris"


"Cette année, nous n'avons pas attribué de prix pour le meilleur compositeur en chant, parce qu'au niveau du rū'au, la plupart des sonorités qui existent sont anciens. Nous nous sommes concertés, et on sait dit que, dans le 'ōte'a, par exemple, on impose aux groupes de composer, alors que dans le rū'au, ce n'est pas le cas. Ils gardent ce qui est traditionnel. Pour nous, ce n'était pas logique de décerner un prix compositeur dans le rū'au.

À part cela, je trouve que c'était un bon heiva. J'ai beaucoup appris et j'ai apprécié l'attitude du jury et tout ce qu'il y avait par rapport aux fiches de notation, au règlement. C'est un bilan positif pour moi, si je venais à remonter sur la scène de To'atā."




Rédigé par Corinne Tehetia le Jeudi 18 Juillet 2019 à 19:21 | Lu 2277 fois