Le prince de Hava'e vise le trône


Matahi Drollet, au summum de son art, pourrait bien être la belle surprise de cette édition de la Shiseido Tahiti Pro 2023. (crédit photo : Désiré Teivao)
Fer de lance de cette nouvelle génération des surfeurs de la Presqu'île, Matahi Drollet perpétue un héritage laissé quelques années plus tôt par son grand frère Manoa. En effet, celui que l'on surnomme le prince de Teahupo'o s'est imposé ce dimanche 6 août lors des trials de la Shiseido Tahiti Pro. Au lendemain de sa victoire, le jeune prodige du surf polynésien revient pour Tahiti Infos sur son parcours lors de la compétition, ses espoirs pour le main event et sa vision sur l'avenir du spot de Teahupo'o et les Jeux olympiques.  
 
Les vidéos passent en boucle sur les réseaux sociaux et on qualifie déjà ta finale lors des trials face à Eimeo Czermak d'anthologique. Peux-tu revenir sur ton parcours lors de cette journée exceptionnelle du 6 août ?
 
“La compétition a pourtant mal commencé pour moi. Dès la première vague, je me suis pris une interférence, ce qui voulait dire que le score de ma deuxième vague allait être divisé par deux. Un des pires scénarios possibles pour une première série. Heureusement, j'ai eu les vagues qu'il fallait pour passer. J'ai eu chaud ! Dans ma deuxième série, je me suis retrouvé face à Enrique Ariitu qui surfe très bien ici à Teahupo'o, Kevin Bourez dont j'apprécie vraiment l'approche de la vague et Michel Bourez que l'on ne présente plus. J'ai réussi à trouver le rythme et c'est passé, mais ça aurait pu être beaucoup plus compliqué. En quart de finale, je suis tombé contre Tikanui Smith, un de mes meilleurs amis. C'est toujours délicat de se confronter à ses copains, mais la compétition, c'est comme ça. J'ai réussi à me qualifier pour la finale où j'étais sûr de retrouver Eimeo. Pour moi, il est le meilleur surfeur backside au monde sur ce spot. Nous avons eu la chance d'avoir des vagues exceptionnelles, et cette année, je l'ai remporté. C'est un rêve pour moi !”
 
En tant que free surfer, la compétition doit être un sacré exercice pour toi. Comment est-ce que tu t'es préparé à cet événement ? As-tu abordé la vague différemment ?
 
“C'est vrai, je suis un free surfer, mais les trials ont toujours été une compétition que j'ai à cœur de faire chaque année. Je m'y prépare comme je peux, avec les moyens que j'ai. Je regarde des vidéos des meilleurs surfeurs du tour professionnel, leurs manières de gérer leurs séries et j'essaye de l'appliquer une fois dans l'eau. Je me suis souvent entraîné seul. J'allais à l'eau, je mettais mon chrono et j'essayais de prendre les deux meilleures vagues sur des périodes de vingt minutes. J'essayais tout simplement de reproduire les conditions que l'on trouve en série. Après, concernant l'approche de la vague en elle-même, il fut un temps où je faisais la différence entre une session free surf et une série de compétition, mais ça ne fonctionnait pas trop. Aujourd'hui, je pense qu'il faut mixer les pratiques : réussir à surfer libéré pour exprimer notre surf et en même temps, être conscient qu'il faut réussir à scorer sur des vagues intermédiaires, sans forcément attendre les plus belles.”
 
Étant le vainqueur des trials, tu tomberas forcément contre les têtes d'affiche d'entrée de jeu. Comment est-ce que tu le prends ? Y a-t-il des surfeurs que tu redoutes ? Ou au contraire, y a-t-il une confrontation en série dont tu rêverais ?  
 
“Il y a de fortes chances que je tombe contre le numéro un mondial et champion du monde en titre, Felipe Toledo. C'est un très bon ami. Quand il vient à Tahiti, il reste à la maison, on s'entraîne ensemble et je le coache un peu sur le spot. Mais là, ça sera la compétition, on ne se fera pas de cadeaux. C'est une question de respect de l'adversaire. Que le meilleur gagne ! Pour moi, la stratégie de compétition reste la même que lors de ces trials. Prendre les meilleures vagues et les exploiter au mieux. J'ai de la chance, cette année, mes planches sont vraiment bonnes, donc je suis confiant. Et s'il fallait choisir une série de rêve, je dirais une série contre Kelly Slater, Gabriel Medina et John John Florence. Sur le tour, sur cette compétition, ce sont les meilleurs.” 
 
Ton frère, Manoa Drollet, est une légende à Teahupo'o. Tout comme toi, il a gagné les trials, puis il s'est hissé en finale de la Billabong Pro 2008. Quel rôle a-t-il joué dans ton parcours ? Et au-delà d'une potentielle victoire pour Tahiti, ne s'agirait-il pas aussi et avant tout d'un objectif familial que de ramener le trophée à la maison ?
 
“C'est clairement une mission qu'il faut terminer. J'étais là quand mon frère a remporté les trials, quand il a réussi à se hisser en finale. Grâce à lui, on sait que c'est possible. Kauli Vaast aussi l'a prouvé l'an passé. On peut le faire et on a le niveau pour !”
 
La vague de Teahupo'o attire de plus en plus de monde. Surfeurs professionnels, médias, publics étrangers… En tant que local et figure de proue du surf à Teahupo'o, comment est-ce que l'on gère toute cette attention et, hélas, ses dérives ?
 
“Au début, quand je suis arrivé au spot, il n'y avait pas vraiment de locaux. Les étrangers prenaient toutes les vagues. Puis, avec les copains, on s'est imposé petit à petit et on a gagné notre place au line-up. Aujourd'hui, les surfeurs étrangers le savent, on partage les vagues, mais la priorité revient aux locaux. Comme partout ailleurs dans le monde, les règles sont simples : respectez les locaux, respectez les lieux et respectez la vague. On ne demande rien de plus. Après, toute cette attention, je pense que c'est une bonne chose pour le tourisme et les habitants de la commune qui accueillent ces voyageurs. Nous ne sommes pas contre le fait d'accueillir, au contraire, mais il faut que cela se fasse dans le respect.”
 
Pourtant, depuis quelques temps, on constate que la tension monte entre les surfeurs locaux et la fédération tahitienne de surf et que les Jeux olympiques divisent. Quelle est ta position sur le sujet ?  
 
“Que les Jeux se déroulent à Teahupo’o, cela ne me dérange pas du tout. En revanche, concernant les tensions entre les surfeurs et la fédération tahitienne de surf, ou les autres organismes, je pense que les surfeurs veulent juste s'assurer que l'événement profitera aussi aux locaux. Car par exemple, contrairement à la Tahiti Pro, le spot ne sera pas aussi accessible pour le grand public. L'accès sera réglementé en raison des protocoles antiterrorisme. Ce ne sera pas la fête du surf comme on se l'imagine. Et puis les surfeurs locaux ont peur, et à raison, de voir le paysage se dénaturer. Nous voulons que Teahupo'o reste sauvage. Alors, lorsque l'on voit des projets de tour à plusieurs centaines de millions de francs, oui, ça nous inquiète. Il n'y a pas beaucoup de transparence sur tout ça, on nous impose des choses sans nous consulter. Il faut que l'organisation de ces Jeux olympiques profite aussi, et surtout, aux locaux.”
 

Rédigé par Wendy Cowan le Lundi 7 Aout 2023 à 18:07 | Lu 2104 fois