Le "remu vine", l'or vert de Tubuai en expérimentation


L'or vert de Tubuai, un met prisé dans le Pacifique et au Japon.
PAPEETE, le 21/11/2016 - Mondialement connue sous le nom de "green caviar" (caviar vert), cette algue est très prisée par les habitants de l'île. Depuis deux ans, la direction des Ressources marines souhaite développer l'algoculture, et plus particulièrement la culture de ces algues marines scientifiquement connues sous le nom de caulerpes. Des études de marché et de faisabilité ont été réalisées entre 2014 et 2016 sur la possibilité de cultiver cette ressource, et les résultats sont assez concluants.

Située à 640 kilomètres au sud de Tahiti, l'île de Tubuai compte plus 2 100 habitants. Chef-lieu des Australes, Tubuai est entourée du plus grand lagon de cet archipel. Si l'agriculture fait vivre beaucoup de familles sur place, la pêche arrive en seconde position.

Mais il y a bien un produit, en quantité relativement importante, dont les habitants de Tubuai raffolent. Il s'agit du "remu vine", mondialement connu sous le nom de "green caviar" (caviar vert). Cette algue en forme de grappe de raisin est consommée soit "nature" sans assaisonnement, soit marinée avec du lait de coco et des sardines. Un met qui est également prisé dans le Pacifique (Fidji, Samoa…), et en particulier au Japon. D'ailleurs, au sud du Japon, des fermes d'élevages ont été installées.

Et c'est ce qui a inspiré le Pays afin de développer cette ressource à Tubuai. "L'objectif est la diversification aquacole parce que c'est un produit qui est prisé par les gens des Australes. On sait que les algues sont des produits qui sont bons pour la santé et peuvent être bien valorisées", explique Georges Remoissenet, ingénieur à la direction des Ressources marines (DRM).

Il y a deux ou trois ans, une convention a été établie entre le ministère des Ressources marines et l'université de la Polynésie française (UPF). Une étude de marché et de faisabilité a été mise en place entre 2014 et 2016. Et il s'est avéré que cette algue n'aime pas du tout l'eau douce : "Le second point, c'est l'effet du courant ou plutôt la poussière ou l'aspect laiteux qu'il y a dans le lagon, l'algue n'aime pas ça. C'est pour cela qu'elle est un peu plus sous le caillou ou alors dans des zones, où il n'y a pas de cycles. Donc, on s'aperçoit qu'en culture ce n'est pas toujours facile", souligne-t-il.

Avec ces éléments en main, la DRM a donc décidé de faire comme les Japonais, "c'est-à-dire de faire un test pilote de culture à terre. L'idée est de produire d'abord quelques dizaines de kilos pour voir quel est le rendement et dans quelles conditions on peut l'obtenir", confie Georges Remoissenet.

LE RSMA, PARTENAIRE INDÉNIABLE POUR CE PROJET PILOTE

Pour mettre en place ce type de projet, il faut disposer de parcelles foncières. Selon la DRM, le terrain où se trouvaient les locaux de Météo France serait l'endroit idéal pour implanter les bassins de cultures de "remu vine". "Ce terrain est toujours au RSMA (Régiment du service militaire adapté, ndlr), mais on va travailler avec eux pour aménager le site", prévient Georges Remoissenet.

Pour l'heure, les discussions avec le RSMA ne sont pas terminées. "Il va falloir qu'on définisse avec le RSMA les critères de ce partenariat. Nous ne sommes pas encore allés dans le fond du sujet. Nous avons un agent sur place, il y a aussi le RSMA et ils ont des jeunes qui pourraient travailler dessus", confie l'ingénieur de la DRM.

La mise en place de ces stations devrait intervenir vers le début de l'année prochaine. Pour la construction de ce projet de bassin hors sol, le Pays a investi "quelques millions de francs".

UNE RESSOURCE QUI POURRAIT ÊTRE DÉDIÉE À L'EXPORTATION

Outre l'aspect technique, "j'ai étudié l'écologie de l'algue pour voir comment elle se répartissait à Tubuai et voir la quantité d'algues disponibles", souligne Mayalen Zubia, maître de conférences à l'UPF.

"J'ai fait des études de composition biochimique pour savoir ce qu'il y avait au niveau des lipides, des glucides… et pour voir si elle n'était pas contaminée, parce qu'elle est très près de la plage et il fallait voir s'il n'y avait pas trop de contaminants pour la consommation humaine. Il s'est avéré qu'il n'y avait pas de soucis au niveau des contaminants chimiques", poursuit-elle.

Et, selon Mayalen Zubia, le fait de les cultiver dans des bassins sur terre serait une meilleure solution pour préserver cette ressource des mauvaises conditions environnementales, pour garder la même qualité qu'une culture en mer. "Les consommateurs veulent une qualité standard et comme on va dédier cette algue quand même à l'export, au final, vers les Japonais puisqu'ils appellent cela le "green caviar" et ça leur coûte cher. Du coup, ce qui nous intéresserait, ce serait de faire de l'export après, pour développer les îles en général", précise-t-elle.

Préserver ces algues reste aussi la priorité du Pays : "Cette ressource est là mais on ne sait pas jusqu'à quand ? Parce qu'il y a des gens qui font de grosses collectes sauvages pour envoyer dans les glacières sur Tahiti. Il y a aussi toutes les constructions qui sont en train d'être faites au port, ça a contaminé toute cette zone. Après, les espèces vont disparaitre s'il y a trop d'aménagements. C'est pour ça aussi on a fait ce projet, c'est à la fois, pour avoir des biomasses un peu plus importantes standardisées pour pouvoir fournir tant de kilos par semaine, mais aussi pour préserver la ressource pour que la population puisse continuer à en manger", indique l'experte.

L'or vert de Tubuai pourrait également contribuer au développement de l'île. "On peut l'imaginer aussi vendre sur la partie touristique", rajoute Georges Remoissenet, de la DRM.

Du côté de la mairie, plusieurs interrogations subsistent puisque selon le maire, Fernand Tahiata, aucun résultat ne leur a été apporté depuis la réalisation des différentes études sur place. "C'est bien s'ils font ce projet avec la collaboration de la commune, mais là, on a rien. Ils ont un gars sur place, on le voit faire des enquêtes un peu partout, mais rien ne nous est remonté", déplore-t-il.

Dans le rapport de l'étude de marché qui a été réalisée avec la collaboration des économistes de l'UPF, le prix de vente de ces caviars varie entre 400 et 600 francs pour 200 grammes. Mais "le porteur de projet devra voir comment il fera pour bien conserver cette algue parce qu'après, il y a des restaurateurs qui sont prêts à les acheter", explique Mayalen Zubia.

D'ailleurs, un porteur de projet de Tubuai serait intéressé.


Mayalen Zubia
Maître de conférences à l'UPF

"À l'époque, c'était plutôt réservé aux femmes"


"Les algues ont plein de propriétés bénéfiques pour la santé. Elles sont riches en minéraux, et notamment en oligo-éléments, en magnésium, en calcium et potassium… Elles sont également riches en vitamines aussi, et des vitamines qui ne sont pas forcément courantes dans les plantes terrestres. Elles sont riches en fibres aussi pour digérer, donc c'est intéressant au niveau diététique. Elles sont riches aussi en acides gras polyinsaturés. Ce sont des graisses qui sont bonnes en alimentation, contrairement aux acides gras qui sont saturés que l'on peut trouver dans les viandes… Ce sont des graisses qui sont bonnes pour la nutrition et qui permettent de diminuer les risques cardiovasculaires. Elles ont plein de composés actifs, comme les antioxydants, les antimicrobiens… des sources de principes actifs, c'est comme cela qu'on les appelle. Donc tout cet ensemble fait que les algues sont super intéressantes au niveau nutritionnel, pour la cosmétique, etc. En fait, les Polynésiens, depuis longtemps, consomment les algues. Mais à l'époque, c'était réservé plutôt aux femmes parce qu'elles n'avaient pas le droit de manger de porc, tortue, coco et banane. Donc, elles cueillaient les algues pour complémenter leur alimentation."


L'or vert de Tubuai pourrait également contribuer au développement de l'île, puisque selon Mayalen Zubia, maître de conférences à l'université de la Polynésie française, son exportation ferait aussi partie du projet du Pays.

À l'époque, les algues étaient réservées qu'aux femmes.

Rédigé par Corinne Tehetia le Mardi 22 Novembre 2016 à 05:00 | Lu 17173 fois