Le septième art toujours aussi attractif en Polynésie


Le nombre de spectateur dans les salles obscures de Tahiti reste stable depuis une quinzaine d'années. Crédit photo : Majestic Tahiti.
Tahiti, le 21 mars 2023 – Si en France et dans le monde, la fréquentation des salles obscures baisse depuis une quinzaine d'années, en Polynésie le nombre de places vendues reste stable. Une situation liée notamment au prix des tickets, qui n'a pas subi le même choc inflationniste qu'en Métropole et aux propriétaires des cinémas, qui souhaitent continuer à faire vivre le 7e art à Tahiti.
 
En France et partout dans le monde, la fréquentation des salles obscures tends à baisser. Même si les chiffres remontent, après l'épisode douloureux du Covid-19, qui a contraint les cinémas à fermer leurs portes, les ventes de tickets ont tendance à baisser depuis une quinzaine d'année dans le monde. En Polynésie, si on observe un changement de comportement des spectateurs, la fréquentation reste stable. En effet, les dirigeants des cinémas locaux ont constaté un phénomène intéressant et apparemment solide dans l’attitude du grand public vis-à-vis des cinémas : désormais, les visiteurs cherchent une véritable expérience dans les salles de projections et non plus un simple visionnage. “Ils viennent pour voir des films qu'ils ne veulent pas voir dans leur salon. Ils viennent passer un moment, que ce soit en famille ou entre amis, pour s'évader, loin de leur portable. Le public veut désormais une vraie expérience ; c'est un moment, une sortie ; la concurrence des plateformes en ligne [type Netflix ou Amazon Prime, NDLR] a changé la manière dont les gens voient le cinéma, selon moi”, explique à Tahiti Infos, le directeur de Pacific Films, Bryan Hickson, qui gère les salles Hollywood et Liberty à Papeete.

Bryan Hickson, le gérant de Pacific Films depuis sept ans, dans l'une des salles du Liberty. Crédit photo : Thibault Segalard.
Mais si la vision du public a changé, les spectateurs eux sont toujours aux rendez-vous. “La chute de la fréquentation n'est pas si importante ici. On a retrouvé notre niveau d'avant Covid. Et on s'est rendu compte qu'il y avait une vraie demande et envie des gens. Ils ont envie de venir au ciné. Les jeunes veulent venir voir leur film d'horreur lors de nos nuits de l'horreur”, poursuit Bryan Hickson. “Chez nous, ça a même augmenté par rapport à l'avant pandémie : l'an passé, on a dépassé notre score de 2019. Mais, en effet, l'envie des gens s'essouffle plus rapidement. La fréquentation est très forte pendant les premières semaines de diffusion d'un film, puis se réduit fortement. Mais on a toujours autant de monde”, complète de son côté Steve Handerson, le patron du Majestic, l'emblématique cinéma de Mama'o que tenait ses grands-parents à l'époque du Mamao Palace. Pour les chiffres, en 2023, les deux gérants s'accordent sur le même total : 280 000 visiteurs sur l'année et sur l'ensemble des salles de projection de Tahiti, la seule île de Polynésie où des cinémas sont implantés.
 
Tickets abordables
 
Mais si la fréquentation se maintient à un niveau permettant aux deux patrons de d’avoir une activité rentable, c'est, selon Steve Handerson, grâce au gel du prix du ticket. “Nos prix sont au même tarif depuis 2011. On veut rester attractif”, assure-t-il. En effet, si en France le coût des places à flambé, en augmentant de 20% au cours de la dernière décennie, en Polynésie, ces prix restent abordables, et oscillent entre 1 000 et 1 500 francs (pour des films en 3D). “C'est vrai que nous n'avons pas subi le choc inflationniste qui a eu lieu en France. À Pacific Films, nous avons même baissé nos prix depuis la pandémie, pour continuer à attirer des spectateurs”, indique Bryan Hickson, dont la famille détient la maison mère de la société, en Nouvelle-Calédonie. “Notre objectif, c'est que les gens puissent continuer à venir.”

Le prix d'une place de cinéma n'a pas augmenté depuis 2011 au Majestic et a même baissé il y a deux ans dans les salles Liberty et Hollywood. Crédit photo : Majestic Tahiti.
D'autant que les frais supportés par les cinémas polynésiens ne sont pas moins importants qu'en Métropole. “On a les salaires des employés, l'électricité qui est chère ici, les droits musicaux, mais aussi les réparations, car quand on fait venir un technicien, on doit lui payer l'avion et l'hôtel. Et puis surtout, nous n'avons aucune aide ni subvention comme peuvent avoir les cinémas de l'Hexagone”, déplore le gérant de Pacific Films. Des frais auxquels s'ajoutent bien sûr les sommes dépensées pour s'octroyer les droits de diffusions des films, qui peuvent être très dispendieuses, notamment pour les blockbusters américains.
 
Place à la concurrence
 
En effet, les coûts pour la diffusion des films à l’affiche sont “très variables”, explique Bryan Hickson : “Ça change selon le mode de fonctionnement. Soit on prend un film au forfait, c’est-à-dire qu'on achète les droits pendant une durée définie. Mais on prend des risques : c'est un pari, car il faut faire plus d'argent que ce que ça nous aura coûté ; soit – et c'est ce qui se fait le plus désormais – c'est le système au pourcentage. Là, c'est une négociation entre les producteurs et nous pour le partage des recettes. Là encore ça varie. Mais pour certains grands films, c'est parfois 50% de notre recette.” Cependant, avec le passage du forfait au pourcentage, les cinémas n'ont désormais plus d'exclusivité sur tel ou tel long métrage comme cela pouvait être autrefois. “Il y a plus de concurrence, car les films peuvent passer partout”, concède le patron du Majestic.
 
Les deux cinémas, ne se disputent donc plus les films comme auparavant, mais se livrent à une compétition d'audience. “On essaye d'avoir tous les films qui pourraient avoir une audience suffisante ici : bien sûr tous les films américains, sauf quelques films de niche ; certains films français ; et une poignée de production étrangers que je choisis en fonction des réalisateurs ou des acteurs”, explique de son côté le gérant de Pacific films. Une concurrence saine qui profite aux clients et, par conséquent, aux salles de cinéma qui continuent à attirer du monde.
 

Les projecteurs numériques ont remplacés, depuis une quinzaine d'années, les veilles machines mécaniques à bobine 35 mm.

​Le Mamao Palace, toute une histoire...

Quelques photos d'archives du Mamao Palace, entre sa création en 1976 et sa fermeture en 2005.

Le Mamao Palace, construit en 1976, est désormais le Majestic depuis 2006, et demeure l'un des plus anciens cinémas de Tahiti. Pour beaucoup, il incarne le Septième art en Polynésie, grâce à son histoire et à l'attachement de la population envers ses salles obscures, qui ont accueilli, au fil des années, plusieurs générations de cinéphiles polynésiens. “C'est un ami de Guy Dupont père qui voulait ériger un cinéma moderne à Tahiti. Quand il a construit le complexe cinématographique en 1975, il nous a confié la gestion”, rapporte Marie Dupont, gérante de la première heure du Mamao Palace avec son mari. “Les cinéphiles étaient ravis d'avoir un cinéma tout neuf et moderne. Car à cette époque, il n'y avait pas de divertissement vidéo, seulement les informations à la télévision.” Ainsi, pendant plus de 30 ans, ils ont fait vivre le Mamao Palace avant de le fermer. Un an plus tard, le fils de Guy Dupont – qui porte le prénom et nom que son père – a fait renaître le Majestic sur les cendres du Mamao Palace.
 
Le passage au numérique
 
C'est donc le Majestic qui a subi une transition rapide vers le numérique. En effet, depuis une quinzaine d'années, les anciennes machines à bobines et les vieilles cabines de projection, où un système mécanique réfléchissait les images grâce à un arc électrique créé par une lampe spéciale, ont laissé place à des projecteurs numériques couplés à des serveurs informatiques spécifiques. “Nous avons récupéré nos vieilles machines obsolètes pour faire de la place, mais nous les avons conservées”, assure Steve Handerson, conscient de la valeur historique de ces trésors. “Nous en avons laissé une à l'entrée du cinéma, mais avec les intempéries et toutes les personnes qui la touchent, la machine est très abîmée.”
 
Quant aux films eux-mêmes, si autrefois les bobines 35 mm arrivaient par avion, désormais, tout se fait en ligne moyennant une solide connexion internet. “Les producteurs nous envoient des clés numériques avec les fichiers des films sur des serveurs sécurisés spécifiques. Mais chaque clé est associée à un projecteur dédié, pour une heure et une date précises. Aucun piratage n'est possible”, explique Bryan Hickson. “Ce sont des fichiers numériques volumineux, allant de 150 gigaoctets pour des films classiques de 1 heure 30 à plus d’un téraoctet pour de gros longs-métrages en 3D comme Avatar 2.” Heureusement, la fibre optique a été installée depuis quelque temps à Tahiti, ce qui a permis de réduire le temps de téléchargement des films, qui pouvait atteindre 48 heures à l'époque où seul l'ADSL existait.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Samedi 23 Mars 2024 à 09:00 | Lu 2499 fois