Le risque cyclonique aux Tuamotu modélisé par des experts


Les effets du cyclone Orama-Nisha sur le village de Tuuhora (atoll d'Anaa) en 1983.
PAPEETE, mardi 15 octobre 2013. En 2011, durant cinq mois des scientifiques de la Division Géosciences et Technologies appliquées de la Communauté du Pacifique sont venus étudier sur le terrain dans les Tuamotu. Dans la ligne de mire de ces scientifiques, l’impact de l’aléa cyclonique sur les atolls de l’archipel qui sont réputés pour être extrêmement sensibles à cet aléa climatique, notamment lors de cyclones sévères, comme ce fut le cas au début des années 1980 où pas moins de cinq cyclones ont touché les atolls au cours de la saison cyclonique 1982-1983.

A partir de cette série de cyclones et des mesures qui avaient été faites sur ces phénomènes, mais également à partir des données du cyclone Orama-Nisha survenu en 1983 -le plus violent- les scientifiques ont établi une modélisation précise de l’aléa cyclonique sur l’atoll. Après les relevés bathymétriques, océanographiques et topographiques pris sur place, les scientifiques de la Division Géosciences et Technologies appliquées de la Communauté du Pacifique sont désormais en mesure de présenter ce qui se passerait en cas de cyclone majeur qui toucherait l’un ou plusieurs atolls des Tuamotu. Ils en ont tiré ensuite des préconisations en terme d’aménagement de l’habitat ou des activités sur l’archipel qui passent notamment par des bâtiments surélevés de 1m à 1m50 et le respect d’une zone de retrait : pas de maison ou de bâtiment à moins de 10 mètres du bord, côté lagon ; pas de maison à moins de 30 mètres de la ligne de végétation, côté océan. Les résultats de ces études scientifiques ont été présentés, ce mardi matin, à divers responsables du Pays (ministère de l’aménagement, ministère des ressources marines) et des communes concernées.

Il ressort tout d’abord que le risque d’un cyclone majeur touchant les Tuamotu est une probabilité estimée à 2% par an. Un risque fort, similaire à toute la région du Pacifique. Il indique qu’au moins un cyclone majeur (catégorie 4 ou 5) se produit sur la zone tous les 50 ans. Deuxième enseignement : l’étude précise du cyclone Orama de 1983 a permis de constater que la hauteur maximale de la houle frappant l’atoll serait alors de 12 mètres, sous les effets conjugués de la dépression (qui fait gonfler l’océan) et des vents forts qui agissent sur la côte et soulèvent des vagues dans l’océan, aussi bien que dans le lagon (ensachage). 12 mètres de vagues, c’est précisément ce qui a touché et totalement dévasté en 1983 l’atoll d’Anaa. En 1983, toutefois, seul cet atoll des Tuamotu avait été touché par la plus haute vague. Celle-ci avait été de moindre importance ailleurs : 6 à 8 mètres à Manihi par exemple, 5 à 6 mètres au nord de Rangiroa, dans la zone la plus urbanisée de l’atoll. Heureusement, les atolls des Tuamotu sont suffisamment distants les uns des autres pour qu’un cyclone -même majeur- ne soit pas aussi dévastateur sur chaque île qu’il touchera.

Toutefois, cette hauteur maximale de 12 mètres est possible sur chacun des atolls en fonction du tracé du cyclone majeur. C’est pourquoi, les scientifiques sont partis de cette hypothèse la plus alarmiste -puisqu’elle s’est déjà produite à Anaa- pour modéliser les effets de cette vague sur plusieurs atolls des Tuamotu. La modélisation effectuée a démontré qu’avec un champ de vagues de 12 mètres généré par un cyclone majeur, les atolls d’Apataki, Arutua, Kauehi, Manihi et Rangiroa, tous sans exception, seraient submergés en une heure de temps. Ces rapports techniques effectués par des scientifiques océanographes de la Division Géosciences et Technologies appliquées de la Communauté du Pacifique ont été remis ce mardi matin aux responsables de Polynésie française.

Le constat inquiétant effectué, il appelle des solutions qui ont été développées dans un autre rapport produit cette fois par une économiste de la Communauté du Pacifique (CPS). Cette dernière a appliqué la méthode de l’analyse coût/bénéfices des quatre grandes solutions techniques envisagées pour faire face à cet aléa cyclonique majeur : construction d’une digue (au moins de 5m de haut) ; reconstruire toutes les habitations en transférant les populations dans des Fare MTR surélevés à 1m50 ; surélévation de tous les bâtiments en dur existants de 1m ; instituer des zones de retrait. «La construction d’une digue pose des problèmes environnementaux importants et de coûts également. La zone de retrait imposerait de demander à une partie de la population de se déplacer plus à l’intérieur des terres et impliquerait une perte totale de la valeur de leurs biens actuels plus près de l’eau. Seules les solutions avec la construction progressives de Fare MTR ou de surélévation progressive des bâtiments existants sont les moins onéreuses et ont le moins d’effets négatifs tant environnementaux que sociaux» précise Anna Rios Wilks, économiste de la Division géosciences de la CPS. Le mieux serait encore de combiner ces deux solutions de surélévation des bâtiments avec également la poursuite de la zone de retrait –instituant en bordure une zone rouge inconstructible- telle qu’elle apparait déjà dans le Plan de prévention des risques (PPR) de Rangiroa. Ces différentes études réalisées par la CPS avec le soutien de l’Union européenne sont désormais entre les mains des responsables du Pays, à eux désormais de s’appuyer sur ce travail d’experts pour asseoir une véritable prévention du risque cyclonique dont les effets peuvent s’accentuer avec les bouleversements climatiques planétaires qui se traduisent déjà, dans le Pacifique, par une inéluctable montée des eaux.


En rouge, la zone de retrait de Rangiroa.

Alain Timiona, secrétaire général mairie de Rangiroa : des études intéressantes pour l'avenir


"Les élus ont été très sensibles à cette étude et aux analyses du risque cyclonique qui avait également été étudié lors de la mise en place du PPR, plan de prévention des risques. D’ailleurs, ces études confortent certaines préconisations du PPR. Il y a 15 jours, nous avons eu un phénomène climatique à Rangiroa avec un gros coup de vent et une forte houle arrivant par le lagon, et ce phénomène donne raison à tout ce qui se dit : il ne faut plus faire de maison les pieds dans l’eau.
Ces données vont aider les élus à prendre les décisions qui s’imposent et à informer les populations des risques encourus. Il y a 15 jours quand la tempête a frappé à Rangiroa nous étions justement en train de discuter de l’application du PPR. Par exemple ce n’est pas parce que certaines maisons ont été bâties sans permis de construire qu’il faut fermer les yeux sur le PPR. Il faut absolument s’écarter des zones dangereuses, non seulement en cas de cyclones majeurs, tous les 50 ans, mais pour des phénomènes moins forts mais qui font des dégâts également et de façon plus régulière.
Toutes ces études seront utiles pour la réalisation et les investissements des projets futurs sur la commune et pas seulement pour Rangiroa
".

La préconisation de la surélévation des habitations et des bâtiments à Rangiroa ne doit toutefois pas empêcher la poursuite de la construction d'abris cycloniques dans les atolls. A Rangiroa, trois sont en cours de construction actuellement : un à Tiputa et deux à Avatoru.

Jean-François Marrens
Il faut rendre applicable les PPR

Ces études sur les risques cycloniques et les notamment les risques de submersions marines qu'ils engendrent, relancent une fois de plus la mise en place effective des PPR (plan de prévention des risques) en Polynésie française. Les 48 plans de prévention ont été élaborés pour chaque commune au début des années 2000 et sont en attente de leur validation, en l'occurrence de leur approbation depuis 2006 et 2007. Or, cette absence d'approbation et donc de mise en place effective des PPR peut créer des soucis juridiques de responsabilité (du Pays ou des communes) lors d'incidents. "On ne peut plus rester dans cet entre-deux" reconnait Jean-François Marrens, conseiller technique auprès du ministère de l'aménagement et du tourisme.
La publication de ces études relance donc par ricochets la nécessité de rendre applicable ces PPR. Par ailleurs les études seront poursuivies dans le cadre des projets d'aménagement du littoral non seulement du point de vue du risque, mais pour les projets touristiques, l'ouverture des plages publiques etc. "Les études qui ont été présentées amènent à des politique d'aménagement possibles. Le gouvernement va se saisir de ça pour dire effectivement dans les années qui viennent il faut qu'on traite autrement, notamment tout ce qui est l'aménagement du littoral. Nous sommes très intéressés, nous, par la progressivité de mise en oeuvre de politiques : ne pas y aller brutalement mais de faire toute la pédagogie de l'adoption par les communes de leur PPR. Ces projets de PPR sont connus depuis 2006 et seule la commune de Punaauia l'a rendu applicable et celle de Pirae qui est en passe de l'approuver. Donc il reste 45 autres communes en Polynésie qui n'ont pas encore approuvé leur PPR".

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 15 Octobre 2013 à 15:13 | Lu 3223 fois