"Le renseignement politique n’est pas prohibé", rappelle Me Quinquis au procès du SED


Gaston Flosse et Me François Quinquis, lundi matin peu avant l'ouverture du procès du SED.
PAPEETE, 23 mars 2015 – La cellule de renseignements de la présidence Flosse occupera le tribunal correctionnel jusqu'à mercredi. Huit prévenus dont Gaston Flosse doivent répondre du délit d'atteinte à la vie privée. L'ancien président est également inquiété pour détournement de fonds publics.

"Le SED était les yeux et les oreilles du président Flosse", avait confessé en 2010 au juge d’instruction Redonnet, Melba Ortas, la fidèle secrétaire de l’ancien président. "J’ai considéré que dans le Pays, autonome, nous avions également besoin d’une cellule de renseignements", a admis Gaston Flosse au prétoire, lundi matin.

Mais une certaine ambiguïté va être entretenue à la barre par les prévenus pour clairement distinguer l’activité de renseignement, auquel est sensé s'être livré le SED, de celle d’espionnage. "Le renseignement politique n’est évidement pas prohibé", a d’ailleurs rappelé avec toute sa force de conviction Me Quinquis à la mi-journée.

Gaston Flosse, Jean Prunet, André Yhuel, Félicien Micheloni et quatre anciens agents du "Service d’étude et de documentation de la présidence du gouvernement", le SED, sont cités à comparaître en correctionnelle jusqu’à mercredi pour le délit d’atteinte à la vie privée. Une citation complémentaire signifiée en décembre dernier vise plus particulièrement Gaston Flosse pour le délit de détournement de fonds publics.

L’instruction de cette affaire avait démarré en 2005 à la suite de plaintes déposées par quatre parties civiles dont Oscar Temaru et Stanley Cross. Mais après le retrait de ceux-ci, ce dossier ne tient plus dorénavant qu’aux faits dénoncés par le journaliste Alexandre Du-Prel.

Cela donne aujourd'hui un caractère anecdotique à ce procès et a offert l’opportunité à Me Quinquis de soulever une exception de nullité, lundi matin. Celle-ci est finalement jointe au fond après brève délibération du tribunal. Le défenseur de Gaston Flosse soutient que son client a été mis en examen pour des faits commis entre 2002 et 2004 alors que l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (ORTC) évoque des faits qui se seraient déroulés entre 1997 et 2004. En s’appuyant sur l’arrêt rendu en juin 2014 par la cour d’appel de Papeete dans l’affaire OPT, il demande l’annulation de l’ORTC. "En choisissant de joindre l’incident au fond", a-t-il dénoncé, "il me semble que le tribunal a probablement entaché son jugement à intervenir d’une irrégularité qui sera soumise en temps utile à la cour d’appel".

Il demeure que le rédacteur en chef du mensuel Tahiti Pacifique, dernière partie civile constituée dans ce dossier, aurait été filmé lors de ses déplacements à Papeete. Et à deux reprises au moins, il a fait l’objet d’enregistrements à l'intérieur du Snack Roger et de la pizzeria Lou Pescadou en 1997 et en 1998. Les filatures étaient organisées pour découvrir l’identité des informateurs du journaliste.

"Surveiller les anciennes maîtresses"

"Je suis partie civile là-dedans. Je n’ai rien demandé. Mais il fallait bien que quelqu’un continue la procédure après le désengagement de M. Temaru", a rappelé Alex Du-prel durant une suspension de séance, lundi. "Comme je l’ai expliqué avant : il ne faut pas oublier que dans cette affaire il y a eu 600 ou 800 millions dépensés pour des petits espions dont on a vu ce matin le sérieux. Et tout cela pour surveiller surtout les anciennes maîtresses du président Flosse, les ennemis politique, etc. En tant que contribuable, je trouve que ces sommes devraient être remboursées, surtout si l’on reconnait que le service était tout à fait illégal".

Quatre "petites mains" du SED sont aujourd'hui également cités à comparaître : Donata Tanetoa épouse Guignet, Tatiana Faua épouse Chan, David Anania et Clémentine Tauraa épouse Lenice sont présumés avoir en Polynésie française entre le 13 mai 1997 et le mois de mai 2004 commis le délit d'atteinte à la vie privée.

Officiellement créé le 13 mai 1997 afin de "réaliser toute étude prospective dans les domaines économiques, scientifiques et culturels" le SED contrôlait en réalité une cellule de renseignements, le "bureau du manifeste", placée sous la direction d’un ancien de la DGSE André Yhuel, assisté d’un autre vétéran des services secrets français, Félicien Micheloni.

Cette cellule est allée jusqu’à employer 19 personnes sous contrat cabinet, avec la fausse qualité "d'agent administratif ou de technicien". C’est à ce titre qu’une citation complémentaire signifiée en décembre 2014 vise plus particulièrement Gaston Flosse pour le délit de détournement de fonds publics.

En tant qu’ordonnateur, alors qu’il était Président du gouvernement jusqu’en 2004, il est reproché au leader autonomiste d’avoir recruté au moyen de contrats fallacieux, des personnels qui étaient en réalité employés pour réaliser des missions d’espionnage de la vie privée de personnes intéressant Gaston Flosse.

"Il a fallu attendre août 2014 pour que le parquet commence ses investigations à l’égard de M. Gaston Flosse sur ce problème de détournement de fonds publics", s’est plaint Me Quinquis, lundi matin : "10 ans – j’allais dire trois fois le délai de prescription prévu par la loi – il y a effectivement là quelque chose de gravement anormal".

Sans compter que Gaston Flosse est déjà sous le coup d’une condamnation définitive pour détournement de fonds publics, dans l’affaire dite des emplois fictifs, pour des faits commis à la même époque et dans un contexte identique.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 23 Mars 2015 à 15:35 | Lu 1887 fois